dimanche 23 janvier 2011

Hannibal TV, premier orage sur le printemps des médias tunisiens


PAR EL KADI IHSANE À TUNIS    DIMANCHE, 23 JANVIER 2011 22:02   



Larbi Nasra
Larbi Nasra, patron d'Hannibal TV

Les médias tunisiens se sont mis à l’heure de la révolution. Dès le soir du vendredi 14 janvier. Chaque jour les Tunisiens en ébullition goûtent à l’ivresse des micros ouverts, des témoignages explosifs, des reportages « insensés ». Mais voilà que le directeur de la chaîne privée « Hannibal TV » Larbi Nasri et son fils ont été arrêtés ce dimanche pour complot contre la sécurité de l’Etat. Un premier geste d’autorité du gouvernement qui sonne comme un rappel à l’ordre.
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Le propriétaire de la chaîne privée « Hannibal TV » Larbi Nasra et son fils sont « liés par une relation d’alliance » à l’ancien couple présidentiel, le fils est marié à la nièce de Ben Ali. Mais ce n’est pas «seulement » pour  cela qu’ils ont arrêtés pour « haute trahison » et « complot contre la sécurité de l'Etat », mais parce qu’ils  "s'employaient, à travers sa chaîne, à faire échouer la révolution de la jeunesse, à semer le chaos, à inciter à la désobéissance et à diffuser des informations trompeuses dans le but de créer un vide constitutionnel, à instaurer l'instabilité et à engager le pays dans la spirale de la violence dans le but de rétablir la dictature de l'ancien président", affirme le communiqué de la TAP qui rapporte la nouvelle de leur arrestation. « Cela n’annonce rien de bon. Tout le monde savait qui était Larbi Nasra. Pourquoi cette accusation maintenant ?» s’interroge Lamine un expert des médias. Hannibal TV était la chaîne la plus appréciée des Tunisiens avant la révolution. « Disons plutôt la moins honnie». Depuis le 14 janvier, elle fait feu de tout bois pour relayer l’actualité du mouvement populaire qui réclame le départ du gouvernement de transition dominé par le RCD. « Il faudra bien préciser à l’opinion quels sont exactement les faits qui sont reprochés à Larbi Nasra et son fils, car jusque-là cela est vague et ressemble plus à une décision politique pour mettre des lignes rouges devant l’expression des médias » ; explique Larbi Nasri. Le dimanche soir à l’heure du couvre-feu (20h), le gouvernement d’unité national a décidé de rétablir le signal d’Hannibal TV, absent durant une partie de l’après-midi. L’autre chaîne de télévision privée, née à l’ère du régime de Zine Ben Ali, Nessma TV, a choisi de s’en tenir à l’annonce de l’information sans plus de commentaires. Nabil Karoui, son directeur, a choisi dès le jour d’après de se présenter en victime du système Ben Ali, ce que ne pouvait pas faire Larbi Nasri qui, outre ses liens de parenté par alliance avec le couple présidentiel, avait été honoré de la médaille de Chevalier de la Culture par le président déchu. Pour un acteur du mouvement de protestation contre le gouvernement Ghannouchi, Slim Choukri, universitaire, « l’accusation adressée à Hannibal TV d’incitation au désordre et au vide constitutionnel peut donner à réfléchir très vite à Tarek Benamar, l’homme fort de la chaîne Nesma TV, connu pour être proche de Leila Ben Ali ».


Les rédactions prennent le pouvoir



La fuite du président Ben Ali a eu un effet dévastateur pour les directions des médias aux ordres. A la télévision nationale, à la radio publique, dans les journaux d’Etat, les rédactions « se sont mises en assemblées générales permanentes », et se sont emparées du pouvoir. La télévision  nationale tunisienne a changé de directeur ce dimanche, Bachir Hmidi a remplacé Chawki Alloui, journaliste nommé en 2010, ses employés ayant, parmi de nombreuses autres revendications, exigé son départ lors d’une journée de grève la veille. Les chaînes de la télévision publique tunisienne sont passées depuis 24 heures à la couverture en direct des marches populaires. L’arrivée éruptive, dimanche après-midi, d’une des marches venant des « régions » de l’intérieur du pays, devant le palais du gouvernement, à la Casbah, a été filmée sur les lieux « en live », avec tous les risques de débordements politiques que cela comportait, les appels pour que les Tunisois rejoignent ce rassemblement passant sans filtre à l’antenne. Les dénonciations en direct à l’antenne d’anciens responsables pour des faits de corruption ou d’atteintes aux droits de l’homme tiennent en haleine population et gouvernement. Les chauffeurs de taxi à Tunis passent d’une chaîne radio à l’autre pour rechercher le récit le plus fort sur les turpitudes du régime Ben Ali. Là aussi, les chaînes privées aux ordres ont dû se mettre « au service de la révolution ». Shem’s Radio détenue par Cerine Ben Ali, la fille du président de son premier mariage, aurait confié l’antenne à ses employés avant de partir en leur disant :    « Faites en ce que vous voulez ». Radio Mosaïque dans laquelle le clan Trabelsi détenait une part du capital – à travers Belahssan et des prête-noms – est elle aussi passée entre les mains de sa rédaction, devenant en quelques jours la chaîne la plus écoutée, grâce à un choix éditorial qui donne beaucoup la parole aux acteurs du terrain.



Pas de ministère de la communication



Le gouvernement d’Union nationale a choisi d’accompagner ce mouvement en n’attribuant pas le porte-feuille de la communication, comme l’avait fait le gouvernement Hamrouche en Algérie en septembre 1989. La presse écrite a plus de mal à trouver sa place dans ce florilège d’expressions. La rédaction du journal La Presse, voix officieuse du régime de tout temps, s’est, certes, insurgée et a déposé son rédacteur-en-chef. Elle s’autogère. Les Tunisiens n’ont pas encore le réflexe d’acheter ce journal et les autres, il est vrai, dans un contexte où l’information en ligne et les directs de la télévision captent les publics. Les journaux électroniques tunisiens qui ont attendu, comme tout le monde, le départ du tyran, pour raconter la révolution dans leurs articles, espèrent profiter un peu plus que les autres du printemps des médias. Les Tunisiens ont pris l’habitude de passer un temps considérable sur internet. Le premier ministre Mohamed Ghannouchi, a reçu Rida Kéfi, journaliste au long cours, directeur du site Kapitalis. Le gouvernement est à la recherche d’expertises pour configurer le nouveau paysage médiatique qui jaillit dans le sillage des marches populaires quotidiennes. En se déplaçant au siège d’Hannibal TV pour annoncer la décision du gouvernement de faire la part entre l’accusation de son propriétaire, et la reprise de sa diffusion, Nejib Chebbi, ministre du Développement local, a réitéré l’attachement de son gouvernement à l’exercice plein et entier de la liberté de la presse, a qualifié la coupure de l’antenne d’Hannibal TV d’erreur et a présenté ses excuses et celles de son gouvernement à son public.
(Maghreb émergeant)


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