dimanche 4 mars 2018

Assassinat de Larbi Ben M'hidi : Retour sur une liquidation sommaire


"Tenez, je vous remets la montre de Ben M'hidi. Il parait que ça lui sert à plus rien" (sic) - Confessions du militant Brahim Chergui recueillies pour Le Quotidien d'Oranen mars 2007.

Il y a 58 ans, Larbi Ben M'hidi était assassiné par les barbouzes-parachutistes du colonel Marcel Bigeard. Brahim Chergui, alias "Si H'mida", est le dernier Algérien à avoir entendu le souffle et les ultimes pas de "Hakim" avant sa liquidation sommaire. C'était dans la nuit du 3 au 4 mars 1957 dans un camp parachutiste à La Scala (au bas d'El-Biar). Brahim est l'homme qui apparait à la droite de Ben M'Hidi dans le cliché diffusé par le service propagande de l'armée française pour médiatiser la chute d'un "chef de la rébellion". Chergui partageait une cellule avec Abdelmadhid Benchicou, Omar Sifaoui et Nour-Eddine Skander. Une cellule jouxtant celle de Ben M'hidi. "Si H'mida" a vécu -séparé par un mur- les derniers moments de la vie du membre du CCE.
En mars 2007, profitant d'un rendez-vous de Chergui avec l'historien Mohammed Harbi à Paris, je l'avais rencontré pour les besoins d'un entretien pour Le Quotidien d'Oran. Focus de l'interview: Susciter sa réaction aux propos tenus par le général Paul Aussaresses dans un échange avec ma consœur du Monde Florence Beaugé. Des confessions macabres qui ont irrité B. Chergui.

"Qu'il s'agisse des propos consignés dans son livre ou des confessions livrées au Monde, son récit participe du même souci", note B. Chergui. "Il s'agit d'une mise en scène spectaculaire pour occulter la question de fond. Il use de l'anecdote pour cacher l'essentiel (...) fusillé, exécuté froidement d'une balle dans la tête ou pendu, ces scénarios ne changent rien à la nature du forfait: Un dirigeant de la révolution, prisonnier de guerre de surcroît, a été victime d'une liquidation pure et simple. Il s'agit d'un assassinat. La question de fond reste de savoir qui sont les responsables de la liquidation du membre du CCE. Nul besoin d'exégèse. Les véritables responsables, les donneurs d'ordre sont les décideurs politiques de l'époque (...) ceux qui avaient vocation à gérer, depuis Paris ou au gouvernement général, le dossier algérien. Faut-il rappeler que le pouvoir politique a fait de la neutralisation des dirigeants de la révolution une priorité. Militaires et services spéciaux les ont couverts".

Vieille connaissance de "Hakim" depuis les années PPA/MTLD, "Si H'mida" -faut-il le rappeler pour l'histoire- a été injustement calomnie par un noyau de la Zone Autonome d'Alger. Et accusé d'avoir "donné" Ben M'hidi. Les cadres de la révolution et les historiens (dont Mohammed Harbi) n'ont jamais avalé cette couleuvre.

Autre confessions sur les derniers moments de Ben M'Hidi, celles du lieutenant Jacques Allaire, collaborateur direct de Marcel Bigeard. Le témoignage du lieutenant avait été diffusé, en février 1997, sur la chaîne "France 3" dans le cadre de l'émission "Brûlures de l'Histoire" de Patrick Rotman. Je rappelle, ici, l'intégralité de ses confessions que j'avais transcrites en encadré à un papier pour l'agence APS et à l'interview de Brahim Chergui avec Le Quotidien d'Oran. Sous le titre de "Que faire de Ben M'hidi?".

Verbatim du lieutenant Allaire: "Au regard de l'impression qu'il m'a faite lorsque je l'ai arrêté et tout au long des moments que nous avons passés ensemble, j'aurais aimé avoir un patron comme lui (Ben M'hidi). J'aurais aimé avoir beaucoup d'hommes de cette valeur, de cette dimension de notre côté".

"C'était un seigneur, Ben M'hidi. Il était impressionnant de calme, de sérénité et de conviction. Lorsque je lui disais 'voilà, la guerre est perdue (avec ton arrestation, ndlr), c'est terminé', il me répondait d'une manière plus sereine: 'Ne croyez pas à ça. Un autre prendra ma place'. Il n'était même pas inquiet".

"Que faire de Ben M'hidi? Nous en avons longuement discuté avec le colonel Bigeard. J'ai dit: 'Ben M'hidi est un poisson trop gros pour nous. Il faut le rendre, le donner. Le reste, ce n'est pas notre problème. C'est à l'échelon supérieur de décider de ce qu'on pourra en faire'. Ça m'a fait de la peine de le perdre, parce que je savais que je ne le reverrai plus. Je le subodorais. Je l'ai remis à l'état-major, à une équipe venue le chercher de nuit. Bien que le règlement s'y oppose, je lui ai présenté les armes. Puis, il a disparu. Il a été remis à la justice (pour être placé) dans un camp d'internement. J'ai appris par la presse et les livres d'Histoire qu'il s'est suicidé le 4 mars 1957".

Youssef Zerarka


Ce papier a été publié la première fois en 2007.

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