mercredi 9 février 2011

Algérie- L’ambassadeur de France à Alger: le régime et les émeutes

il était AUDITIONNÉ PAR L’ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE

Par Mohamed Chafik Mesbah

A la suite des manifestations qui sont intervenues en Algérie du 7 au 11 janvier 2011, M. Xavier Driencourt, l’ambassadeur de France à Alger, a été soumis à un exercice ardu à travers son audition par la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française. A l’origine, l’ambassadeur français à Tunis, M. Pierre Menat, devait, lui aussi, subir la même épreuve. Ayant été, entretemps, définitivement rappelé de Tunis, le gouvernement français a dispensé son ambassadeur de l’exercice. L’audition de M. Driencourt auprès de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française s’est déroulée le 18 janvier 2011 et son compte- rendu établi sous le n° 29 est disponible en version électronique sur le site Web de cette institution.
Substance générale de l’audition L’audition de l’ambassadeur de France à Alger comporte, imbriquées les unes aux autres, la description sommaire des évènements (durée, forme, cibles visées, slogans scandés, conduite des pouvoirs publics et bilan) suivie d’une analyse sommaire (causes des émeutes, interprétation des slogans, impact sur la société civile et la société politique). L’ambassadeur de France a été, naturellement, invité par les membres de la Commission des affaires étrangères qui l’avaient requis, à dresser un état des lieux plus général de la situation en Algérie et à proposer une évaluation des menaces qui pèseraient et sur le régime algérien et sur les intérêts français.
La description des émeutes du mois de janvier 2011 par M. Driencourt L’ambassadeur insiste sur «le caractère spontané, soudain et bref» des manifestations qui, parties de la capitale, se sont étendues à l’ensemble des villes, grandes et moyennes, du pays. M. Driencourt note que, dans la capitale, les manifestations ont touché «certains quartiers précis (Belcourt, Bab- El-Oued ou, encore, El-Biar)». Les jeunes manifestants, affirme l’ambassadeur, de «jeunes garçons âgés de 14 à 18 ans», se sont déplacés d’«un lieu à l’autre de manière très concentrée» avec une rapidité qui renvoie, selon M. Driencourt, à un «vol de sauterelles » (!). L’ambassadeur français, minimisant l’importance des manifestations, relève, avec insistance, que les classes moyennes n’y ont pas participé. M. Driencourt estime, à cet effet, que son appréciation est confortée par le fait que «le samedi 8 et le dimanche 9 janvier, les rues étaient désertes». L’ambassadeur de France à Alger affirme, par ailleurs, que ce sont des «cibles symboliques » qui ont été visées : «bijouteries, magasins d’articles de sport, magasins de téléphonie et garages, y compris Renault et Peugeot». M. Driencourt note que les pouvoirs publics ont réagi, face à la situation, par «une tactique policière d’une grande retenue». Il crédite, d’ailleurs, la police algérienne d’«une expérience bien supérieure à celle de la police tunisienne». Par contre, il retient que «les autorités politiques sont demeurées silencieuses » à l’exception notable, précise-t-il, du ministre de l’Intérieur, M. Ould Kablia, «très présent dans les médias». L’ambassadeur français reprend, enfin, à son compte, le bilan officiel des morts et des blessés («6 morts et 863 blessés»).
L’analyse par M. Driencourt des manifestations du mois de janvier 2011Evoquant les causes qui seraient à l’origine des manifestations, l’ambassadeur français cite, en premier lieu, le renchérissement du prix des produits de base — sucre, farine et huile —. Il explique que ce renchérissement est dû à des «évènements climatiques ces derniers mois» (!). Il ajoute, cependant, que cette hausse est due, aussi, aux mesures prévues par le gouvernement algérien pour avril 2011, «l’instauration de la taxe sur la valeur ajoutée de 17% et une taxe sur les produits intérieurs de 3%». M. Driencourt évoque, également, pour mémoire, la décision, dont l’application était prévue pour la même date, qui prévoyait de subordonner toutes les transactions commerciales égales ou supérieures à 500 000 DA au paiement par chèque. Abordant l’aspect macro-économique des choses, l’ambassadeur cite, avec une grande prudence, que la politique économique du gouvernement pourrait avoir été une cause de nuisance : «La politique d’autarcie économique qu’il (le gouvernement algérien) a lancée il y a un an et demi était quelque peu suicidaire. » M. Driencourt aurait dû préciser que ce qui pose problème ce sont moins les fondements de cette politique que les conditions bureaucratiques — et peu réfléchies — de leur mise en œuvre. Autrement, il n’aura fait que répercuter le point de vue intéressé des entreprises françaises. L’ambassadeur français recense bien, par ailleurs, ce qui constitue les causes réelles des manifestations : «Mal-vie et désœuvrement de la jeunesse.» Il semble les classer en position secondaire. M. Driencourt ne manque pas de citer l’hypothèse de la manipulation des manifestants – en la liant à la lutte contre l’économie informelle que le gouvernement a voulu engager — mais c’est pour ajouter, aussitôt, qu’il faut aborder cette hypothèse «avec la plus grande prudence». Pour corroborer son constat sur le caractère limité, bref et, finalement, sans gravité des manifestations, M. Driencourt se livre à l’explication suivante : «Les manifestations en Algérie n’avaient rien à voir avec les émeutes en Tunisie. A preuve, les émeutes n’ont pas duré plus d’une semaine. Elles furent le fait de casseurs motivés par la hausse des prix» (!). M. Driencourt ne précise pas si ces propos sont les siens ou ceux du ministre de l’Intérieur algérien ! Précisément, l’ambassadeur de France à Alger évoque, furtivement, les revendications exprimées par les manifestants. Mais c’est pour relever que contrairement aux «manifestants tunisiens dont les revendications ont été, d’emblée, d’ordre politique (…) elles n’ont porté que sur la hausse des prix en Algérie» ( !). M. Driencourt insiste, fortement, sur le caractère circonscrit, au plan de l’impact social, des manifestations en précisant que les classes moyennes n’y ont pas adhéré. Toujours pour expliquer cet impact social limité, l’ambassadeur français se livre à un commentaire qui laisse dubitatif : «A la différence des autres pays touchés par ce malaise “les mouvements sociaux” dans l’Algérie qui vient de traverser 15 ans de terrorisme, la société civile algérienne est peu encline à considérer, positivement, les phénomènes politiques nés dans la rue, de crainte de voir le tissu social se déchirer à nouveau, ouvrant la voie au retour du terrorisme» ( !). Sur le même registre, l’ambassadeur français se fait tranchant en constatant : «Les manifestations n’ont fait l’objet d’aucune tentative de récupération par les partis politiques, ni par les mouvements religieux.» Il croit même enfoncer le clou avec cette précision : «Ali Benhadj, l’un des chefs historiques du Front islamique du salut (FIS), a tenté de se mêler à une manifestation à Alger, mais les jeunes manifestants ne le connaissaient pas !» Bien que des garages concessionnaires des marques Renault et Peugeot aient été saccagés, l’ambassadeur français récuse l’hypothèse que les intérêts français aient été, explicitement, ciblés. Pour preuve, ajoute- t-il, «des garages Ford et Suzuki (…) ont été victimes de pillages, donc pas uniquement des marques françaises». M. Driencourt reprend, enfin, le propre bilan du gouvernement algérien : «6 morts et 863 blessés.»
Appréciation de la situation générale en Algérie et scénarios d’évolution, selon M. Driencourt Invité par les députés français, provenant de toutes les sensibilités politiques, à se prononcer sur le potentiel de contestation sociale dans le pays – par delà même les manifestations du mois de janvier 2011 — l’ambassadeur de France à Alger se montre, particulièrement, prudent. Il relève bien que le taux de chômage est élevé, que le manque persistant de logements est lancinant — notamment dans les grands centres urbains — que le poids des dépenses d’alimentation dans les budgets des ménages est important ; bref, il suggère bien que la précarité sociale est installée, mais il n’établit pas, par exemple, de lien de causalité entre la malvie qui s’en suit et le phénomène des harraga, ces innombrables migrants clandestins, postulants potentiels à la mort, qui s’aventurent à traverser, dans des embarcations de fortune, la Méditerranée. C’est au détour d’une phrase que ce phénomène est, subrepticement, évoqué. Celui des immolations par le feu qui avait débuté à la date de l’audition est, totalement, occulté. M. Driencourt admet, néanmoins, presque à son corps défendant, que l’état des lieux est inquiétant : «Le choc civilisationnel ne fait aucun doute. La population est très jeune.» Ayant évoqué, en introduction à son exposé, «de graves mouvements sociaux (en Algérie)», M. Driencourt ne semble pas pouvoir considérer ces derniers comme donnée structurelle de la situation en Algérie. Il s’abstient, aussi, de se prononcer sur les scénarios d’évolution de la situation en Algérie. C’est, néanmoins, l’improbabilité d’une explosion populaire comparable à celle de la Tunisie qui transparaît, en filigrane, dans son exposé. Pour bien marquer la différence de contexte entre l’Algérie et la Tunisie, M. Driencourt évoque, de manière ambiguë, la nature de la gouvernance en Algérie et parle, par ellipses, d’«un système à la fois égalitariste et éclaté dans lequel différents cercles interviennent.» («Contrairement à la Tunisie, rajoute-t-il, où le régime est de nature clanique et même familial» ( !)). Il fait l’éloge d’«une presse qui fait preuve d’une étonnante liberté de ton» («la liberté de la presse instaurée voici vingt ans, insiste-t-il, est une réalité » (!). Il se livre, enfin, à une analyse où la sociologie se mêle à la psychologie pour affirmer que les classes moyennes ne seront pas réceptives à un vent de révolte car elles auront peur d’un processus violent pouvant déboucher sur le chaos.
Observations Sans doute, les autorités politiques françaises doivent-elles disposer de sources d’information complémentaires (services de renseignement, bureau militaire et colonie française en Algérie) pour disposer d’une évaluation plus appropriée de la situation. Car il s’agit, après tout, selon l’avis des plus éminents stratèges français, d’un pays, l’Algérie, qui constitue pour la France «une profondeur stratégique». Attardons-nous sur la forme, un instant. L’exposé de M. Driencourt ne paraît pas être articulé autour d’une démarche inspirée par une problématique centrale dont l’examen est décliné suivant un enchaînement logique des parties. Dans le cas d’espèce, c’est plus un patchwork où, pêle-mêle, des thèmes disparates sont abordés sans lien causal évident. Les données fournies dans l’exposé de M. Driencourt ne sont pas, totalement, inexactes. Il est frappant, cependant, de relever une certaine imprécision dans les faits rapportés ainsi qu’une lourde ambiguïté dans les interprétations proposées. S’agissant d’un exposé présenté par l’ambassadeur de France à Alger devant l’Assemblée nationale de son pays, il est permis de s’étonner. Pourquoi M. Driencourt s’efforce-t-il de minimiser, à l’excès, les manifestations intervenues à Alger auxquelles il dénie, hâtivement, toute connotation politique. Les aspirations à une vie digne et décente, leitmotiv de la jeunesse désœuvrée, ce n’est pas, au sens subliminal, un message politique par excellence ? M. Driencourt qui insiste, presque avec emphase, sur la liberté de la presse omet de rapporter, toutefois, que les journaux – les moyens audiovisuels, tous de statut public étant verrouillés – se maintiennent, pour la plupart, grâce à la publicité que distribue l’agence officielle Anep. Il en résulte des obligations évidentes sur la ligne éditoriale, soumise, en effet, à une forme d’auto-censure. M. Driencourt ne donne, par ailleurs, aucune indication concrète sur l’impact de la généralisation de l’internet ainsi que l’audience des chaînes satellitaires, à commencer par Al- Jazeera. Pourtant, ces deux moyens d’accès à l’information revêtent, désormais, une place essentielle dans le processus de veille et d’éveil de la société algérienne, particulièrement la jeunesse, face à la réalité mondiale. Examinons, aussi bien, le fond de l’exposé de M. Driencourt. L’analyse proposée, de même que les conclusions esquissées souffrent d’un manque de maturation conceptuelle manifeste. La vision des choses à la lumière des éclairages que les sciences sociales peuvent procurer est absente dans l’exposé. De même, la vision prospective qui fonde la décision politique. Dans cet exposé, la problématique centrale est censée porter, a priori, sur l’identification du potentiel de contestation existant au sein de la société algérienne et sur l’évaluation des conséquences pouvant résulter, en cas d’explosion sociale, sur la pérennité du régime algérien et sur la sauvegarde des intérêts français. L’ambassadeur français élude cette problématique, du moins il l’aborde superficiellement. Il articule son argumentaire autour de deux données principales : premièrement, «le pays est riche, dispose de réserves importantes, n’est pas endetté» ; deuxièmement, il existerait une communauté d’intérêts entre le régime et les classes moyennes qui permet d’éloigner le spectre de l’explosion sociale. Lorsqu’il examine la menace qui pèse sur les intérêts français, M. Driencourt écarte, avec quelque légèreté, tout danger important, oubliant, sans doute, que Peugeot et Renault sont, parfaitement, perçues comme firmes françaises par l’opinion publique nationale. M. Driencourt néglige, aussi, de toute évidence, la rancœur entretenue par la jeunesse algérienne vis-à-vis de la politique restrictive de délivrance de visas pratiquée par la France. Il ne tient pas compte, apparemment, de l’impact laissé sur les jeunes Algériens — où se régénère le courant islamiste plébéien — de la fameuse phrase énoncée, en 2008, par le président Sarkozy : «Je soutiens M. Bouteflika pour éviter d’avoir les talibans à Alger.» Il se dérobe à la question qui porte sur les interactions prévisibles entre d‘éventuelles violentes manifestations en Algérie et l’agitation qui s’ensuivrait au sein de la communauté algérienne en France. Sur une autre question, essentielle, la pérennité du courant islamiste en Algérie, M. Driencourt se livre à un raccourci. Il suggère, tout bonnement, que la question de la dangerosité de ce courant est absorbée grâce à la présence du Hamas au gouvernement. Peut-il ignorer que le Hamas, présent, effectivement, au gouvernement, est perçu par la grande majorité de la population comme un club d’hommes d’affaires et de commerçants plutôt que comme un parti islamiste ? La substance du courant islamiste est toujours présente, mais dans sa consistance plébéienne, dans les tréfonds de la société, se nourrissant, précisément, du désenchantement de la jeunesse. C’est une forme presque institutionnelle de l’islamisme qui a disparu, pas le phénomène sociétal qui demeure entier. Ce n’est de ne pas avoir été interpellé par les députés français que M. Driencourt pourrait se prévaloir. Ces députés ont même recouru à un ton des plus incisifs pour inciter l’ambassadeur à s’exprimer. Notons, pour l’exemple, ce député, M. Jacques Myard, qui tance, presque, l’ambassadeur : «Vos explications sont conjoncturelles mais l’Algérie est confrontée à des problèmes structurels de long terme.» Et cet autre, M. Paul Giacobbi, qui paraît suggérer, volontiers, à l’impétrant de revoir ses leçons : «Vous avez parlé de statu quo. Mais l’impression est que ce pays vit une succession de statu quo anté, d’une situation bloquée à une autre, d’année en année.» S’agit-il, de la part de l’ambassadeur français, d’une attitude dictée par la prudence ou, vraiment, par le manque cruel d’informations. Pour justifier la substance vide de l’exposé de M. Driencourt, il peut être invoqué le profil de carrière de M. Xavier Driencourt. Il n’a eu à assumer, pour l’essentiel, que des responsabilités administratives et techniques, à l’exclusion de l’intermède de Kuala Lumpur, où il eut à représenter, en qualité d’ambassadeur, son pays auprès de la Malaisie. Mais, après tout, il dispose, à Alger, au sein de son ambassade, d’une administration, presque pléthorique, qui lui permet de s’informer, plus amplement, sur la situation en Algérie. La substance insignifiante et timorée de l’exposé de M. Driencourt peut tenir, néanmoins, de la prudence. Une attitude dictée par le souci de ne pas contrarier les pouvoirs publics algériens qui savent, parfaitement, étouffer, dans l’œuf, les velléités de critiques françaises sur la gouvernance en Algérie. Autrement, il paraît invraisemblable que l’ambassade française, pas seulement l’ambassadeur, soit aussi lointaine des réalités sociales, économiques et politiques en Algérie. Pour preuve, M. Bajolet, le prédécesseur de M. Driencourt – jusqu’à tout récemment coordinateur du renseignement auprès du président Nicolas Sarkozy – ne semblait pas ignorer l’état des lieux, dans sa globalité. A en croire le câble diplomatique américain daté du 23 janvier 2008 que WikiLeaks a publié, M. Bajolet évoquait, on ne peut plus clairement, celui-ci : «Les perspectives (pour le régime algérien), que ce soit pour le moyen ou le long terme, ne sont pas bonnes.» M. Bajolet — au nom d’une real politic dont la France fera les frais en Tunisie — tempérait, cependant, son constat en affirmant, sans détour : «Sans successeurs véritables, aller contre Bouteflika pourrait ouvrir d’autres sources d’instabilité.» Bref, l’exposé de M. Driencourt est muet sur tous les aspects saillants de la situation vécue par l’Algérie et à propos desquels les députés français souhaitaient obtenir un éclairage plus satisfaisant. Quid de la gouvernance publique en Algérie qui traverse une crise chronique ? Quid du potentiel de contestation sociale et politique enfoui dans la société algérienne ? Quid des menaces sur la stabilité du régime atrophié en Algérie et des implications sur la sauvegarde des intérêts français ? Les réponses à ces questionnements auraient, sans doute, procuré aux députés français les informations utiles pour pouvoir demander à leur gouvernement de soumettre à aggiornamento sa politique algérienne. De 2008 — date où M. Bajolet ne voyait pas d’alternative au statu quo — à 2011— date à laquelle la jeunesse a fait irruption violente sur la scène —, la real politic si chère à la diplomatie française a-t-elle évolué jusqu’à prendre la mesure de l’usure d’un système finissant intégrer, courageusement, la prise en compte des aspirations légitimes de la société algérienne à la liberté et à la justice sociale ? Voilà, finalement, la seule question d’intérêt pour le peuple algérien et M. Driencourt s’est bien gardé d’y répondre dans son audition du 18 janvier dernier.
Conclusion Ce n’est pas tant M. Driencourt qu’il faudrait blâmer que le gouvernement français lui-même. L’exposé de l’ambassadeur français est instructif, seulement, en ce qu’il relève, finalement, le désintérêt des autorités politiques françaises pour l’Algérie. Un pays qui était-il précisé constitue une profondeur stratégique pour la France. L’Algérie est le pays qui, après la France, contribue le plus à l’expansion de la langue française. Le marché algérien concourt, fortement, à l’écoulement des produits manufacturés français. La communauté algérienne émigrée en France apporte un souffle, désormais, reconnu à la croissance de ce pays et à son renouveau démographique. Comment expliquer, alors, ce désintérêt pour l’Algérie sinon l’appétit vorace que suscite sa manne financière et qui se manifeste, quant à lui, avec une grande constance ? Où est la grande politique algérienne qui aurait dû fonder la démarche de la France vis-à-vis de l’Algérie ? L’absence de vision stratégique décelée chez les gouvernants algériens actuels — interdisant une projection dans la durée des projets de coopération ou d’investissement —, la défaillance de l’administration algérienne – tatillonne et peu performante —, la résignation apparente du peuple algérien à un sort peu enviable – diagnostiquée comme une marque d’«immaturité politique » par certains —, ces arguments ne sont que prétexte pour justifier la mise entre parenthèses de l’Algérie — rapports de coopération stratégiques, mutuellement, féconds aussi bien qu’oreille d’écoute pour les aspirations démocratiques du peuple algérien — dans les préoccupations essentielles des plus hautes instances françaises ? Juste une image pour illustrer cette affirmation. L’ancien Premier ministre français, M. Jean-Pierre Raffarin, personnalité éminente et respectable, n’aurait pas dû être relégué à cette mission subalterne de vade-mecum consistant à défendre les intérêts matériels d’entreprises françaises en difficulté en Algérie. Il aurait dû être dépêché en ambassadeur d’exception auprès de l’Algérie avec la tâche, bien plus noble, de tout faire pour contourner les contrariétés qui obstruent la voie à ce partenariat historique entre les deux peuples dont il a été question. Entre la solidarité due à un peuple qui combat pour le changement démocratique et le risque d’ingérence dans les affaires d’un Etat souverain, il existe de la marge. Autrement, demain, lorsque le potentiel révolutionnaire qui agite les tréfonds de la société algérienne aura trouvé son chemin et qu’il aura fait irruption sur la scène, lorsque l’Algérie renouera avec la prospérité économique, la justice sociale et le rayonnement international, rien ne servira, comme pour la Tunisie, d’invoquer la bonne foi («Je n’ai pas pris la mesure de la désespérance et de la souffrance du peuple tunisien», président Nicolas Sarkozy). Il sera trop tard, l’Histoire ne connaît point de halte.
M. C. M.

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