Par Pr Abderrahmane MEBTOUL
Le pouvoir algérien doit se démarquer de sa vision culturelle des années 1970. Nous sommes n 2011 avec des mutations géostratégiques considérables entre 2012/2020 qui préfigurent de profonds bouleversements géostratégiques. La mentalité bureaucratique administrative des années 1970 est de croire qu’il suffit de changer de lois pour résoudre les problèmes. J’ai eu à le démontrer dans un ouvrage collectif récent édité en Algérie en avril 2011, qui a vu la participation de 17 experts internationaux -et en plus patriotes aimant l’Algérie- relatif au bilan et les perspectives de développement socio-économique de l’Algérie où j’ai mis en relief les liens dialectiques entre la rente des hydrocarbures et la logique contradictoire du système rentier de 1962 à 2010.
En effet, cette vision bureaucratique est une erreur politique qui ne peut conduire le pays qu’à l’impasse, à une crise multidimensionnelle, voire à une déflagration sociale qu’il s’agit impérativement d’éviter. Ce n’est pas une question de pondre des lois que contredisent depuis l’indépendance les pratiques politiques, sociales, et économiques. Tout le monde en convient étrangers et algériens, bien que certains progrès aient été accomplis, par exemple lors d’élections que le système judiciaire et le système administratif chargé du contrôle ne sont pas indépendants.
La faiblesse des partis d’opposition et l’absence de l’émergence des personnalités nationales du fait du verrouillage politique depuis 49 ans en leur fermant les médias lourds, fait en sorte qu’il n’existe pas de contrepoids au pouvoir en place. Aller aux élections aux échéances fixées dans ces conditions ne fera que reproduire le système lui même avec la domination des partis FLN/RND/ MSP, avec le risque d’une démobilisation populaire sans précédent.
Selon les données officielles du Ministère de l’intérieur (certainement le taux réel est plus bas) aux dernières élections législatives, ces trois partis, avec tous leurs satellites, n’ont eu que 13% des voix, 87% de la population n’étant donc pas représentés. Comment vouloir faire passer des lois qui engagent l’avenir du pays par une assemblée non représentative ? Il faut donc éviter encore fois, de vendre des illusions démocratiques dans un monde qui est devenu une maison en verre, de discréditer l’image de l’Algérie.
L’objectif stratégique est de réaliser une mutation systémique, le blocage actuel étant systémique. Le système actuel est dans l’incapacité de résoudre les problèmes fondamentaux de l’Algérie qui a pourtant d’importantes potentialités dans le cadre d’une intégration maghrébine et plus globalement dans l’Afrique du Nord, son espace social naturel.
Ce qui s’est passé en Tunisie, en Égypte, en Libye, pour l’Afrique du Nord, sans parler du Yémen et de la Syrie, auront des répercussions géostratégiques sur l’Algérie étant convaincu que la démocratisation de cette région ne peut que favoriser cette intégration. Une nouvelle donne internationale a été introduite. Invoquer l’islamisme radical, la lutte contre le terrorisme par certains dirigeants pour se maintenir au pouvoir alors qu’ils ont enfanté eux-mêmes l’extrémisme en appauvrissant leur peuple par la corruption, ne tient plus la route. Les anciens dirigeants tunisiens, égyptiens et récemment libyens et syriens en ont fait les frais.
Aussi l’Algérie qui a souffert du terrorisme pensant plus de 10 années et qui a fait , selon les chiffres officiels, plus de 200.000 morts, doit aller vers une transition démocratique pacifique, loin de toute violence, condition du développement, de la paix et de la sécurité durable. Il faut éviter la vision d’assimiler la population algérienne à un tube digestif grâce à une redistribution passive de la rente des hydrocarbures pour une paix sociale éphémère.
Avec la grogne sociale croissante, la population algérienne a soif de démocratie et de justice sociale mais également d’efficacité économique avec un sacrifice partagé car les réformes à venir seront douloureuses. Il ne faut pas être utopique. La démocratie d’une manière générale dans les pays arabes ne se fera pas du jour au lendemain. Les prix Nobel institutionnalistes d’économie ont montré récemment clairement que de nouvelles institutions prennent du temps pour devenir efficacité. Ce qui donne l’impression d’anarchie à court terme, mais ce ne sont que des illusions entretenues par les tenants de l’ancien système (après moi le déluge, l’homme providentiel), alors que les institutions dictatoriales créés administrativement n’ont aucune ou peu de légitimité.
Au contraire les institutions démocratiques tenant compte de l’anthropologie culturelle, évitant de plaquer des schémas importés de l’occident sur une structure sociale particulière, s’insérant dans le cadre d’une nouvelle régulation politique, sociale et économique sont porteuses d’un développement durable car assurant la symbiose État/citoyens.
En espérant que la raison l’emportera, ma seule ambition étant l’avenir de l’Algérie et notamment de sa jeunesse, n’étant dans aucun Parti politique, je préconise les mesures suivantes devant privilégier non les intérêts occultes de la rente d’une minorité mais les intérêts de l’Algérie et seulement de l’Algérie
1- Revoir la constitution au sein d’une grande conférence nationale, associant l’ensemble des forces politiques, sociales, économiques et des experts en limitant le nombre de mandats présidentiels et identifier clairement le régime parlementaire ou présidentiel. Toute révision fondamentale de la Constitution devra passer par un référendum et non plus par les deux chambres non crédibles.
2- La dissolution des deux chambres du fait que ces députés et sénateurs et bien d’autres organisations satellites vivant du transfert de la rente des hydrocarbures, sont incapables de mobiliser la société. Il s’agit d’agréer de nouveaux partis et associations en évitant d’en faire des structures du pouvoir instrumentalisées lors des élections. Dans ce cadre, il s’agit de revoir les subventions aux partis et associations qui doivent compter sur leurs adhérents, ainsi que la rémunération des députés/sénateurs disproportionnée par rapport à leur rendement.
Le Parti du FLN ne doit plus instrumentaliser le sigle FLN, propriété du peuple algérien de la glorieuse guerre de libération nationale. Il faut le restituer à l’Histoire, et trouver une autre dénomination pour une concurrence loyale par rapport aux autres partis. En démocratie, le pouvoir est le pouvoir et l’opposition est l’opposition productive nécessaire au pouvoir lui-même pour corriger ses erreurs et éventuellement préparer l’alternance.
3- Un changement presque intégral du gouvernement par un regroupement de Ministères privilégiant l’efficacité au lieu de la distribution de postes qui se télescopent, et le remplacer par un groupe composé de techniciens et de la jeunesse qui prépareront cette transition démocratique pacifique jusqu’à l’échéance présidentielle pour des élections libres, transparentes et démocratiques.
4- Favoriser le fonctionnement des institutions prévues dans la loi, tout en procédant à leur amélioration en fonction des réformes, non en termes de promesses mais en actes, comme le conseil national de l’Energie, la Cour des comptes, le conseil de la concurrence, qui sont source du développement global parallèlement aux contrepouvoirs économiques, sociaux et politiques en évitant comme par le passé leur gel et le choix dictatorial personnel. Dans ce cadre, il est impératif d’impliquer la société civile par la promotion de la femme signe de vitalité de toute société, d’opérer une réelle décentralisation, garantir une justice véritablement indépendante afin de lutter contre la corruption qui gangrène le corps social et démobilise la population à cause de pratiques privilégiant la connaissance et le mérite dans la promotion et non les rentes.
5- Autoriser des chaines de télévision indépendantes et les manifestations pacifiques, car vouloir étouffer comme une cocotte minute la société qui a besoin de respirer, aboutira à terme, et inévitablement, à une explosion violente à terme pourrait.
6- Redéfinir la politique socio-économique actuelle qui mise que sur les infrastructures (70% des dépenses) par une nouvelle vision stratégique afin de mette en place une économie hors hydrocarbures compétitive dans le cadre des valeurs internationales si l’on veut créer des emplois durables et atténuer les tensions sociales inévitables. Pour cela un débat national sans exclusive sur le bilan de tous les programmes économiques 2000/2011 s’impose, accompagné d’un large débat sur les réserves d’hydrocarbures et l’utilisation des réserves de change ( 153 milliards de dollars placées à l’étranger) loin de toute opacité, renvoyant à la démocratisation de la décision économique pour éviter la malheureuse expérience libyenne du gel de ses avoirs. Cela permettra de déterminer la trajectoire future 2011/2020 de l’Algérie et poser la problématique de la démocratisation de la gestion des hydrocarbures et de l’utilisation des réserves de change.
Une dépense publique de plus de 200 milliards de dollars entre 2004/2009, et une enveloppe de 286 milliards de dollars entre 2010/2014, dont130 milliards de dollars de restes à réaliser des projets de 2004/2009 ( soit plus de 400 milliards de dollars entre 2004/2014) avec des impacts très mitigés tant économiques que sociaux. Le gouvernement dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins de résultats que certains pays similaires, à cause de la mauvaise gestion et d’une corruption socialisée. Assez des discours démagogiques qui ignorent la transformation du monde, misant sur la faiblesse de la culture économique de la population mais qui n’est pas dupe car confrontée à la dure réalité de la vie quotidienne, comme ceux sur la création de trois millions d’emplois par décret.
Ces six mesures sont urgentes à adopter afin de donner une image positive de l’Algérie en ces moments de bouleversements géostratégiques et non d’un État répressif. Cela aura un impact positif sur le développement futur du pays car tous les observateurs nationaux et internationaux arrivent à cette conclusion, que l’actuel gouvernement algérien dont la majorité des Ministres sont là depuis plus de 10 ans, est en panne d’idées.
L’Algérie, qui a d’importantes potentialités pour devenir un acteur actif au sein de la mondialisation, a besoin de plus d’espaces de libertés, d’un État de droit, d’une gouvernance renouvelée, supposant une mutation systémique et une transition démocratique pacifique. D’où l’urgence d’un discours de vérité, rien que la vérité et de privilégier non les intérêts personnels mais uniquement ceux l’Algérie et je le répète uniquement de l’Algérie, personne n’ayant le monopole du nationalisme.
Cela suppose une autre gouvernance et donc de revenir aux sources de la déclaration du 01 novembre 1954 : une Algérie démocratique et populaire au sein du concert des nations.
La leçon des expériences du printemps arabe : les pays occidentaux qui ont une lourde responsabilité dans la situation actuelle, car ayant favorisé non pas les aspirations des sociétés mais des relations personnalisées avec des dirigeants de régimes corrompus , doivent éviter donc la vison du passé strictement mercantile et s’impliquer concrètement dans cette transition véritable en aidant les forces démocratiques en tenant compte, comme l’a montré l’économiste indien prix Nobel d’économie A. SEN, des anthropologies culturelles de ces sociétés. Cela ne peut qu’être bénéfique à une symbiose entre le Nord et le Sud, au dialogue des cultures entre l’Orient et l’Occident, en fait au développement de l’humanité.
Professeur Dr Abderrahmane MEBTOUL Expert International en management stratégique
Algérie-focus
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