vendredi 11 février 2011

Maghreb in English : Le Maroc, c’est pas pareil


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Soulèvements populaires dans le monde arabe
Dessin de Hic, in El Watan

Dans la presse en anglais cette semaine, les avis des experts divergent sur l’Algérie (va-t-elle ou non vers la révolution ?) mais tous (ou presque) s’accordent à assurer que le Maroc, lui, ne risque rien, pour la simple raison que tout y va très bien.

« L’Algérie est fréquemment citée comme le prochain domino qui tombera », écrit le Daily Star libanais « mais l’Algérie n’est pas l’Egypte ou la Tunisie » continue l’auteur de l’article, un analyste américain, Geoff Porter pour qui « l’Algérie est différente des autres pays du Moyen-Orient parce qu’elle a déjà eu sa révolution et qu’elle n’a pas l’estomac pour en faire une autre ». L’analyste du Daily Star rappelle le coup d’Etat militaire qui avait interrompu les premières élections libres en Algérie en 1991 et la sanguinaire violence qui s’en est suivie pendant dix ans, «rendant les Algériens méfiants envers les changements brutaux ». Les Algériens continueront à être en quête de changement mais pas si cela « risque de les faire descendre dans une nouvelle décennie de chaos », conclut le Daily Star.

Les effets de l’usure qu’ont pu provoquer les violences des années 90 sur les ressorts de la société algérienne ne semblent absolument pas un facteur pris en compte dans une autre analyse, venue également du Liban, mais s’exprimant dans le Los Angeles Times, celle de Lahcen Achy qui affirme d’emblée que «les revenus du pétrole n’empêcheront pas une insurrection sociale en Algérie ». Ces revenus ont permis au gouvernement algérien jusqu’alors
d’acheter la paix sociale, explique encore Lahcen Achy, mais plus que la subvention des prix des aliments de base et l’augmentation des salaires des fonctionnaires, la rue demande « un changement fondamental des politiques ». Et si les autorités ne répondent pas à ces demandes, « elles seront forcées à faire des concessions non moindres que celles obtenues par les Tunisiens et que recherchent les Egyptiens en ce moment ».

L’opposition algérienne incapable de conduire une révolution

De son côté Andrew Lebovich dans Foreign Policy tente d’expliquer pourquoi si l’Algérie souffre des mêmes afflictions que les autres pays arabes, il demeure peu probable d’y voir éclater des révoltes en masse, en s’intéressant à l’identité de ceux qui appellent à manifester. « Non seulement les partis d’opposition en Algérie sont impuissants, mais ils sont divisés et ne sont pas populaires », explique Foreign Policy pour qui la manifestation à laquelle avait appelée le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie le 22 janvier dernier avait été un échec parce que le RCD est peu représentatif et qu’il est sapé par « la proximité de son leader Said Sadi avec le chef des services secrets, le général Mohamed ‘Tewfik’ Mediene ».

Quant au Maroc, « c’est pas pareil » écrivent plusieurs plumes dans diverses publications américaines, allant de Fox News au journal du Congress, The Hill. Le Washington Post, lui, nous dit que le Maroc « c’est plus compliqué ». Plus compliqué que quoi ? On ne le saura jamais vraiment, mais l’idée force de l’auteur, Katherine Marshall, qui est une lobbyiste du « rapprochement des religions », est que « le Maroc continuera à être l’exception, quelque peu affecté par des événements qui ont lieu plus loin à l’est mais assez fort et assez stable pour qu’un soulèvement majeur qui déstabilise le régime soit peu probable ».

La « légitimité religieuse », source de stabilité

Et même s’il connaît « les mêmes problèmes qui ont poussé au soulèvement tunisien », relève encore la chroniqueuse religieuse du Washington Post, à savoir « chômage important chez les jeunes, graves dysfonctionnements du système éducatif et sentiment chez la population d’une corruption grandissante, le Maroc a tout de même connu une progression avec une croissance économique décente qui a fait diminuer la pauvreté, une espérance de vie passée de 55 ans en 1970 à 73 ans en 2009 et un taux de natalité tombé de 6.3 à 2.3 ». Mais surtout, explique encore le Washington Post, le système politique marocain, parce qu’il est différent, empêchera de facto l’avènement d’une révolution : « C’est une monarchie constitutionnelle stable (la monarchie a régné pendant plus de 300 ans) avec une vie politique active. Le roi Mohammed 6 est perçu comme véritablement dévoué au bien-être de son peuple ».

Encore plus que tout cela, « la singularité du Maroc réside dans ses qualités religieuses. Le roi est le leader religieux de la nation, appelé Commandeur des croyants et fait remonter sa descendance au Prophète de l’Islam Sidna (en arabe dans le texte, ndlr) Mohammed à travers sa fille Lalla Fatima Zohra. (…) Le Maroc est en train de donner une nouvelle vie à une expression à la charge jusque-là plutôt maligne, celle d’islam modéré ».

Réponses au prince Hicham

Même si elle peut nous sembler plutôt étonnante et même orientalisante comme explication, celle consistant à expliquer la stabilité du Maroc par le fait que son roi soit « Commandeur des croyants », elle semble de plus en plus populaire auprès des éditorialistes américains qui défendent l’idée de « l’exception marocaine ». On la retrouve dans une tribune du journal du Congress, The Hill (ici), signée par un ancien ambassadeur américain au Maroc et aujourd’hui « conseil du gouvernement marocain», Edward M. Gabriel, et dans une autre tribune sur le site de Fox News, écrite par Ahmed Charai, le directeur de Med Radio. Dans cet article et les précédents qui rappellent un peu ceux qu’on avait l’habitude de lire dans les médias occidentaux sur la douceur de vivre en Tunisie avant le 17 décembre, il y a une réponse parfois tacite parfois ouverte à la longue interview qu’a donnée le cousin royal, le prince Hicham, au journal El Pais (en français ici) et dans laquelle il s’étendait sur les raisons qui font qu’il n’y a pas d’exception marocaine aux mouvements populaires qui soulèvent dans tous les pays arabes la question de la dignité et de la liberté. La plume de Fox News qui s’en prend au cousin du roi du Maroc l’accuse, cela n’étonne plus, d’être en ligue avec les « extrémistes islamistes », à savoir Nadia Yacine.

Enfin, pour conclure cette revue de la presse sur une note plus gaie, une blague marocaine, tout à fait savoureuse, rapportée par le Chicago Tribune et selon laquelle «Moammer Kadafi dit à son peuple que ce qui se passe en Tunisie et en Egypte ne sont que rumeurs ». Le Maghreb de l’humour, c’est peut-être cela qui nous sauvera.

ÉCRIT PAR DAIKHA DRIDI    VENDREDI, 11 FÉVRIER 2011 16:01 

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