''Mohamed Chafik Mesbah reprend avec insistance l’hypothèse Zeroual, donnant au passage peu de crédit aux possibles candidatures des anciens premiers ministres Ali Benflis ou encore Mouloud Hamrouche, qui connaissent parfaitement le fonctionnement de l’Etat. «Je ne vois aucun homme aujourd’hui qui se dégage. Aucun ne fait consensus, ni chez les laïcs, ni chez les islamistes. Le seul qui ferait consensus, c’est Liamine Zeroual, qui aurait pour mission de recoudre un tissu social mangé par la corruption»...''
Toujours pas la moindre image du président Bouteflika, un mois après son hospitalisation au Val-de-Grâce, puis sa convalescence aux Invalides. Les rumeurs les plus alarmantes sur son état de santé s’entrechoquent avec les plus rassurantes distillées par son entourage proche. Peut-on d’ores et déjà parler d’une succession? Que trahit cette absence de communication à la tête du pouvoir?
Pour Mohamed Chafik Mesbah, ancien colonel des services secrets aujourd’hui politologue, «le système politique algérien, comme l’a dit par un jour un ambassadeur américain en poste à Alger, est une boîte noire avec des gens à l’intérieur mais qui ne savent pas comment marche la boîte». Pour l’ex-officier, qui est resté proche des milieux militaires, «tous les observateurs de la politique algérienne tentent d’arracher le secret de fonctionnement du sommet de l’Etat mais se heurtent à un mur invisible. Mais ce qu’on voit depuis quinze jours c’est une communication prise dans les phares des médias, en état de panique.»
Une paralysie qui toucherait aussi en ricochet la diplomatie française. «Paris ne veut surtout pas se mettre à dos les Algériens et ne veut pas insulter l’avenir. Cela donne l’impression, poursuit le politologue, que l’Algérie ne compterait plus, ou pas assez, sur la scène internationale», même si le pays s’est ressoudé derrière son armée après l’attaque djihadiste d’In Amenas en janvier dernier. «Le président, même en cas d’empêchement pour maladie [remplacé par le président du Sénat] sera épargné par les affaires qui touchent son entourage et surtout son frère Saïd», avance-t-il. Mais en cas de disparition? «Dès que le protecteur n’est plus, il y aura un nettoyage, des têtes vont tomber. Elles sont réclamées par la rue. Tous ces milliards spoliés, envolés, dispersés, engloutis, détournés. Il y a un besoin d’un retour à une morale, au respect de la règle.»
De sorte que certains portent déjà l’idée d’«un gouvernement de salut public» conduit par… Liamine Zeroual, 71 ans. L’ancien président, fort d’une image d’incorruptible, vit aujourd’hui totalement retiré de la vie politique avec ses 3000 euros de retraite. Mohamed Chafik Mesbah reprend avec insistance l’hypothèse Zeroual, donnant au passage peu de crédit aux possibles candidatures des anciens premiers ministres Ali Benflis ou encore Mouloud Hamrouche, qui connaissent parfaitement le fonctionnement de l’Etat. «Je ne vois aucun homme aujourd’hui qui se dégage. Aucun ne fait consensus, ni chez les laïcs, ni chez les islamistes. Le seul qui ferait consensus, c’est Liamine Zeroual, qui aurait pour mission de recoudre un tissu social mangé par la corruption», imagine Mohamed Chafik Mesbah, que l’on sent travaillé par l’idée d’un recours à l’homme providentiel.
Tous n’en sont pas convaincus. «L’hypothèse Zeroual me paraît étrange comme idée. C’est un peu retour vers le futur. On parle d’un homme quand même de surcroît marqué par l’époque de la décennie noire. Ou alors l’hypothèse Zeroual est un ballon d’essai?» explique l’universitaire, spécialiste du Maghreb contemporain, Pierre Vermeren. Le défi, selon le chercheur, au-delà de l’homme élu, «sera aussi de modifier ce système qui repose sur la rente pétrolière et cette économie centralisée. Ce modèle crache de l’argent et cette rente fait tenir l’ensemble.»
Pierre Vermeren assure que pour le moment «les Algériens sont contrariés d’avoir un président sur le retrait, alors que Bouteflika est un personnage séducteur adopté par la population». Il dresse au passage le portrait d’un successeur: «Il devra être compatible avec les forces islamistes et les pays du Golfe, les nationalistes et le FLN, qui tient congrès le mois prochain, le RND [ndlr: les deux partis sont des béquilles du pouvoir algérien], être agréé par les services secrets, l’armée, ne pas faire peur aux milieux financiers, ne pas être en froid avec Paris et les Etats-Unis, tout en sachant parler au peuple. C’est un mouton à cinq pattes que l’Algérie doit trouver et qui fera aussi consensus à la tête de l’oligarchie.»
Pierre Vermeren conclut qu’il y aura bien d’ici là des coups de théâtre et que la pièce pourrait être plus longue qu’annoncée, alors que «l’Algérie attend une nouvelle génération, c’est pourquoi l’hypothèse Zeroual me laisse dubitatif». Reste, dit-il, que les Algériens, pas dupes, «savent que le système perdurera».
Benjamin Stora, historien, spécialiste de l’Algérie, se garde bien, lui, d’évoquer une quelconque candidature pour succéder à Abdelaziz Bouteflika: «On peut échafauder des hypothèses. Avec l’Algérie c’est souvent celle à laquelle personne n’avait songé qui se vérifie.» Qui que ce soit qui sera choisi par les «décideurs», le chantier qui s’ouvre sera d’ampleur. «Il reste à construire une économie réelle qui ne repose pas sur la rente. Aujourd’hui, la population est excédée par les coupures d’eau, de courant, les libertés écornées, mais le pays vit aujourd’hui en paix. Et la paix, c’est Bouteflika, le dernier représentant de la génération francophone des hommes qui ont participé à la guerre d’indépendance, celui qui a réussi la synthèse de plusieurs mondes, notamment entre le nationalisme arabe et l’espace francophone», conclut Benjamin Stora.
Kamel Daoud, le plus brillant et aussi le plus grinçant des chroniqueurs du pays, dans une chronique au Quotidien d’Oran, avait d’une phrase résumé les années Bouteflika: «Un régime alité en convalescence depuis une décennie.»
Jean-Louis Le Touze
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/6a9138f0-c702-11e2-9b03-60a880028ca8%7C1#.UaZat9Jg_Pw
Pour Mohamed Chafik Mesbah, ancien colonel des services secrets aujourd’hui politologue, «le système politique algérien, comme l’a dit par un jour un ambassadeur américain en poste à Alger, est une boîte noire avec des gens à l’intérieur mais qui ne savent pas comment marche la boîte». Pour l’ex-officier, qui est resté proche des milieux militaires, «tous les observateurs de la politique algérienne tentent d’arracher le secret de fonctionnement du sommet de l’Etat mais se heurtent à un mur invisible. Mais ce qu’on voit depuis quinze jours c’est une communication prise dans les phares des médias, en état de panique.»
Une paralysie qui toucherait aussi en ricochet la diplomatie française. «Paris ne veut surtout pas se mettre à dos les Algériens et ne veut pas insulter l’avenir. Cela donne l’impression, poursuit le politologue, que l’Algérie ne compterait plus, ou pas assez, sur la scène internationale», même si le pays s’est ressoudé derrière son armée après l’attaque djihadiste d’In Amenas en janvier dernier. «Le président, même en cas d’empêchement pour maladie [remplacé par le président du Sénat] sera épargné par les affaires qui touchent son entourage et surtout son frère Saïd», avance-t-il. Mais en cas de disparition? «Dès que le protecteur n’est plus, il y aura un nettoyage, des têtes vont tomber. Elles sont réclamées par la rue. Tous ces milliards spoliés, envolés, dispersés, engloutis, détournés. Il y a un besoin d’un retour à une morale, au respect de la règle.»
De sorte que certains portent déjà l’idée d’«un gouvernement de salut public» conduit par… Liamine Zeroual, 71 ans. L’ancien président, fort d’une image d’incorruptible, vit aujourd’hui totalement retiré de la vie politique avec ses 3000 euros de retraite. Mohamed Chafik Mesbah reprend avec insistance l’hypothèse Zeroual, donnant au passage peu de crédit aux possibles candidatures des anciens premiers ministres Ali Benflis ou encore Mouloud Hamrouche, qui connaissent parfaitement le fonctionnement de l’Etat. «Je ne vois aucun homme aujourd’hui qui se dégage. Aucun ne fait consensus, ni chez les laïcs, ni chez les islamistes. Le seul qui ferait consensus, c’est Liamine Zeroual, qui aurait pour mission de recoudre un tissu social mangé par la corruption», imagine Mohamed Chafik Mesbah, que l’on sent travaillé par l’idée d’un recours à l’homme providentiel.
Tous n’en sont pas convaincus. «L’hypothèse Zeroual me paraît étrange comme idée. C’est un peu retour vers le futur. On parle d’un homme quand même de surcroît marqué par l’époque de la décennie noire. Ou alors l’hypothèse Zeroual est un ballon d’essai?» explique l’universitaire, spécialiste du Maghreb contemporain, Pierre Vermeren. Le défi, selon le chercheur, au-delà de l’homme élu, «sera aussi de modifier ce système qui repose sur la rente pétrolière et cette économie centralisée. Ce modèle crache de l’argent et cette rente fait tenir l’ensemble.»
Pierre Vermeren assure que pour le moment «les Algériens sont contrariés d’avoir un président sur le retrait, alors que Bouteflika est un personnage séducteur adopté par la population». Il dresse au passage le portrait d’un successeur: «Il devra être compatible avec les forces islamistes et les pays du Golfe, les nationalistes et le FLN, qui tient congrès le mois prochain, le RND [ndlr: les deux partis sont des béquilles du pouvoir algérien], être agréé par les services secrets, l’armée, ne pas faire peur aux milieux financiers, ne pas être en froid avec Paris et les Etats-Unis, tout en sachant parler au peuple. C’est un mouton à cinq pattes que l’Algérie doit trouver et qui fera aussi consensus à la tête de l’oligarchie.»
Pierre Vermeren conclut qu’il y aura bien d’ici là des coups de théâtre et que la pièce pourrait être plus longue qu’annoncée, alors que «l’Algérie attend une nouvelle génération, c’est pourquoi l’hypothèse Zeroual me laisse dubitatif». Reste, dit-il, que les Algériens, pas dupes, «savent que le système perdurera».
Benjamin Stora, historien, spécialiste de l’Algérie, se garde bien, lui, d’évoquer une quelconque candidature pour succéder à Abdelaziz Bouteflika: «On peut échafauder des hypothèses. Avec l’Algérie c’est souvent celle à laquelle personne n’avait songé qui se vérifie.» Qui que ce soit qui sera choisi par les «décideurs», le chantier qui s’ouvre sera d’ampleur. «Il reste à construire une économie réelle qui ne repose pas sur la rente. Aujourd’hui, la population est excédée par les coupures d’eau, de courant, les libertés écornées, mais le pays vit aujourd’hui en paix. Et la paix, c’est Bouteflika, le dernier représentant de la génération francophone des hommes qui ont participé à la guerre d’indépendance, celui qui a réussi la synthèse de plusieurs mondes, notamment entre le nationalisme arabe et l’espace francophone», conclut Benjamin Stora.
Kamel Daoud, le plus brillant et aussi le plus grinçant des chroniqueurs du pays, dans une chronique au Quotidien d’Oran, avait d’une phrase résumé les années Bouteflika: «Un régime alité en convalescence depuis une décennie.»
Jean-Louis Le Touze
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/6a9138f0-c702-11e2-9b03-60a880028ca8%7C1#.UaZat9Jg_Pw
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