QUELLES SONT LES DIFFÉRENCES entre Rupert Murdoch et Julian Assange? Le rapprochement entre le magnat de presse le plus détesté et le hacker le plus célèbre peut sembler hasardeux. Ils se connaissent, se craignent et se sont même menacés.
Julian Assange avait prévenu Murdoch qu'il avait en sa possession des dépêches gênantes pour son empire de presse et de télévision si ce dernier cherchait à lui nuire. Politiquement tout semble les séparer. Julian Assange est un héros de l'extrême gauche et Rupert Murdoch un promoteur acharné, via ses médias, des partis conservateurs et de la droite pure et dure.
Ils ont pourtant bien plus de points communs qu'on ne pourrait l'imaginer –au-delà du simple fait d'être tous deux Australiens. Ils traversent aujourd'hui l'un comme l'autre une passe difficile. Julian Assange essaye d'échapper à une extradition vers la Suède où il est accusé de viol et Rupert Murdoch tente d'éviter que son empire s'effondre après le scandale des écoutes téléphoniques de News of the World qui tous les jours prend plus d'ampleur…
Rupert Murdoch et Julian Assange ont un autre point commun de taille. Pour eux, la fin justifie toujours les moyens. Ils n'ont pas hésité à utiliser le hacking et à s'introduire illégalement dans des ordinateurs et des téléphones portables pour obtenir des informations sur les secrets diplomatiques et militaires américains ou l'intimité de personnes célèbres ou «utiles».
L'argent ou la transparence
Alors bien sûr, leurs objectifs ne sont a priori pas du tout les mêmes. Rupert Murdoch cherche seulement à gagner de l'argent, plus d'argent, et du poids politique, plus de poids politique. L'un veut contrôler l'establishment tandis que l'autre entend le miner. Julian Assange se présente comme un défenseur de la transparence et de la démocratie contre les mensonges et les manipulations des gouvernements… quitte au passage à mettre en danger la vie d'informateurs de la diplomatie américaine dans des pays où justement la démocratie n'existe pas. La menace par Assange de rendre publiques toutes les dépêches diplomatiques récupérées par Wikileaks sans les éditer et protéger les personnes si quelque chose lui arrive est un chantage détestable. L'ancien numéro deux de Wikileaks, Daniel Domscheit-Berg, dresse dans son livre Inside Wikileaks un portrait pas vraiment flatteur de Julian Assange à qui il reproche pêle-mêle d'être «parano», «avide de pouvoir» et «mégalo». Illustration: Assange a affirmé être à l'origine de la révolution en Egypte.Comme Rupert Murdoch en son temps, Julian Assange se targue d'avoir inventé une nouvelle forme de journalisme. Dans un article écrit en décembre 2010 pour le journal Australian, il expliquait que«WikiLeaks publie sans peur des faits qui doivent être rendus publics… Wikileaks a inventé un nouveau type de journalisme: le journalisme scientifique». Il entend ainsi contraindre les gouvernements«à être honnêtes».
En 1958, Rupert Murdoch, dont le groupe de presse se limitait alors au seul quotidien The News d'Adelaide, écrivait:
«Dans la course entre le secret et la vérité, il semble inévitable que la vérité triomphe toujours.»Les propos de James Murdoch, le fils de Rupert Murdoch, lorsqu'il a annoncé la fermeture du vénérable (168 ans) News of the World, ressemblent aussi étonnamment à ceux de Julian Assange:
«Le travail de News of the World était de mettre les autres devant leurs responsabilités…»En fait de responsabilité, News of the World avait créé un véritable système de corruption et d'espionnage à grande échelle. Pour obtenir ses scoops, il a «écouté» les conversations téléphoniques de plus de 4.000 personnes, dont l’ex-Premier ministre Gordon Brown, la famille royale, des célébrités et des soldats morts en Afghanistan. Et pour protéger ce système, le tabloïd le plus lu de Grande-Bretagne s'étaitassuré du silence de la police voire de la complicité de plusieurs autres médias.
Assange défend News of the World
Julian Assange a bien compris le danger d'être emporté par la tourmente News of the World. Lors d'une conférence de presse le 14 juillet à Londres, il a mis en garde:«Dans notre ferveur pour s'en prendre aux pratiques non éthiques qui semblent s'être produites à News Corp… nous devons faire attention aux dommages collatéraux qui peuvent détruire la possibilité pour les journalistes d'investigation d'agir pour le bien public.»Il a également regretté la fermeture de News of the World.
«Il semble que dans certains cas, News of the World a franchi les frontières de l'éthique, cela ne veut pas dire qu'un journal dans son ensemble doit être condamné à mort.»De fait, les méthodes d'Assange et de Murdoch ne sont pas très différentes. Ce qui les distinguent surtout, ce sont la nature des informations obtenues. Et cela même si Julian Assange a souvent agi sans toujours mesurer les conséquences de ses actes. Mais jusqu'à aujourd'hui, les informations divulguées par Wikileaks sont utiles. Elles améliorent même grandement notre compréhension du monde.
L'intimité d'une jeune fille assassinée et d'un soldat tué en Afghanistan ne nous apprennent rien. «Les divulgations de télégrammes diplomatiques par le site WikiLeaks lèvent le voile sur les rouages secrets de nos gouvernements. Bien plus efficace qu’un livre d’instruction civique, qu’un ouvrage de révisionnisme historique, qu’un discours politique ou qu’une série de reportages d’investigation, le scandale international démasque présidents et rois, commandants militaires et simples troufions, secrétaires du cabinet et diplomates, chefs d’entreprises et banquiers, fabricants d’armes et marchands de canons; nous montre à quel point ces individus peuvent être incapables, menteurs et faux jetons», écrivait sur Slate Jack Shafer.
Comme l'explique The Economist, «le secret est un outil indispensable à la sécurité nationale et à la conduite d’une diplomatie efficace». Mais il est également une «prérogative qui peut être employée pour dissimuler les méfaits de l’Etat permanent et de ses agents privilégiés».
Il reste un dernier point en commun entre Rupert Murdoch et Julian Assange qui est sans doute le plus désagréable. Le scandales News of the World et les révélations de Wikileaks alimentent aujourd'hui à leur façon la méfiance et même la défiance envers les institutions gouvernementales et les médias qui façonnent nos vies… qu'on le veuille ou non.
Ironie de l'histoire, le Wall Street Journal, propriété de News Corp., le groupe de Rupert Murdoch, refusait en novembre 2010 pour ses «bonnes» raisons de publier les câbles diplomatiques de Wikileaks. Le quotidien américain s’inquiétait de leur «pouvoir destructeur pour les intérêts nationaux et la société civile».
Eric Leser -Slate.fr
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