vendredi 10 mai 2013

Algérie - La loi sur l’audiovisuel au scalpel: recul et trabendisme

Le projet de loi sur l'audiovisuel qui attend toujours d'être présenté devant le Conseil des ministres, suscite de vives critiques chez les professionnels. Une régression qui vient accompagner un « trabendisme » de l’audiovisuel encouragé par l’Etat.

« L'avant-projet de loi relative à l'activité de l'audiovisuelle n'est pas digne de l'Algérie 2013 ». Belkacem Mostefaoui, professeur à l'Ecole nationale supérieure de journalisme et des sciences de l'information d'Alger, ne mâche pas ses mots pour parler de la première mouture du texte. Comme lui, nombreux sont les professionnels des médias à être déçus par le projet présenté. En cause : le maintien du monopole du public largement privilégié au détriment du privé soumis, lui, à de multiples restrictions.


L'article 3 définissant l'exercice de l'activité audiovisuelle annonce d'emblée la couleur : sur les cinq services de communication audiovisuelle cités, quatre relèvent du secteur public. Le privé se partage donc les miettes et il est soumis à autorisation. Ainsi, les futures radios et télévisions ne pourront être que thématiques, selon l'article 5, laissant au secteur public les chaînes généralistes où s'exerce le contrôle de l'information. Cette primauté de l'autorité de l'Etat est martelée dans l’ensemble du texte. Le chapitre I « des services de communication audiovisuelle » est dédié à « ceux relevant du secteur public ». Une hiérarchie qui ne trompe pas. Alors que la loi est censée introduire de nouvelles mesures pour ouvrir le champ audiovisuel au privé, le législateur commence par réaffirmer les prérogatives du public.
Les nouveautés, à savoir, les critères de création de services de communication, sont introduites qu'au chapitre II consacré au « services de communication audiovisuelle autorisés ». Il s’agit surtout d'une longue liste de « conditions », « modalités », et « autorisations » plus contraignantes qu'incitatives. Le texte ne précise pas les libertés, il fixe les limites de l’activité. Au lieu d'ouvrir, il referme le domaine de l'audiovisuel, estiment plusieurs professionnels des médias. « La loi sur l'information d'avril 1990 était beaucoup plus expressive d'une nouvelle liberté. Elle était ouverte à tous les entrepreneurs privés et publics comme en témoigne la naissance de 131 titres de presse-écrite. Cet avant-projet de loi, au contraire, est dominé par le restrictif », juge Belkacem Mostefaoui. 

Un trabendo de l'audiovisuel « régulé »

Autre critique formulée par le professeur à l'égard du projet de la loi sur l'audiovisuel : son incapacité à régler « l'épineuse » question des chaînes de télévision privées. « Comment se fait-il que les pouvoirs publics qui imposent un monopole sur l'audiovisuel depuis plusieurs décennies n'arrivent pas à régulariser la situation de ces télés offshore ciblant l'Algérie telles que Echorouk, Ennahar, El Djazaïria », s'interroge Belkacem Mostefaoui. Les autorités leur ont en effet accordé début avril une autorisation administrative à ouvrir provisoirement des représentations à Alger jusqu'au 31 décembre 2013. 
Malgré l'affirmation du ministre de la Communication, Mohamed Saïd, selon laquelle « ces télés devront se conformer à la future loi sur l'audiovisuel », cette dernière ne fixe pas les règles de leur fonctionnement. Elle évoque simplement un « cahier des charges » au contenu imprécis et fournit, à l'article 39, une indication technique : « Toute personne morale autorisée à exploiter un service de communication audiovisuelle doit avoir sa régie finale de diffusion des programmes sur le territoire national, quels que soient la conception et le support de distribution utilisé ». Pour Belkacem Mostefaoui, ces chaînes de télévisions privées se trouvent dans une « situation non légale » et fonctionnent dans l’informel. « Il y a un marché de l'informel dans l'audiovisuel clairement établi » dénonce le professeur qui s'insurge contre le « laisser-faire et laisser- aller » adopté par les pouvoirs publics. 

Télévisions chewing-gum

Or, en l'absence de règles édictées par les autorités, le contenu de ces nouvelles chaînes de télévision échappe, selon le professeur de l'Ecole de journalisme d'Alger, aux exigences élémentaires d'un service audiovisuel de qualité. « On a vu cette liberté de l'audiovisuel entrer dans des dérives populistes transformant ces télévisions privées en télévisions chewing-gum », souligne Belkacem Mostefaoui. La création d'une autorité de régulation de l'audiovisuel, nommée ARAV, devrait veiller à la qualité de l'offre, selon les mots du projet de loi : « Pour préserver le service public de la communication audiovisuelle de déviations toujours possibles, il est créé une autorité de régulation indépendante […] ».
Chargée de « contrôler la conformité à la loi » et de « surveiller l'application des règles », cette nouvelle autorité administrative « indépendante et neutre » des départements ministériels hérite des prérogatives de l'ex-Conseil supérieur de l'information (CSI) dissous en 1993, explique Mazouz Rezigui, ancien directeur du CSI et enseignant associé à l'Ecole de journalisme d'Alger. Après vingt ans de contrôle par le ministère de la Communication, les attentes sont nombreuses. L’identité des onze membres de la future autorité de régulation sera notamment un élément déterminant. Une Arav sans professionnels des médias ou avec une présence insignifiante serait « une coquille vide » avertissent-ils !
  •  Nejma Rondeleux

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