Pour l’ancien chef de gouvernement, Ahmeb Benbitour, les récents scandales ne sont que la partie visible de l’iceberg du fléau de la corruption en Algérie
- La chronique politique nationale est marquée, ces derniers temps, par les scandales de corruption en cascade, mettant en cause de hauts responsables du pays en charge de secteurs stratégiques. Comment cela a pu se produire ?
Les scandales dont vous parlez ne sont que la partie visible de l’iceberg. Malheureusement, la corruption s’est implantée dans l’ensemble des rouages de l’Etat et des entreprises. Elle se réalise dans les programmes d’importation, lors de la passation de contrats de réalisation de projets, de l’achat d’équipements collectifs, d’équipement des entreprises et lors des prêts bancaires.
La nature de la dotation en ressources naturelles (l’exploitation des hydrocarbures) crée, en l’absence d’une bonne gouvernance, une situation favorable à la corruption dans la redistribution de la rente. La centralisation et, partant, la concentration des moyens budgétaires induisent des investissements excessifs et imprudents, ce qui ouvre la voie à une corruption massive. Depuis combien de temps le Parlement est-il en train de voter des lois de finances avec les recettes de la fiscalité pétrolière calculées sur un prix de référence qui représente à peine 40% du prix réalisé ? Il ne faut pas se faire d’illusion, les responsables qui profitent de leur position vont s’opposer aux réformes des institutions qui permettraient de mettre fin à la corruption. Les remèdes doivent s’appuyer sur un processus politique qui consacre les programmes anticorruption, à savoir : les réformes du système de régulation, de la Fonction publique et de l’administration, des finances publiques, du système judiciaire, du système bancaire. De même, le système de gouvernance des entreprises, en particulier la nomination de membres des conseils d’administration indépendants et pénalement responsables de la bonne gestion des affaires.
- Le chef de l’Etat est «choqué» par l’étendue de la corruption et donne l’impression d’avoir découvert subitement les ravages causés par ce fléau alors que les hommes de son clan sont régulièrement cités. Quel commentaire cela vous inspire ?
Je pense, très franchement, que c’est une réaction très tardive ! La lutte contre la corruption ne se réalise pas par des déclarations. Elle consiste à apporter des remèdes appropriés aux fauteurs par des sanctions criminelles et pénales, des règles de procédure claires, des mécanismes institutionnels qui combattent les actes de corruption qui ont eu lieu. Les efforts de lutte contre la corruption doivent mettre l’accent sur les réformes institutionnelles et les politiques publiques, avec un engagement et un leadership explicite du premier responsable de l’Etat. Le défi est d’implanter et de mettre en œuvre des réformes crédibles dans chaque secteur. Un pouvoir qui a perdu sa légitimité doublé d’un Etat défaillant qui dérive vers un Etat déliquescent ne seront pas capables de faire face au grand défi de la lutte contre la corruption. D’où la nécessité du changement de tout le système de gouvernance de l’Etat.
- Lors de sa visite à Illizi, le Premier ministre a été interpellé par les notables du Sud sur le sentiment d’abandon qui s’empare des populations de cette région. Est-il juste de dire que l’Etat national a délaissé cette région du pays pourtant stratégique ?
L’Etat central n’a pas délaissé cette région, mais sa défaillance ne lui permet pas de mesurer son importance stratégique. La caractéristique de la distribution de la population en Algérie est que 15% des habitants occupent 85% du territoire national. Ce qui exige une gouvernance spécifique. Mais que constatons-nous ? Les mêmes règles administratives sont appliquées sans distinction à une commune de la daïra de Sidi M’hamed et une autre dans la daïra d’In Salah !
- Vous avez côtoyé longuement les arcanes de la haute administration. Quel est le regard que les gens au pouvoir portent vis-à-vis du Sud et de ses populations ? Certains y voient du mépris…
S’il y a du mépris, il se trouve au niveau de la bureaucratie locale. Il faut bien considérer qu’en l’absence du minimum de respect des règles de bonne gouvernance, ce sont les individus qui prennent les décisions en lieu et place des institutions habilitées. Lorsque ces individus ont le sentiment d’être affectés dans ces régions par sanction, cela peut mener vers le mépris réciproque !
- En ces moments de convulsions régionales, les risques sécessionnistes sont agités çà et là. L’Algérie est-elle à l’abri de ces soubresauts ?
J’ai parlé d’Etat défaillant qui dérive vers un Etat déliquescent. Un Etat déliquescent se caractérise par la généralisation de la corruption, l’institutionnalisation de l’ignorance et de l’inertie, le culte de la personnalité, la centralisation du pouvoir de décision par un nombre réduit d’individus en lieu et place des institutions habilitées, l’émiettement du pouvoir entre les différents clans à l’intérieur du système. Le pays persistera, alors, dans la situation de non-gouvernance avec la forte probabilité de vivre en même temps la violence sociale et la violence terroriste. C’est alors la porte ouverte à la dislocation de l’unité nationale et le danger sur l’unité du territoire. Il faut prendre au sérieux cette question. Avec la persistance de la qualité de gouvernance, l’Algérie ne sera pas à l’abri de ces soubresauts.
- On s’achemine vers la fin du troisième mandat de Bouteflika. Dans quel état est le pays ?
Un état déplorable : une économie vulnérable, volatile et très fortement dépendante des exportations d’hydrocarbures pour les recettes budgétaires. Elle est gravement dépendante de l’extérieur pour l’offre de biens essentiels à la population, notamment la nourriture et le médicament. Le pays fait face à huit défis : politique, économique et social, sécuritaire, culturel, moral, de gouvernance, de place des élites, de diplomatie dans un monde globalisé. Et bien d’autres problèmes à résoudre qui nécessitent de longs développements.
Laissez-moi terminer par une question : quel avenir pour le million et demi d’étudiants qui sortiront de l’université d’ici 2017-2018, c’est-à-dire, au moment de la baisse sensible des capacités d’exportation d’hydrocarbures ?
Laissez-moi terminer par une question : quel avenir pour le million et demi d’étudiants qui sortiront de l’université d’ici 2017-2018, c’est-à-dire, au moment de la baisse sensible des capacités d’exportation d’hydrocarbures ?
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