jeudi 20 janvier 2011

va-t-0n vers un syndrome Mohamed Bouazizi ?

Immolation : Je brûle, donc je suis

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zoom | © Saâd

Plus de 30 tentatives d’immolation par le feu. La symbolique est forte, amplifiée par le cas tunisien et exige des analyses et, surtout, des réponses. El Watan Week-end a donné la parole à trois Algériens qui ont  attenté ainsi à leur vie et a  tenté de comprendre  cet acte extrême.

A la source, le feu

Un peu d’ordre. Après l’eau, source de toutes les choses, la terre, matière première d’Adam, il y a le feu, essence de Satan, troisième élément de la création chez les musulmans, mais premier ailleurs, chez les Grecs ou les Mazdéens perses par exemple. Sacrificiel et purificateur comme l’enfer, le feu est tout autant un mythe oriental qu’un instrument politique, compris entre désespoir et protestation. Première cause de décès chez les femmes en Inde, l’immolation par le feu est partout présente dans la tradition hindouiste et bouddhiste. Tout le monde se rappelle dans les années 1970 ces bonzes entrant tranquillement dans un feu pour protester contre l’invasion américaine. Ou du Tibétain en 1998, criant «Vive le dalaï-lama», entrant sagement dans son propre feu, ou encore des cinq membres de la secte Falungong immolés sur la place Tiananmen en 2001.
Recoupée par la tradition chiite, l’immolation par le feu s’est calquée sur une vieille tradition mazdéenne, adorateurs du feu, et ces dernières années, beaucoup de militants iraniens se sont immolés par le feu pour protester. Si chez les crypto-chiites maghrébins, on préfère l’aspect sacrificiel par le sang, humain ou animal, Bouazizi, l’auto-immolateur tunisien, dont une avenue porte désormais le nom à Tunis, n’est pourtant pas le premier, même si la (déjà) trentaine de cas algériens avoue avoir été séduite par cet exemple. En Tunisie même, fin décembre, un jeune s’immolait par le feu pour des raisons de cœur. En Algérie, depuis au moins six ans, un peu partout, pour différentes raisons, les gens s’allument, le cas le plus spectaculaire ayant été ce couple à Chlef qui s’est immolé par le feu et a brûlé sa maison avec leurs enfants dedans. Rejoignant un vieux rituel gaulois, suicide de guerriers sans espoir consistant à mettre le feu à sa maison et se précipiter dans les flammes.
Un mythe  tchèque ?
A Prague, en 1969, un jeune étudiant s’immolait par le feu pour protester contre l’occupation soviétique, bientôt suivi par 24 autres. En 2003, pour protester contre la guerre en Irak, deux étudiants praguois se sont à leur tour immolés. Pour revenir en Algérie, il faut bien rapprocher cette forme de suicide aux attentats kamikazes, se tuer volontairement en adressant un message de pureté, indépendamment de l’acte, moral ou pas. Si officiellement, l’origine du kamikaze est japonaise, les premiers attentats-suicide sont attribués à une secte, celle des Assassins de Hassan Sabbah, mystique politique qui envoyait des tueurs endoctrinés assassiner une personnalité, tout en sachant que le tueur ne s’en sortira pas. L’Algérie aura donc tout connu, après les kamikazes, ont suivi les harraga, qui «brûlent» littéralement, puis les auto-immolateurs qui se brûlent à leur tour. Avec le recul, le règne Bouteflika aura été celui de ces harraga, phénomène ayant explosé au début des années 2000, mais aussi celui de l’immolation par le feu, phénomène tout récent, forme de suicide collectif géant. Triste bilan, surtout pour un homme qui, à l’origine, était venu éteindre les flammes. Qui les a rallumées ailleurs.
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-Senouci Touati. Mostaganem : Je ne suis pas fou, j’ai voulu me sacrifier !

«J’encaisse depuis des années en silence. Khezit echitane (j’ai maudit le diable) et j’ai résisté à cette petite voix en moi qui me disait de le faire. Mais c’en était trop. Trop de hogra, trop de mépris, trop de détresse et aucune autre issue que la mort», raconte Touati Senouci, 34 ans, chômeur, le Mostaganémois qui a tenté de s’immoler par le feu samedi dernier et qui se remet à peine de ses blessures. Bandages à la main et la jambe gauches, pansement sur la tête, Senouci a quitté l’hôpital depuis trois jours, mais il reste quelque peu déboussolé et a du mal à réaliser tout ce qui lui arrive. «C’était le seul moyen de dénoncer la hogra, le mépris, la mal-vie dans laquelle on s’engouffre», ajoute-t-il. Senouci s’est aspergé d’essence et n’a pas hésité à allumer le feu sur ses jambes, en face de la sûreté de wilaya de sa ville. Il a été secouru après avoir perdu connaissance. A travers le pays, ils sont 11 à avoir tenté cette forme de contestation, à quelques jours ou heures d’intervalles, mais Senouci n’avait même pas entendu parler des autres cas déclarés ailleurs avant de passer à l’acte.
Seuil de révolte
«Pourquoi ne pas déclencher des émeutes, une mobilisation pacifique pour revendiquer au lieu d’importer des pratiques contraires à la religion ?», se demande une habitante du centre-ville. Adel, vendeur de cigarettes ambulant rencontré au boulevard Benyahia Abdelkader, à quelques mètres du lieu où Senouci a tenté de se suicider, répond : «Quand on arrive à un certain seuil de révolte et de souffrance, on ne peut qu’exploser.» Et d’ajouter : «Ce n’est pas nouveau dans la région, mon frère s’est immolé par le feu en 2003, pour presque les mêmes raisons que Senouci : chômage, indifférence des autorités locales, hogra.» «J’ai voulu me sacrifier, je voulais faire entendre ma voix et servir la cause des autres que j’aurais laissé derrière moi», raconte Senouci. Pourquoi avoir tenté l’extrême ? «J’étais contractuel dans l’armée et j’ai été écarté en 2002 à cause d’un retard que j’ai fait alors que j’étais en permission. J’étais malade et je l’ai justifié. Depuis, j’ai perdu mon poste et je galère pour avoir droit à une pension. J’ai déposé des requêtes mais l’administration m’ignore», explique-t-il.
Senouci avait alors 22 ans. Depuis, il vit avec six membres de sa famille dans un F3 exigu. Il a déposé plusieurs demandes d’emploi restées sans suite, et n’a trouvé que la rue pour survivre : il gère le parking de la cité 5 Juillet 1962. «La semaine dernière, un homme s’est fait poignarder dans le quartier, j’ai alerté la police. Après qu’ils aient identifié l’agresseur, certains officiers m’ont harcelé pour que je témoigne, mais j’ai refusé, car je n’ai rien vu. Ils n’ont pas cessé alors de m’intimider pour me faire passer pour le témoin dont ils avaient besoin, c’en été trop», confie-t-il. «Il s’est brûlé et va brûler en enfer, son acte est méprisable», condamne un vieil homme adossé à l’un des murs mitoyens avec le siège de la sûreté de wilaya. Un autre ayant assisté à la scène souligne ne pas comprendre «cet effet de mode dans la détresse».
«Toute ma tête»
Certains condamnent, d’autres s’émeuvent alors que d’autres encore en profitent pour pointer du doigt les dirigeants politiques : «Ces jeunes sont livrés à eux-mêmes, c’est atroce», s’exclame Naïma, une habitante du quartier. D’autres encore, surtout du côté des autorités, préfèrent mettre ces signaux de détresse sur le compte de la… folie ! A quelques mètres du commissariat central de Mostaganem, un officier de policier esquisse un sourire dès que le nom de Senouci est prononcé : «C’est un malade mental, il ne voulait même pas mourir, c’était juste pour faire l’intéressant !», dit-il en manipulant son talkie-walkie. «S’il avait voulu se tuer, il aurait utilisé plus d’essence, cet homme est simplement fou», lâche l’officier qui résout aussi simplement le «cas» Senouci. Pour le représentant de la loi, il ne s’agit ni de contestation ni d’exemple tunisien à suivre. Ce qu’en pense Senouci ? «Dès que j’ai repris connaissance, la police est venue me chercher de la maison pour prendre ma déposition et comprendre mes réelles motivations, ils ont reçu l’ordre de Hamel (patron de la DGSN, ndlr) disaient-ils. Ils m’ont aussi emmené chez un psychiatre avec qui j’ai discuté et qui a bien compris que malgré cet acte de désespoir, j’avais toute ma tête. Je ne les laisserai pas me faire passer pour un fou!», explique-t-il calmement.


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-Fatema. Sidi Bel Abbès : Je n’ai pas supporté de voir ma mère humiliée à l’APC

«Je voulais mourir, je veux encore mourir», s’exclame Fatema sur un ton suppliant. Première Algérienne à avoir tenté de s’immoler, cette quadragénaire, divorcée, ne regrette pas son acte. C’est la première chose qu’elle précise après avoir soulevé le rideau de la porte d’entrée de l’habitation où elle vit à Bordj Djaâfar, un village au sud de Sidi Bel Abbès. Assise sur un tapis qui centre une pièce quasiment vide, Fatema montre du doigt les deux pièces de sa maison en énumérant les membres de la famille Abou : dix personnes. «On vit avec la pension de ma mère, 6000 DA par mois, et personne ne travaille à la maison», précise-t-elle. Il y a 20 ans, alors fraîchement mariée à un homme de Tellagh, elle rêvait d’une vie paisible et simple, mais sept mois passés sans tomber enceinte ont mis fin à ce rêve.
Depuis, elle résiste aux pressions de ses frères qui ne veulent plus d’elle, notamment parce qu’elle ne s’entend pas avec l’une de ses belles sœurs. Demandes de logement et d’emploi déposées à l’APC sont restées sans suite : «Ils n’ont même pas voulu me recruter comme femme de ménage parce que je suis divorcée et sans enfant, la loi ne le permet pas, disent-ils.» Lundi dernier, une rumeur circulait dans le quartier : «L’APC a lancé une opération de restauration des habitations précaires.» Fatema raconte que sa mère s’est présentée, mais a été sévèrement rabrouée : «Je n’ai pas supporté de la voir éplorée et humiliée, je suis donc allée à l’APC de Sidi Ali Benyoub. Ils m’ont dit que dix cas ont été choisis, on a retiré notre dossier de la liste en me précisant que si ça ne me plaisait pas, je n’avais qu’à me plaindre ! Jai pris de l’essence de la moto de mon frère et je suis repartie à l’APC. Je voulais qu’ils me voient mourir.»
L’émotion est trop forte, Fatema éclate en sanglots puis se calme pour poursuivre : «Je me suis aspergée d’essence mais un policier m’a confisqué le briquet.» Elle ajoute : «Je voulais juste mourir.» Mais elle n’a déjà plus de mots. Sa mère poursuit : «Une délégation envoyée par le wali est venue visiter notre habitation ce matin. A-t-on le droit d’espérer ?»


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-Mohamed Aouichia.Bordj Menaïel : El Intisar aou El Intihar, (la victoire ou le suicide)

Mohamed Aouichia était hier encore sur son lit d’hôpital à Bordj Menaiel. Ce citoyen qui s’est immolé par le feu le 12 janvier dernier, dans l’enceinte du siège de la daïra, était hier à bout de  nerfs. Pas question pour lui de regretter ce qui s’est passé. Pour le moment, rien de concret ne lui est parvenu de la part des autorités locales quant à la prise en charge du problème de logement qui l’a poussé à commettre cet acte désespéré. «Il n’y a que le chef de daïra qui est venu me voir le lendemain au service des urgences. Sinon ni le maire ni aucun autre ne s’est inquiété sur mon sort», fulmine-t-il avec une voix inaudible. Et de renchérir : «Moi, j’ai un problème de logement. Je vis, depuis 2003,  dans un espace de 30 m2 avec sept autres personnes, dont une fille de 21 ans, étudiante à l’université».
«J’ai frappé à toutes les portes et tenté tous les coups… Je n’ai plus d’autre solution. C’était ma dernière chance, car j’étais sûr  que je serai parmi les bénéficiaires du quota des 100 logements de ma commune, Cap Djenet», poursuit-il en exhibant une liasse de documents et de fausses promesses écrites qui lui ont été faites durant les années précédentes. Relatant les circonstances du drame, Mohamed souligne : «Dès que  j’ai su qu’on m’a exclu de la liste, je me suis approché des responsables de la daïra où je travaillais comme agent de sécurité depuis 2003, pour connaître les raisons de cette exclusion.  Malheureusement, ils m’ont tous répondu par la négative… Après j’ai fait ce que j’ai fait. Pour moi El Intisar aou El Intihar, (la victoire ou le suicide)», nous confie-t-il les larmes aux yeux.
Interrogé s’il était touché ou influencé par l’acte de Bouazizi de Sidi Bouzid en Tunsie, Mohamed lance : «Moi je ne fais pas de politique. Je lutte pour le social et pour avoir un toit où je puisse vivre décemment avec mes enfants. Je pense qu’il n’y a personne qui peut dormir avec sa sœur ou sa fille de 20 ans dans une même chambre. Il y a de flagrantes injustices dans ce pays. Les responsables vivent tous dans de luxueuses villas alors que des centaines de familles vivotent dans des conditions intenables.» Mohamed nous a confié enfin qu’il quittera son lit d’hôpital dans les heures qui viennent. Mais on ne sais toujours pas s’il va rejoindre la maison qui était à l’origine de son acte ou un nouveau toit qui lui permettra de guérir de ses maux et rejoindre son lieu de travail  le plustôt possible.


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Abdelhak Benouniche. Psychiatre à l’hôpital Maillot, Bab el Oued (Alger) : En situation de grande détresse, la pulsion se retourne contre soi

-Pour un psychiatre, qu’est-ce qu’évoque cette série de tentatives d’immolation par le feu ?
Pour moi, ces cas répétés dans le temps et dans l’espace montrent que l’explication économique à elle seule ne suffit pas. A une grande désespérance, causée entre autres par la précarité, se greffe une mélancolisation du lien social. Ce dernier est atteint. Les individus ne sont plus portés par le groupe : ils se retrouvent dans une grande solitude que rien ne vient tempérer.
-Est-ce la raison pour laquelle on passe d’un mode de protestation collective (l’émeute) à un mode individuel ?
On voit effectivement émerger une figure nouvelle : l’individu qui n’est plus noyé dans le groupe mais se retrouve isolé à porter des responsabilités qu’il ne peut plus partager. Le feu renvoie aussi à une symbolique, celle de la puissance, d’un ultime pouvoir, celui de se détruire, que l’individu se donne et que personne ne peut lui enlever. Là encore, il s’exprime seul, non plus par le groupe.
-Peut-on faire un lien entre la violence des formes de suicide en Algérie et les violences qu’a connues le pays ?
On commence à se rendre compte seulement maintenant que les traumatismes de la décennie noire sont beaucoup plus importants qu’on le pensait. Le traumatisme collectif est tel qu’il a pénétré la conscience collective. De nombreux interdits ont empêché la souffrance de ces dix dernières années de s’exprimer comme elle aurait dû le faire par le langage. Or, le sens des événements, en restant hors langage, hors sens, en n’étant pas symbolisé, ne peut resurgir que dans le passage à l’acte. Cette souffrance prend donc la forme d’un acte moteur retourné contre l’individu. Car dans certaines situations de précarité sociale accompagnée d’une grande détresse psychique, on assiste à un retournement de la pulsion contre soi.      

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-Actu : Deux nouveaux cas à  M’sila et Bordj Bou Arréridj

Deux nouvelles tentatives d’immolation viennent de s’ajouter aux huit enregistrées cette semaine. Dans la soirée du mercredi, un quadragénaire, habitant la ville de M’sila, père de deux enfants de 8 et 11 ans, s’est aspergé d’essence avec ses enfants devant le parvis du siège de la wilaya. Les gardiens et policiers ont pu intervenir avant qu’il ne mette le feu. La raison de son acte serait liée au fait que sa famille dorme dans le noir depuis quatre jours alors qu’il venait de payer une facture d’électricité tardive.
Près de Bordj Bou Arréridj, un jeune homme de 26 ans a tenté de s’immoler par le feu, mercredi, à l’intérieur du tribunal de Ras El Oued. Le jeune K. L. était désespéré après s’être vu refuser sa demande de récupérer sa moto, mise en fourrière suite à un accident de la circulation. Selon des sources locales, ce jeune homme s’est aspergé le corps avec un liquide inflammable, avant de tenter d’y mettre le feu en plein tribunal. L’homme a eu la vie sauve grâce à l’intervention rapide des employés de l’administration. Le jeune homme, légèrement brûlé, a été évacué vers l’hôpital où il est suivi par un psychologue.
Chawki Amari, Mélanie Matarese, Ramdane Koubabi, Ghellab Smail

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