vendredi 27 mai 2011

Algérie:Réformes politiques et rôle de l’armée--- Entretien avec Mohamed Chafik Mesbah

Quel premier bilan pourriez‑vous dresser des consultations menées par la commission Bensalah ? 
 
Inutile de s’attarder sur les formations et organisations virtuelles qui ont parasité le champ politique depuis l’adoption de la constitution de 1989. A mon avis, la consultation de ces acteurs virtuels de la scène politique est sans intérêt.
 
 
Et pour les autres partis et personnalités reçues ?
 
A coté de ces partis virtuels, la commission a consulté des partis de l’Alliance présidentielle – c ’est le cas du MSP – et des personnalités nationales à l’instar de Sid Ahmed Ghozali, ancien Premier ministre, Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et protection des droits de l'Homme, et le général‑major Khaled Nezzar, ancien ministre  de la Défense nationale et ex‑membre du Haut comité d’État.
 
Les propositions du MSP ne méritent pas que l’on s’y attarde. Elles ne promettent pas un bouleversement substantiel du cadre constitutionnel et politique actuel. L’hypothèse d’un régime parlementaire évoqué par le président du MSP permet juste d’illustrer l’assemblage hétéroclite que constitue l’Alliance présidentielle, puisque le FLN et le RND se sont déclarés opposés à ce type de régime.
 
Ce sont les propos tenus par les trois autres personnalités reprenant, selon toute vraisemblance, les propositions formulées devant la Commission Bensalah qui retiennent l’attention.
 
Notons, en premier lieu, que Sid Ahmed Ghozali et le général‑major Khaled Nezzar, chacun à sa manière, ont contesté de la crédibilité de la Commission Bensalah puisqu’ils proposent un cadre de consultation indépendant des pouvoirs publics.
 
Notons, également, que Sid Ahmed Ghozali a réitéré son analyse, désormais connue, sur le système politique en Algérie. Il a réaffirmé, en effet, que celui‑ci se compose de deux faces : l’une apparente, celle des instances civiles, et l’autre cachée, celle des services de renseignement.
 
Me Farouk Ksentini, qui fustige à présent le fonctionnement de l’appareil judicaire en Algérie  –a propos duquel il évoque « une régression » –  propose, par ailleurs, une disposition des plus importantes, en l’occurrence l’attribution d’un statut de garant de la Constitution au profit de l’institution militaire.
 
Le général-major Khaled Nezzar, pour sa part, a concentré ses propositions autour de la nécessité de l’ouverture des champs politique et médiatique avec la possibilité d’organiser, sans entraves, des manifestations pacifiques, y compris dans la capitale. In fine, la lecture de la contribution du général‑ major Khaled Nezzar subordonne le succès de la démarche du Président de la République à certaines conditions essentielles. Le président Bouteflika devrait s’engager, solennellement, à ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle. Il devrait prendre, subséquemment, les dispositions concrètes pour organiser une consultation électorale transparente. Implicitement, l’ancien Ministre de la Défense nationale qui propose la mise en place d’une commission de réformes indépendante, avec possibilité pour le chef de l’État de légiférer par ordonnances, recommande le gel, pratiquement, de l’actuel Parlement, jugé non représentatif.
 
Tout juste, faut-il noter, que l’ancien Ministre de la Défense nationale met l’accent sur l’indispensable « pérennité du cadre républicain et démocratique de l’État » songeant, vraisemblablement, à l’hypothèse où un nouveau parti islamiste puisse conduire, le cas échéant,  à l’instauration d’un État théocratique.
 
Malgré les préventions affichées, aucune des déclarations de ces trois personnalités ne présente de caractère antagonique par rapport aux projets prêtés au Chef de l’État.
 
 
La désignation de M. Abdelkader Bensalah comme Président de cette commission ainsi que le choix des membres qui la composent ont suscité de vives critiques…
 
Ne vous attendez pas à ce que je commette l’impertinence de critiquer les trois membres de la commission. Je connais personnellement M. Abdelkader Bensalah et le général‑major Mohamed Touati .Je m’interdis d’évoquer leur présence au sein de cette commission, à titre personnel et subjectif.
 
C’est, en réalité, le statut de la commission qui, en lui‑même,  pose problème. C’est une commission qui n’est pas indépendante par rapport au pouvoir exécutif. C’est une commission dont le mandat n’est pas explicite. Il n’a même pas, d’ailleurs, été rendu public. La composition de la commission a, en outre, été décidée de manière unilatérale. En s’assurant du contrôle étroit du fonctionnement de la commission, le Président de la République indique bien qu’il lui confie un mandat limité. Écouter, consigner et rapporter au Président de la République la teneur des propositions recueillies. Voilà ce qui apparait, à priori de la mission confiée à M. Abdelkader Bensalah et ses adjoints. En termes de légitimité et de rigueur méthodologique, cette démarche n’augure pas, loin s’en faut, d’une véritable transition démocratique.
 
Fatalement, viendra le moment où la pression populaire et internationale imposera la mise en place d’une véritable commission de réformes politiques, représentative et disposant d’un mandat ouvert.
 
 
Pensez-vous que la Commission Bensalah est un leurre ?
 
A beaucoup d’égards oui. Peut‑être cette commission va‑t‑elle servir à donner l’illusion d’un consensus autour de mesures sur lesquelles il a été déjà statué. Il existe, de mon point de vue, une feuille de route que le Président de la République, s’efforçant à la fois de neutraliser les obstacles internes éventuels  et de s’assurer de l’appui des partenaires étrangers agissants – les États‑Unis en premier lieu –, s’applique à  mettre en œuvre par d’autres voies que la Commission Bensalah.
 
 
L’ancien Ministre de la Défense et homme fort du Haut comité d’État, le général‑major Khaled Nezzar a été reçu par commission Bensalah. Peut‑on considérer qu’il s’est exprimé au nom de l’ANP ?
 
L’ancien Ministre de la Défense nationale est un militaire avisé. Il est impensable, lui qui a pris, volontairement, sa retraite depuis longtemps puisse nourrir le désir de se substituer à la hiérarchie militaire en place. Ce n’est pas dans les usages de l’ANP. C’est, par conséquent, en sa qualité d’ancien responsable politique et militaire qu’il s’est, probablement, exprimé. Naturellement, des spéculations verront le jour pour suggérer, selon le cas, que l’institution militaire, par la voix de l’ancien Ministre de la Défense nationale, soutient ou désapprouve le Président Abdelaziz Bouteflika. Pour couper court à ses supputations, je renvoie à la thèse développée, de manière récurrente, dans mes écrits. L’institution militaire, tout en se rajeunissant et en se professionnalisant, ne constitue plus, dans tous les cas, un contrepoids au pouvoir du Président de la République.
 
 
Me Farouk Ksentini propose de confier à l’armée le statut de gardien de la future constitution. Cette proposition vous paraît‑elle pertinente ?
 
Pour mémoire, l’attribution à l’ANP de ce statut  de garant de la constitution avait été envisagée déjà en 1996. C’est la hiérarchie militaire qui avait récusé cette option. Vous vous souvenez, sans doute, par ailleurs, des câbles Wikileaks publiés à propos des entretiens entre le Président Bouteflika et des officiels américains. Le chef de l’État avait énoncé deux affirmations. Premièrement, il avait déclaré que la gouvernance publique avait été normalisée en Algérie où la hiérarchie militaire était, désormais, subordonnée au pouvoir civil. Deuxièmement, il avait souligné que l’Algérie n’était pas comparable à la Turquie où l’institution militaire exerçait ce rôle de garant que nous évoquons. Depuis, le contexte national et international a évolué. Il n’est pas impossible que le Chef de l’État, lui‑même, ait fait évoluer sa position pour prévenir une irruption inconsidérée de l’armée sur la scène politique en associant ses chefs au processus de réformes qu’il annonce. Sans me hasarder à porter de jugement de valeur sur Maître Farouk Ksentini, il paraît hors de question, en effet,  qu’il se soit saisi d’initiative de cette question des plus sensibles.
 
 
Attribuer à l’ANP un statut de garant de la Constitution. S’agit‑il d’une perspective qui pourrait se réaliser ?
 
Le modèle turc, déjà adoubé par les USA, jouit d’une image positive dans les opinions publiques arabes. Cette perspective ne constitue pas une hérésie, forcément. Les processus démocratiques sont laborieux et coûteux. Il n’existe pas d’interdit doctrinal à ce statut transitoire de l’ANP si le succès de la transition démocratique en dépend. Probablement, au plan pédagogique, cette solution rendra plus acceptable, aux yeux de la société civile et des partenaires internationaux, la présence d’un parti islamiste puissant acceptant d’évoluer dans le cadre du système démocratique. Cette tâche, la configuration actuelle de la chaîne de commandement au sein de l’ANP, au sens corps de bataille, s’y prête, volontiers. Sous réserve que la cohésion interne de l’ANP soit garantie par une mobilité encore plus rapide dans l’exercice des fonctions de commandement.
 
 
Vu votre connaissance du monde politique et militaire en Algérie, quel serait le scénario idéal de sortie de crise ?
 
Dans toutes mes contributions publiques, je me suis attardé sur la nécessité d’anticiper les événements pour prévenir une déflagration sociale violente qui pourrait être préjudiciable à la cohésion sociale du peuple algérien et à l’intégrité territoriale de l’Algérie. Il ne faut jamais cesser d’exiger une transition démocratique pacifique. Cela suppose, cependant, une démarche consensuelle conduite par une instance provisoire indépendante des pouvoirs publics. L’objectif serait, dans tous les cas de figure, de substituer aux instances et institutions actuelles de nouvelles, librement élues. Biens sûr, cela implique un esprit de sacrifice élevé de la part des tenants des pouvoirs actuels comme des leaders de l’opposition. Nous sommes, malheureusement, loin du compte. Je continue à nourrir le plus grand scepticisme sur ce scénario de dénouement pacifique.
 

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