jeudi 10 mars 2011

Comprendre la crise au Yémen

Par Catherine Gouëset, 

Comprendre la crise au Yémen
 Le Yémen, où le pouvoir d'Ali Abdallah Saleh est contesté, est un foyer d'instabilité: confronté à une rébellion armée dans le nord-ouest, un mouvement sécessioniste dans le sud, il sert de base arrière à Al-Qaïda. Quelques clés pour comprendre cette crise.(...)
L'arrière plan historique
Comprendre la crise au Yémen
Le Yémen avant l'unification en 1990.  
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Etat instable, le Yémen n'a été unifié qu'en 1990. Le nord faisait partie de l'empire ottoman jusqu'en 1918, tandis que le sud a été rattaché à l'empire colonial britannique en 1838.  
Le Yémen du Sud
La position stratégique du port d'Aden, entre l'Inde et l'Europe en a fait dès l'Antiquité un lieu d'échanges commerciaux majeur. Après le départ des troupes britanniques, à la suite d'une lutte armée contre le colonialisme, le sud opte pour un régime prosoviétique, sous le nom de République démocratique populaire du Yémen. Une instabilité chronique aboutit à une guerre civile en 1986 qui fait plusieurs milliers de morts. 70 000 personnes se réfugient au nord.  
Le Yémen du Nord
Des militaires renversent la monarchie religieuse (imamat) en 1962 et proclament la République arabe du Yémen. Commence alors une guerre civile qui durera jusqu'en 1970, où les pays voisins, l'Egypte de Nasser et l'Arabie saoudite, soutiennent chacun un camp. Deux ans après la signature de la paix, le pays entre en conflit avec le Yémen du Sud. Ali Abdallah Saleh qui accède au pouvoir en 1978, après avoir réussi à éliminer ses opposants, s'emploie à établir des relations équilibrées entre l'URSS et les Etats-Unis. 
L'unification
C'est sous son autorité qu'aboutit l'unification avec le sud en 1990. Ali Abdallah Saleh devient président de la république à la tête d'un conseil présidentiel composé de trois nordistes et de deux sudistes. Des tensions apparaissent avec le voisin saoudien quand Sanaa refuse de participer à la coalition anti-irakienne en 1991. Ryad expulse alors 800 000 Yéménites, ce qui prive Sanaa de devises et accroît les difficultés économiques du pays, pourtant déjà le plus pauvre du Proche-Orient. C'est à cette période que naît le parti d'opposition islamiste El Islah.  
La tension persiste avec le Sud
Un brève épisode de guerre entre le nord et le sud en 1994 aboutit à l'élimination de l'ancien parti du gauche du Yémen du Sud et au renforcement de l'autoritarisme du régime, mais ne met pas fin aux tensions avec la partie méridionale qui s'estime discriminée par les dirigeants du Nord.  
Le taux de chômage des jeunes, déjà important dans tout le pays, y serait par exemple encore plus élevé (40% des jeunes de 20 à 24 ans). Le Financial Times rapporte que pour certains observateurs, le danger posé par les séparatistes du sud est plus grave que celui que représente Al Qaïda. 
La rébellion du nord
La rébellion "houthiste" dans le nord du pays s'enracine dans la religion zaïdite, une branche de l'islam chiite. Les Houthistes, avec à leur tête Abdelmalek Al-Houthi, assurent vouloir préserver leur identité religieuse menacée par un wahhabisme en pleine expansion.  
Le zaïdisme est très présent sur les hauts plateaux yéménites, en particulier dans la régions de Saada (ou Sa'dah), aux confins de l'Arabie saoudite. Cette région, qui fut l'un des derniers bastions royalistes lors de la guerre civile dans les années 60, a longtemps été laissée à l'écart des politiques de développement selon Pierre Bernin ("Les guerres cachées du Yémen"). Par ailleurs, comme toujours au Yémen, le conflit religieux s'articule avec les solidarités tribales.  
Le gouvernement accuse la rébellion de vouloir rétablir l'imamat zaïdite qui régnait sur le Yémen du nord avant le coup d'état militaire de 1962, mais aussi d'être soutenus par l'Iran. Depuis 2004, le conflit aurait fait plus de 10 000 morts et entraîné le déplacement de plusieurs dizaines de milliers de civils (300 000 selon l'ONU).  
Le gouvernement et la rébellion ont signé, le 12 février, un cessez-le-feu qui offre un espoir -certes relatif - de répit pour la région (un précédent cessez-le feu en 2007, négocié grâce à une médiation du Qatar avait fait long feu). La rébellion houthiste s'est depuis associée au mouvement de protestation en proclamant son soutien, le 21 février, aux manifestants de Sanna et du reste du pays. 
La présence d'Al Qaïda

Le pays le plus pauvre de la région

Près de la moitié des 23 millions d'habitants vivent avec moins de 2 dollars par jour. Sanaa produit quelque 300 000 barils de brut par jour et les revenus du secteur pétrolier assurent 70% des revenus de l'Etat. Avec moins de 32% de population urbaine, le Yémen est un pays éminemment rural qui s'appuie sur des structures tribales puissantes. 
Les branches saoudienne et yéménite d'Al Qaïda ont fusionné en 2009 pour donner naissance à Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA). L'AQPA est particulièrement implantée dans les provinces orientales du pays qui échappent pratiquement au contrôle des autorités yéménites. Son chef est Nasser al-Wahayshi, un proche de Ben Laden; et la figure la plus emblématique du mouvement est le religieux né aux Etats-Unis Anwar al-Aulaqi. Les services de renseignements occidentaux évaluent le nombre de combattants d'AQPA entre 400 et 600 personnes.  
L'organisation aurait recruté, outre des yéménites et des saoudiens, des militants non arabes, comme par exemple Farouk Abdulmutallab, cet étudiant nigérian qui chercha à faire exploser un avion de ligne Amsterdam-Detroit le 25 décembre 2009. L'AQPA a également revendiqué l'envoi de colis piégés interceptés en novembre dernier en Grande-Bretagne et à Dubaï.  
Dans un livre sur le Yémen (non traduit en français), "Dancing on the heads of snakes", Victoria Clark explique que la plupart des kamikazes saoudiens du 11 septembre étaient originaires de la province saoudienne qui historiquement avait fait partie du Yémen. Elle souligne néanmoins que tous ceux qui ont régné sur le pays, que ce soit les imams, les Ottomans ou les Anglais, ont tenu compte du fait que les tribus étaient plus préoccupées par l'argent et la terre que la religion ou une quelconque idéologie.  
Si le président Ali Abdallah Saleh, comme beaucoup de despotes du monde arabe, utilise, vis-à-vis de l'Occident, la carte de la lutte contre le terrorisme, il a régulièrement manipulé à son profit le radicalisme islamisme, notamment au cours de la brève reprise de la guerre de sécession du Sud en 1994 comme le soulignait Gilles Paris dans Le Monde en janvier 2010.  
La mainmise d'Ali Abdallah Saleh sur le Yémen
Le président Ali Abdallah Saleh, fin manoeuvrier, aime à dire de lui-même qu'il sait "danser avec les têtes de serpent" (l'expression dont Victoria Clark a fait le sous-titre de son livre sur le Yémen). Il a en effet survécu à la chute de son allié Saddam Hussein en Irak, à la reprise de la guerre avec le sud en 1994: il s'est allié aux radicaux islamiques mais a néanmoins obtenu la protection de Washington tout en imposant son pouvoir aux confédérations tribales, et a ainsi réussi à se maintenir 32 ans au pouvoir à la tête de ce pays éminement instable.  
Comprendre la crise au Yémen
Un enfant yéménite porté et lancé en l'air lors d'une manifestation contre Ali Abdallah Saleh à Sanaa, le 7 mars 2011.  
AFP/Ahmad Gharabli
Depuis le début du mouvement de contestation fin janvier, il a promis de ne pas se représenter aux élections en 2014 (alors qu'il s'apprêtait à faire modifier la constitution afin d'ouvrir la voie à une présidence à vie) et nié vouloir transmettre la présidence à son fils aîné Ahmad, chef de la garde républicaine. Mais il avait déjà fait une annonce identique en 2006 avant de revenir sur sa promesse. Le passé tumultueux de son pays lui sert en tout cas à justifier son refus de céder la main: "Pourquoi veulent-ils revenir au chaos?" disait-il au début des manifestations.  
Mais devant la poursuite de la vague de protestation, le "charmeur de serpents" vient de proposer ce jeudi un référendum sur une nouvelle Constitution et de renoncer à ses pouvoirs exécutifs avant la fin de l'année (il avait pourtant, la semaine passée, rejeté un plan de sortie de crise proposé par l'opposition prévoyant son départ avant la fin 2011). Il a aussi promis une plus grande décentralisation. L'opposition parlementaire et les jeunes manifestants qui campent devant l'Université à Sanaa ont immédiatement rejeté l'initiative du président, la jugeant "dépassée". Le charme serait-il en voie d'être rompu?  

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