Dow Jones , l’édition financière du quotidien new-yorkais Wall Street Journal, vient de publier ce dimanche une interview qui lui a été accordée par Mohamed-Chafik Mesbah et recueillie par Benoît Faucon en charge, dans ce journal, de l’actualité maghrébine. Nous publions à l’intention de nos lecteurs cette interview relative au dernier discours du chef de l’Etat.
Wall Street Journal : Quelle lecture faites-vous du discours prononcé par le président Bouteflika ? C’est l’annonce du programme de réformes attendu par l’opinion publique algérienne ?
Mohamed-Chafik Mesbah : Examinons votre question sous trois angles différents mais complémentaires. Au plan du contexte, d’abord. Cela fait deux années que le président Bouteflika ne s’est pas adressé, directement, à la nation. Alors que la situation de crise, de jour en jour, s’aggrave avec une forte poussée de la contestation sociale et une paralysie avérée de la vie politique, l’attente, au niveau de l’opinion publique, est très forte. La déception ne risque d’en être que plus grande. Au plan du contenu, ensuite. Ce discours se compose de deux parties essentielles. Une première partie où le président Bouteflika, dressant le bilan de sa gestion, se livre à de l’autoglorification. Réconciliation nationale, restauration de la sécurité et mise en œuvre de programmes grandioses de relance de l’économie, le bilan est jugé, à tous égards, positif. Une deuxième partie où sont énumérées des mesures, pour la plupart, déjà annoncées par M. Belkhadem, le ministre représentant personnel du chef de l’Etat. Qu’il s’agisse de la révision constitutionnelle, de l’amendement de textes de loi, notamment les lois sur les partis, sur les élections ou sur l’information, pas question d’avancée qualitative. Le tout s’inscrit dans une volonté d’aménagement du système pas de son dépassement. Ce n’est certainement pas un programme de transition démocratique. Au plan de la forme, ensuite. L’enregistrement du discours effectué depuis quelques jours déjà est de mauvaise qualité sonore et visuelle. Les prises de vue éloignées du président Bouteflika et le débit lent, souvent monocorde, de la voix laissent imaginer que le chef de l’Etat s’est livré à un exercice laborieux. Impression confirmée par les nombreux raccords de plans qui émaillent le discours. C’est l’image pathétique d’un homme, psychologiquement et physiquement, usé qui se dégage. Bref, les Algériens auront suivi un discours d’autosatisfaction qui, outre qu’il n’annonce pas de véritables réformes politiques, leur fait découvrir un président souffrant. Ce discours, à l’évidence, plutôt que d’atténuer la tension qui caractérise la situation de crise où se débat le pays risque de l’accentuer. C’est le scénario du dénouement, imposé par la rue, qui se profile.
Pourtant, les résultats macro-économiques exhibés par M. Bouteflika sont, effectivement, bons. Désendettement, investissements publics massifs, préservation du patrimoine industriel public, taux de chômage en baisse, cela ne vous semble pas convaincant ?
La politique de désendettement massif appliquée serait, donc, une politique financière avisée ? Les pays les plus développés n’hésitent pas, pourtant, à maintenir un certain niveau d’endettement qui ne compromette pas leur souveraineté nationale. Seule la Roumanie de Causescu a suivi la voie maximale de M. Bouteflika avec les résultats que l’on connaît. Investissements publics massifs certainement, mais produisant de la croissance extensive, sans effet d’entraînement réel sur le développement économique global du pays. Préservation de l’appareil productif public ? A quel prix et avec quel effet sur la rentabilité économique d’entreprises portées à bout de bras par le Trésor public ? Chômage en baisse ? Quelles garanties scientifiques à propos des techniques de calcul du taux de chômage et des conditions de leur mise en œuvre ? C’est l’opacité la plus totale. Indiquez-moi sur quelle politique économique, au cours stratégique s’entend, s’adossent les démarches économiques dissemblables suivies, en dents de scie, par le président Bouteflika tout au long de ses mandats successifs ? Le bilan que propose le président Bouteflika aurait été opposable s’il avait-été élaboré sur une base contradictoire par des experts chevronnés représentant l’élite intellectuelle du pays. C’est un exercice qui se fera, inévitablement, à la faveur d’une transition démocratique qui ne saurait tarder.
Les réformes projetées qui vont, a priori, dans le sens d’une plus grande libéralisation, de la révision constitutionnelle à la révision de la loi sur les partis en passant par celles sur les élections et sur l’information, ce n’est pas une avancée appréciable ?
Un problème de méthodologie, d’abord. Comment s’attendre à des résultats crédibles alors que les réformes projetées sont confiées à un exécutif honni et un Parlement contesté ? Vous aurez compris qu’une transition démocratique c’est, avant tout, une démarche consensuelle, pour les objectifs recherchés comme pour les moyens mis en œuvre. Il coule de source que les responsables en charge de la conduite des réformes ne sauraient être imposés unilatéralement. Venons-en au contenu des réformes annoncées. Quoi de substantiel ? A l’évidence, les amendements constitutionnels envisagés ont déjà fait l’objet d’une définition préalable par les autorités officielles. Ce n’est, certainement, pas à une remise en cause fondamentale du système présidentiel qu’il faut s’attendre. Ce sera un simple toilettage même s’il pourrait inclure une limitation des mandats présidentiels, désormais que le président Bouteflika n’est plus concerné. Idem pour les lois sur les partis et les élections. L’amendement projeté pour la loi sur l’information comporte bien la dépénalisation du délit de presse mais pas d’ouverture à l’investissement privé dans le secteur audio-visuel. Nous sommes dans une logique de perpétuation du système, pas de rupture. Il faut s’interroger, néanmoins, si la libéralisation projetée ne vise pas, par certains de ses aspects, notamment la souplesse dans la constitution des partis et le contrôle international des élections, à ouvrir la voie au mouvement islamiste à une prise de pouvoir, légale et légitime. Les garanties pour sa famille et lui-même voilà, désormais, le problème fondamental qui pourrait préoccuper le président Bouteflika. Il peut faire le calcul avisé d’imaginer que le mouvement islamiste, appelé à gouverner dans la durée, serait le mieux placé pour lui offrir ces garanties. |
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