mardi 3 septembre 2013

Syrie: les doutes d'un colonel américain, vétéran de l'Irak

colonel Peter Mansoor
Comme nombre de militaires américains, le colonel Peter Mansoor est loin d'être convaincu par les arguments de Barack Obama sur la nécessité de recourir à la force en Syrie, pour punir Bachar el-Assad d'avoir utilisé des armes chimiques contre son peuple.

«Le président nous affirme que sa décision a trait à la sécurité nationale des États-Unis. Mais j'estime qu'il n'a pas été convaincant dans ses arguments visant à expliquer pourquoi c'est le cas», lance cet ancien militaire passé par l'Irak, où il a commandé la première brigade de la première division blindée basée à Bagdad, en 2003-2004, avant de devenir l'aide de camp du général David Petraeus, pendant l'opération de contre-insurrection de 2007-2008. «Le peuple américain a de gros doutes, et moi aussi», insiste Mansoor, qui enseigne aujourd'hui l'histoire militaire, à l'université d'État de l'Ohio.


Peter Mansoor peut facilement imaginer les contours de l'opération «limitée en temps et en ampleur» réclamée par Barack Obama pour dissuader le président syrien de recommencer. Les frappes seraient sans doute menées «contre le quartier général de Bachar el-Assad ou ses centres de commandement», analyse-t-il. Elles seraient orchestrées à l'aide de missiles cruise tirés depuis la flotte américaine basée en Méditerranée orientale, le président Obama n'ayant «sûrement aucune envie de mettre en danger ses pilotes en envoyant des bombardiers dans l'espace aérien syrien». «Les généraux américains viseraient sûrement aussi la force aérienne syrienne» un exercice qui serait compliqué par les grands mouvements engagés par Bachar pour la mettre à l'abri, derrière des boucliers humains. «On aurait sûrement un jeu du chat et de la souris, entre nos militaires et les Syriens, pour retrouver les avions car il ne serait pas possible de tous les cacher» note Mansoor. Il y aurait à coup sûr des victimes civiles, «car le risque zéro victime n'existe pas dans une guerre», affirme l'ancien gradé.

La question clé qui taraude Mansoor est celle de l'après. Celle du glissement possible de son pays dans une guerre civile complexe dont «dont le peuple américain ne veut pas se mêler». «Que se passera-t-il si nous frappons et qu'Assad utilise à nouveau des armes chimiques? Serons-nous prêts à frapper encore? Et encore? Ne nous faisons aucune illusion. En engageant une opération militaire même limitée contre la Syrie, nous devenons de facto partie au conflit», met-il en garde.
La psyché militaire a changé

L'avis pessimiste de ce proche de Petraeus reflète une opinion courante à travers une institution militaire fortement ébranlée par les conflits de la dernière décennie. Mansoor le reconnaît: «l'expérience» frustrante et douloureuse, de l'Irak et de l'Afghanistan, a changé la psyché militaire. Dans les rangs, l'idée d'une Amérique exceptionnelle, ayant pour mission de «pacifier» le monde a du plomb dans l'aile. «Devons-nous passer notre temps à parcourir le monde pour mettre au pas tous les dictateurs qui massacrent leurs peuples?». Pour Mansoor, la réponse est clairement non. L'ancien colonel fait une claire distinction de ce point de vue entre l'Afghanistan et l'Irak. Si la guerre afghane «était nécessaire» en riposte au 11 Septembre, celle d'Irak a été un choix, selon lui, peu judicieux. «Ce qui est ironique, c'est que nous sommes tentés de partir en guerre contre la Syrie, pour des raisons assez similaires à celles invoquées en Irak. Il s'agissait alors d'empêcher Saddam d'utiliser des armes interdites. Il s'agit maintenant de dissuader Assad d'utiliser son potentiel chimique à nouveau.»

Mansoor n'exclut pas que le Congrès refuse d'autoriser l'usage de la force. «Cela donnerait une porte de sortie à Obama et ce ne serait pas si dramatique pour notre crédibilité», juge-t-il. «Souvenez-vous de l'état dans lequel nous avons quitté le Vietnam. Nous étions au plus bas. Cela ne nous a pas empêchés de redevenir ensuite la superpuissance dominante.»

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