mardi 3 mai 2011

Mort de Ben Laden (2/3) : l'assaut

Dans la salle de crise, pendant l'assaut, dimanche après-midi.

Après des mois de préparation et cinq réunions avec le conseil national de sécurité (lire le premier volet : "Mort de Ben Laden (1/3) : la traque"), Barack Obama a donné son feu vert, vendredi 29 avril, à l'opération qui a abouti à la mort du chef d'Al-Qaida.

  • Un commando d'élite plutôt qu'une attaque aérienne
Plus risquée, l'attaque au sol par un commando est privilégiée à l'attaque aérienne par des bombardiers furtifs ou par des drones, le président américain estimant, selon le chroniqueur du Washington Post David Ignatius, que "les Etats-Unis ont besoin de capturer le corps de Ben Ladenet de pouvoir l'identifier. En outre, un raid aérien peut faire des victimes collatérales.

L'opération "aussi rapide et sans pitié que l'on peut la voir dans les films américains", écrit David Ignatius, est menée, selon le New York Times, par soixante-dix-neuf commandos, un chiffre qui contraste avec le scénario de "petite équipe" jusque-là avancé. Ces hommes font partie des Navy Seals – acronyme de Sea, Air, Land (terre, air, mer) –, des troupes d'élite employées notamment pour des missions antiterroristes, de reconnaissance ou de guerre non conventionnelle.
  • Obama, Biden et Clinton suivent l'assaut en direct
A plusieurs fuseaux horaires de là, à Washington, on est encore dimanche après-midi. Le président, ses conseillers, le vice-président, Joe Biden, la secretaire d'Etat,Hillary Clinton, ont pris place dans la "Situation Room", salle de crise de la Maison Blanche, pour suivre l'opération en temps réel : sur un écran géant, en vidéoconférence, Leon E. Panetta, directeur de la CIA, leur fait, du quartier général de l'agence de renseignement, le récit des événements qui se déroulent au même moment au Pakistan.
Dans la salle de crise, pendant l'assaut, dimanche après-midi.AFP/Pete SOUZA
"Les minutes étaient longues comme des jours et le président était très inquiet de la sécurité de nos équipes", raconte John O. Brennan, chef de la lutte contre le terrorisme à la Maison Blanche et ancien responsable de la CIA, qui pourchassait Ben Laden depuis quinze ans.
  • Quatre hélicoptères mobilisés
Au Pakistan, c'est la nuit noire. Quatre hélicoptères américains (deux engagés, deux en soutien en cas de problème) décollent de la base américaine de Ghazi vers 1 heure du matin, heure locale. Chacun est conscient des risques encourus :"Il n'y a pas eu une réunion de préparation où nous n'avons pas évoqué la chute du Faucon noir", raconte un responsable américain cité par le New York Times. Les Américains gardent en effet un très mauvais souvenir de précédentes opérations commando en hélicoptère : en 1993, deux hélicoptères Black Hawk ("Faucon noir") avait été abattus lors d'un raid en Somalie ; en 1980, sur les huit hélicoptères envoyés en Iran pour libérer les otages américains, trois étaient tombés en panne et un s'était écrasé...
Et là encore, un hélicoptère va faire défaut. Selon l'explication officielle, il est tombé en panne "mécanique" en pleine opération. "Lorsque cet hélicoptère s'est retrouvé immobilisé, d'un seul coup, il a fallu passer à un plan de rechange. Et ils l'ont fait sans accroc", a assuré M. Brennan. L'appareil sera détruit sur place par les forces américaines.
Cette photo prise par un riverain montre l'épave d'un hélicoptère près de la résidence où Oussama Ben Laden a été tué.
Cette photo prise par un riverain montre l'épave d'un hélicoptère près de la résidence où Oussama Ben Laden a été tué.AP/Mohammad Zubair
Un habitant d'Abbottabad qui a observé cette nuit-là la scène du toit de sa maison, livre un témoignage légèrement différent à l'agence Reuters : "Après minuit, un grand nombre de commandos ont encerclé le complexe. Trois hélicoptères étaient en survol. Tout à coup, des tirs ont éclaté en provenance du sol et en direction des hélicoptères (...) Il y a eu des échanges de tirs intenses et j'ai vu un hélicoptère chuter."
  • L'attaque
Preuve indirecte, s'il en fallait, que l'opération a bien eu lieu le jour et à l'heure annoncés officiellement : elle est racontée en direct sur Twitter – sans doute une première pour ce genre de mission – par Sohaib Athar (@ReallyVirtual), un riverain gêné par le bruit des hélicoptères, qui ne comprend pas tout de suite ce qui est en train de se jouer à quelques mètres : "Va-t-en hélicoptère avant que je ne sorte ma tapette géante", écrit-il avant toute une série de messages décrivant en temps réel le souffle d'une puissante explosion, le crash d'un hélicoptère, l'agonie d'une famille, le bouclage du quartier et les militaires perquisitionnant chaque maison. Mardi, il avait plus de quatre-vingt-seize mille followers.
Le raid, qui se veut "chirurgical", dure quarante minutes.
Le New York Times raconte l'assaut tel que vécu dans la salle de crise :
– "Ils ont atteint la cible", indique Panetta.
(Plusieurs minutes passent)
– "Nous avons Geronimo [Ben Laden] en visuel"
Quelques minutes plus tard : "Geronimo EKIA" [Enemy killed in action, "ennemi tué pendant l'intervention"]. Un grand silence s'ensuit dans la salle de crise.
Finalement, le président prend la parole.
– "On l'a eu."
Mais comment s'est déroulé l'assaut dans la vaste résidence fortifiée d'Abbottabad qui a abouti à la mort d'Oussama Ben Laden et d'au moins quatre autres personnes ? C'est pour l'instant l'une des principales zones d'ombre de l'opération, dont les détails qui sont parvenus à la presse ont varié à plusieurs reprises. Les quelques images des lieux après l'assaut, diffusées par la chaîne américaine ABC, montre une pièce en désordre, au sol ensanglanté.
  • Une vingtaine de personnes dans la demeure, cinq morts
Il y aurait eu cinq personnes tuées : Oussama Ben Laden, l'un de ses fils, adulte, deux autres hommes, ses messagers, dont l'un a permis de retrouver la trace de Ben Laden (lire : "Mort de Ben Laden (1/3) : la traque"), et peut-être une femme (les informations à ce sujet divergent). Aucun militaire américain n'a été blessé.
Vingt-deux personnes auraient été présentes cette nuit-là au sein de la résidence fortifiée, selon le National JournalSeulement dix-sept ou dix-huit, en grande partie des femmes et des enfants, selon la BBC, qui cite les services secrets pakistanais. Aucun chiffre officiel n'a été communiqué. Selon la BBC, les survivants ont ensuite été interpellés. Mais un haut responsable américain affirme que les forces spéciales américaines n'ont "pas fait de prisonnier" lors de l'opération. Que sont alors devenus les autres résidents ?
Ils n'ont finalement pas été ramenés par les Américains. Les Pakistanais "pensent que les Américains les auraient transportés si l'un de leurs hélicoptères ne s'était pas écrasé", indique la BBC.
Mardi soir, les autorités pakistanaises ont finalement annoncé que des membres de la famille d'Oussama Ben Laden présents pendant le raid étaient "en de bonnes mains et pris en charge conformément à la loi", certains suivant un traitement médical. Le ministère des affaires étrangères a précisé qu'ils seront par la suite remis à leurs pays d'origine. Un responsable de la sécurité a déclaré qu'ils étaient au nombre de seize, tous des femmes ou des enfants, majoritairement originaires d'Arabie saoudite.
  • Dead or alive ?
Sur le déroulement de l'assaut, les autorités américaines, très vagues, ont seulement évoqué "des échanges de tirs". Oussama Ben Laden, qui résidait au troisième étage de la résidence, aurait été tué de deux balles, reçues au côté gauche du visage. Mais on ne sait pas comment il a "résisté", ni s'il a été tué les armes à la main. Des informations qui seraient pourtant cruciales pour savoir quel était l'objectif exact de l'opération : capturer Ben Laden – il n'aurait été tué que parce qu'il a riposté – ou le tuer.
Dans sa première déclaration, dimanche soir, Barack Obama a indiqué avoir"autorisé une opération destinée à capturer Oussama Ben Laden et à le présenter devant la justice". John Brennan a, lui aussi, affirmé que l'objectif n'était pas de le tuer : "Si on avait pu le prendre vivant, on l'aurait fait."
Mais un responsable de la sécurité nationale des Etats-Unis, sous couvert de l'anonymat, a indiqué lundi à l'agence Reuters qu'il s'agissait clairement "d'une opération destinée à tuer", en soulignant qu'il n'y avait aucune intention de capturer Oussama Ben Laden vivant au Pakistan.
Interrogé par l'Agence France-Presse, Dick Hoffman, un expert qui a passé vingt ans dans les Navy Seals (1987-2007) décrit une mission classique dite de "kill-capture". Depuis le lancement de la "guerre contre la terreur" par George W. Bush, ces opérations sont devenues la "dominante" de l'activité des Seals, explique-t-il. L'objectif est de mettre la main sur la cible pour en tirer des renseignements. Sauf si la personne est armée et représente une menace pour l'équipe d'intervention. Dans ce cas, "les gars lui mettent quelques balles dans le front", raconte Dick Hoffmann. Ben Laden pourrait s'inscrire dans la notion "d'ennemis combattants" inventée par l'administration Bush qui permet d'évacuer tout le corpus juridique s'appliquant aux situations de guerre (conventions de Genève, droit humanitaire international) ainsi que celui relevant de la défense des droits de l'homme.
Peut-on imaginer Ben Laden emprisonné aux Etats-Unis ? Au moment même du démantèlement de Guantanamo ? En courant le risque d'une multiplication des prises en otages d'Occidentaux pour exiger sa libération ? L'organisation d'un procès aurait par ailleurs soulevé de nombreuses questions et offert une tribune au très médiatique "ennemi public n° 1" des Etats-Unis. Ce qui fait dire à de nombreux experts que l'objectif recherché était bien son élimination physique.
  • Ben Laden s'est-il servi d'un bouclier humain ?
Sur ce point aussi, les informations ont varié depuis deux jours. Lundi, John Brennan, principal conseiller de Barack Obama pour la lutte antiterroriste a d'abord indiqué que la femme tuée dans le raid avait été utilisée parce qu'un des hommes présents l'avait utilisée comme "bouclier humain". Rapidement, il a été précisé que l'homme en question était Oussama Ben Laden, et que cette femme était la sienne. Toutes ces informations ont finalement été démenties par la Maison Blanche lundi soir, avant d'être à nouveau confirmées mardi : "Dans la pièce il y avait une femme avec Ben Laden, l'épouse de Ben Laden, qui s'est précipitée sur les assaillants américains. Elle a reçu une balle dans la jambe, mais elle n'a pas été tuée", a affirmé Jay Carney, porte-parole de la Maison Blanche.
Plus tôt dans la journée, la BBC avançait encore une autre version : une femme – qui ne serait pas l'épouse de Ben Laden et qui n'aurait pas été utilisée comme "bouclier humain" – aurait été tuée, son épouse étant seulement été blessée."Lorsqu'elle a été interrogée, rapporte la BBC, elle a dit qu'elle était yéménite et qu'elle était arrivée dans la villa il y a déjà quelques mois. La fille de Ben Laden a confirmé avoir vu son père mort."
Toujours selon la BBC, seuls deux cadavres ont été rapatriés par les forces américaines, Ben Laden et possiblement son fils.

Aline Leclerc


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