Depuis le début du dit « printemps arabe », nombre d’officiers du renseignement de la région ont été écartés ou assassinés. D’où une question lancinante : coup du destin et pure coïncidence, ou bien signes d’une lutte secrète préparant l’élaboration des nouvelles lignes de la politique internationale au Moyen-Orient ?
Hier, en Arabie saoudite, le prince Mohammed ben Nayef a été nommé ministre de l’Intérieur suite à d’importantes mutations au sein des services du renseignement saoudiens dirigés par le prince Bandar ben Sultan. Ceci, dans le contexte d’une suite d’attentats survenus dans le royaume et dont certains sont restés secrets ou gardés sous le boisseau pour détourner les soupçons.
Les tendances du prince Mohammed ben Nayef en matière de sécurité sont notoirement connues. Il a été lui-même la cible à abattre par des extrémistes islamistes. Mais on ne sait pas grand chose de ce qui se prépare pour la prochaine étape, sinon qu’il existe une précipitation vigoureuse à dominer les vents du changement qui soufflent sur le royaume tout en en essayant de calmer les esprits, car le ressentiment ne se limite pas à la région Est du pays. D’autant plus, que la mauvaise santé du roi Abdallah et l’absence de deux princes influents, Sultan et Nayef, exacerbent une situation des plus tendues.
Au Liban, le Général Wissam al-Hassan a été liquidé et il est absolument impossible d’exclure que cette liquidation ne soit pas en rapport avec l’axe qui relie l’Arabie Saoudite au Liban, à la Jordanie, aux États-Unis, et à certaines capitales de l’Occident et des Pays du Golfe. Une telle suspicion est partagée par nombre d’observateurs, car Wissam al-Hassan était directement impliqué non seulement dans l’incendie qui consume la Syrie, mais aussi dans les conflits internationaux et régionaux.
Cet assassinat a été précédé du décès du chef des renseignements et vice-président égyptien Omar Suleiman [1] ; de l’assassinat du sous-ministre de la Défense et de responsables de la Sécurité en Syrie [attentat du 18 juillet 2012 à Damas, NdT] ; suivi de la mise à l’ombre d’Ali Mamlouk, chef du bureau de la Sécurité nationale syrienne, pour suspicion de complot dans l’Affaire Michel Samaha au Liban ; tandis que Hakan Fidan, directeur adjoint du Renseignement turc était assassiné à son tour ; et que Mohammed al-Zahabi, ancien chef du Renseignement jordanien, était arrêté pour corruption financière.
Il est difficile de comprendre ce qui se passe sans lier ces événements à quatre dossiers principaux ; ceux de l’Iran, de la Syrie, des mouvements salafistes, et de la concurrence politique et économique entre la Russie et les Etats-Unis. Le conflit entre les différentes coalitions régionales et internationales est à son comble. L’Occident, l’Arabie Saoudite, le Qatar, ainsi que d’autres Pays du Golfe ont substantiellement soutenu certains partis de l’opposition syrienne. Rien que pour le Qatar, on parle de 11 milliards de dollars. Le nombre d’insurgés armés et les tonnes d’armes passées en Syrie ont ainsi atteint un niveau qui empêche la Russie de récolter les fruits de son soutien au gouvernement du Président Bachar al-Assad, mais qui néanmoins reste insuffisant pour le renverser.
Entretemps, plusieurs ministres russes, tels ceux de la Défense et des Affaires étrangères, n’hésitent plus à déclarer haut et fort leur soutien aux autorités syriennes et leur refus de laisser tomber le Président Al-Assad. Moscou est devenu une sorte de bouclier du gouvernement syrien. Elle accuse l’Occident, critique l’opposition, répète inlassablement qu’il n’y a de solution que par la négociation, le Président syrien devant en rester partie prenante. Finalement, jusqu’ici elle a réussi à contrarier les projets occidentaux visant à modifier le pouvoir en Syrie.
Washington, profitant de la crise syrienne, a réussi son escalade agressive contre l’Iran. Elle a durci l’ensemble des sanctions à son encontre, a étranglé son économie, et a contribué avec certains de ses alliés à exacerber le sectarisme confessionnel contre ce pays et le Hezbollah libanais à la fois. Mais, M. Obama est arrivé en fin de mandat sans obtenir la chute du Président syrien qu’il appelle de ses vœux depuis plus d’un an et demi. Al-Assad est toujours en place et l’Armée syrienne se bat depuis près de deux ans.
D’un autre côté, la même coalition anti-syrienne s’est arrangée pour atteindre son objectif consistant à compromettre la Turquie dans sa guerre contre la Syrie ; laquelle a réagi en laissant la bataille l’atteindre à ses frontières et même en son cœur, à travers les Kurdes, les Alaouites et la province du Hatay.
Les chances de compréhension entre les pays du Golfe et les autorités syriennes sont désormais réduites à néant. Il se dit que l’Émir du Qatar s’est rendu à Gaza pour rétablir sa popularité parmi les arabes à travers la cause palestinienne, après en avoir perdu une bonne partie dans « les pays du printemps arabe ». Mais, il se dit aussi que cette visite devrait servir de couverture à la préparation d’une opération prochaine, politique ou militaire, en Syrie. L’opération pourrait débuter dans le nord par la création d’une zone tampon avec augmentation du niveau de l’armement de l’opposition et formation d’un gouvernement en exil. De plus, L’Émir du Qatar aurait promis à ses alliés occidentaux de calmer les ardeurs du président palestinien Mahmoud Abbas, pour la reconnaissance d’un État palestinien par l’ONU.
Du côté opposé, l’Iran, la Syrie, et la Russie ont, dans une large proportion, réussi à attirer l’Irak dans leur camp. Des préoccupations, externe et interne, ont été suffisantes pour ramener la Jordanie à une neutralité minimale ; tandis que le Liban s’enfonce dans les répercussions de la guerre contre la Syrie et risque de payer un prix encore plus élevé si la guerre se prolonge.
Au plus fort des tentatives d’étranglement de l’Iran par l’économie, et de la Syrie par les armes, trois pays voient leur sécurité interne menacée : l’Arabie saoudite, le Bahreïn et la Turquie. La situation politique pose problème en Jordanie. Le ton monte encore aux Émirats Arabes par la voix du chef de la police de Dubaï [2] qui s’en prend aux Frères musulmans ; tandis que nombre de décideurs invitent à plus de précautions à leur égard dans les Pays du Golfe, et que d’autres s’inquiètent de l’expansion iranienne au Yémen et aux limites de l’Arabie saoudite.
Par conséquent, il est probable que nous ayons assisté à une guerre entre les différents services de renseignement, mais il est certain que la région est au bord de la guerre. Personne n’ose appuyer sur la gâchette le premier, mais la situation atteint l’intolérable. Il est difficile de s’imaginer que l’Iran puisse rester silencieux alors qu’il est asphyxié économiquement. Il est encore plus difficile de s’imaginer que la Syrie reste sans réagir en attendant l’arrivée des missiles anti-aériens entre les mains des insurgés armés sévissant dans tout le pays. Sans oublier que l’Occident commence à sérieusement s’inquiéter pour ses intérêts, et ceux d’Israël, devant l’élargissement du mouvement salafiste djihadiste de l’Irak à la Syrie, via la Jordanie et le Nord Liban, vers le Sinaï égyptien !
Il faut donc une guerre ou un accord. Les deux sont plus que jamais possibles, surtout depuis que les USA ont élu leur nouveau président. Nul ne peut se permettre un échec dans cette bataille des coalitions, car celui qui échouera pourrait tout perdre !
Sami Kleib, journaliste libanais de nationalité française, est diplômé en Communication, Philosophie du Langage et du Discours Politique. Il a été Directeur du Bureau du journal As-safir libanais, à Paris, et Rédacteur en chef du Journal de RMC-Moyen Orient. Responsable de l’émission « Visite spéciale » sur Al-Jazeera, il a démissionné en protestation contre l’orientation politique de cette chaîne.
07/11/2012
Article original : As-Safir
«مجزرة» استخبارات المنطقة ومجازر سوريا الصراع الأميركي ـ الروسي بين الحرب والصفقة
Article traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca
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