Mohamed Benchicou
Ce sont des généraux d'humeur printanière, définitivement convertis à la vertu, à la sage neutralité et aux joies du professionnalisme, qui ont répondu à la lettre de Mohamed Mechati, ancien membre des « 22 », qui leur rappelait leur devoir envers un peuple embarqué malgré lui dans une ténébreuse aventure nommée Abdelaziz .
« Nous sommes une institution nationale républicaine pleinement dévouée à assumer son rôle constitutionnel sous la conduite de Monsieur le président de la République… », disent-ils, avec l'accent du bon potache qui a appris par cœur sa leçon de choses.
Mais pour qu'il y ait « institution républicaine », mon général, il faut qu'il y ait d'abord une République, c'est à dire un régime politique où les fonctions de chef d'État ne sont pas héréditaires, mais procèdent de l'élection, ce qui suppose que la souveraineté appartient au peuple !
Or, depuis l'indépendance, la souveraineté appartient aux humeurs des puissants. L’Algérie n’est qu’une pitoyable parodie de République moderne, une espèce de monarchie bâtarde, archaïque, sur le modèle de l’Irak de Saddam, de la Libye de Khadafi ou de la Tunisie de Ben Ali, une monarchie honteuse dirigée par un roi roturier et éternel que personne n’a choisi et qui règnera par une dictature de la pire espèce, par l’incurie, la gabegie, l’incompétence et le désordre destructeur. C'est cela et rien que cela l'Algérie d'aujourd'hui !Mais pour qu'il y ait « institution républicaine », mon général, il faut qu'il y ait d'abord une République, c'est à dire un régime politique où les fonctions de chef d'État ne sont pas héréditaires, mais procèdent de l'élection, ce qui suppose que la souveraineté appartient au peuple !
Le fait que l’auteur de la lettre soit un des pionniers du soulèvement de 1954 constitue un symbole suffisant pour rappeler à nos généraux qu’ils avaient un devoir envers l’histoire, et que la revendication d'une armée nationale avait figuré pour la première fois dans le discours prononcé par Messali Hadj au congrès anti-impérialiste de Bruxelles en 1927, une armée nationale qui serait l'une des colonnes vertébrales du futur État indépendant, au même titre qu'un gouvernement national révolutionnaire, qu'une Assemblée constituante élue au suffrage universel. Nous n’avons eu ni gouvernement national révolutionnaire ni Assemblée constituante élue au suffrage universel. Sur quel socle reposerait donc l’armée républicaine ?
Cette armée, qui prétend à la similitude avec l’armée turque, tourne le dos à sa propre histoire. À ses obligations historiques. Mustafa Kemal était un général et, comme en Algérie, ce sont les militaires qui gagnèrent la guerre d'indépendance. Mais en Turquie, ils fondèrent le nouvel État-Nation et l’armée est, depuis la fin de l'Empire ottoman, un facteur de modernisation et cette vocation modernisatrice n’a pu se confirmer qu’après la fondation du nouvel État, de la République par Mustafa Kemal. Aujourd’hui l’armée turque protège un socle démocratique pérenne bâti sur trois principes : le laïcisme, le républicanisme et le nationalisme, considérés par l'armée comme le fondement du kémalisme. Que protègent donc les chefs de l’armée algérienne ? Leur humeur sans doute.
En 1962, les chefs militaires, au tempérament plutôt maussade, avaient entrepris de confisquer l'indépendance, de renvoyer le gouvernement provisoire et de s'installer sur le trône, avec un civil comme paravent. En 1965, remontés contre ledit civil, ils ont choisi de l'écarter et de se passer de paravent. En 1979, dans une disposition arrogante, ils ont reconduit un colonel à la tête du pays avant de le faire démettre, 13 ans plus tard, pour cause de victoire des islamistes aux législatives. En 1995, renouant avec le flegme, ils font élire massivement un général, Liamine Zéroual, avant d'être rattrapés par leur humeur anxieuse, et de décréter, sous le coup du malaise d'une armée qui « ne voulait plus être au centre du système politique » : le militaire Zéroual est poussé vers la porte de sortie et le pouvoir est transféré aux civils, en l'occurrence au « civil » Abdelaziz Bouteflika. Et le peuple, dans tout ça ? Eh bien, le peuple, il ne compte pas, comme dirait l'autre.
L'humeur des généraux l'emporte toujours sur le choix populaire. Cela n'est pas une République, mon général ! Quand Mohamed Mechati rappelle aux généraux « Vous qui avez choisi et imposé cet homme et qui l'avez déclaré élu puis réélu, faussement et sans scrupule (…) », il veut dire que Bouteflika a été imposé aux Algériens à la place de Zéroual sans aucune considération pour l'élan populaire, sans précédent, qui avait entouré l'élection de ce dernier en 1995. Les généraux ont mis fin à une expérience unique d'un État qui demeurait debout en dépit de tout, en dépit d'un pétrole à son plus bas niveau, d'un boycott occidental, des caisses vides, et qui n’avait pas capitulé devant l’islamisme comme le recommandait la plateforme de Sant'Egidio.
Les chefs militaires, sous le coup de l'angoisse du TPI, ont avorté l' Algérie renaissante qui était en train de se relever, laborieusement mais triomphalement, d’une bataille impitoyable contre le terrorisme islamiste, où la lutte contre l’intégrisme islamiste avait redonné une nouvelle légitimité au combat populaire, une Algérie qui retrouvait goût à la grandeur, qui courtisait la démocratie. Tout cela a été remplacé par une « république » où les services de renseignements enquêtent sur les marchés passés par Sonatrach durant l’administration Bouteflika, où il a été détourné en trois mandats l'argent du présent et du futur, que les généraux parlent ? Quand Mechati dit qu'il faut « agir vite ; il y va de la survie de notre pays », il rappelle que le « transfert du pouvoir aux civils », décidé unilatéralement par les chefs de l'armée en 1999, s’est transformé en « transfert de pouvoir aux groupes mafieux».
Ces groupes ont profité de la démolition de l’État algérien par Bouteflika pour dicter leur loi à un pouvoir faible qui, de surcroît, cherchait le soutien mafieux pour compenser ce que l'historien Daho Djerbal désigne comme « la faiblesse de l’ancrage sociopolitique des partis au pouvoir et des organisations satellisées.» Serions-nous face à un vrai marché de dupes ? Nos officiers croyaient installer un président exclusivement à leur solde, en 1999 ; ils découvrent que ce dernier était, étrangement, aussi à la solde de coteries puissantes et insoupçonnées : la mafia de l'import et la pègre pétrolière mondiale.
Oui, une élection présidentielle en 2014, si elle venait à avoir lieu, consacrerait la victoire du clan Bouteflika à la tête d’un État faible, déstructuré et au service d’une redoutable voyoucratie alliée aux kleptocrates du pouvoir et à la pègre pétrolière mondiale qui s’est installée sur les débris de l’État algérien démantelé depuis 14 ans. D’une mafia qui, progressivement, dit son nom. L’Algérie ressemblerait à la Russie eltsinienne, mais sans les moyens de la Russie, c’est-à-dire un État sans consistance, sans soutien populaire, qui ne serait ni un État de droit ni une économie de marché, mais une simple oligarchie roturière, c'est à dire un régime dans lequel le pouvoir appartient à un petit groupe de personnes privilégiant essentiellement leur intérêt personnel.
La réponse du ministère de la Défense nationale à Mohamed Mechati signifie que l’armée algérienne persiste dans l'illusion historique de se croire dépolitisée par miracle, ce qui l'autoriserait à rentrer dans les casernes sans avoir « reconstruit » ce qu’elle avait démoli : l’ambition démocratique du peuple algérien. Tant qu’elle ne le fera pas, elle sera toujours appelée à sortir de la caserne pour remettre de l’ordre, mais à un prix toujours plus élevé. C’est ce qu’a compris l’armée turque dont le coup d'État du 27 mai 1960 fut en fait la première intervention majeure dans la vie politique depuis la fondation de la République. Ne paniquons pas : l'interruption de la vie démocratique fut de très courte durée car l'objectif de ce coup d'État était d'établir un système plus libéral et plus démocratique que le précédent. Le premier souci des militaires qui prirent alors le pouvoir fut d'inciter des professeurs de droit constitutionnel à préparer une nouvelle Constitution démocratique.
Et que nos généraux n’oublient pas : on voulait, dès le XIXe siècle que l’armée ottomane devienne une armée dépolitisée et elle parvint à l'être pendant une cinquantaine d'années. En 1876, pourtant, c'est grâce à l'appui d'une fraction de l'armée que le Sultan conservateur qui brimait les intellectuels put être destitué pour être remplacé par une monarchie constitutionnelle. Ce fut ainsi que le rôle de l’armée allait devenir primordial dans la préparation de la révolution des Jeunes Turcs en 1908 qui ouvrit une seconde période de monarchie constitutionnelle. Comment s’appelait le sultan déchu ? Le sultan Abdelaziz.
http://www.tsa-algerie.com/actualite/item/864-la-faute-historique-de-l-armee-algerienne-republicaine-dans-un-ocean-de-gabegie
L'humeur des généraux l'emporte toujours sur le choix populaire. Cela n'est pas une République, mon général ! Quand Mohamed Mechati rappelle aux généraux « Vous qui avez choisi et imposé cet homme et qui l'avez déclaré élu puis réélu, faussement et sans scrupule (…) », il veut dire que Bouteflika a été imposé aux Algériens à la place de Zéroual sans aucune considération pour l'élan populaire, sans précédent, qui avait entouré l'élection de ce dernier en 1995. Les généraux ont mis fin à une expérience unique d'un État qui demeurait debout en dépit de tout, en dépit d'un pétrole à son plus bas niveau, d'un boycott occidental, des caisses vides, et qui n’avait pas capitulé devant l’islamisme comme le recommandait la plateforme de Sant'Egidio.
Les chefs militaires, sous le coup de l'angoisse du TPI, ont avorté l' Algérie renaissante qui était en train de se relever, laborieusement mais triomphalement, d’une bataille impitoyable contre le terrorisme islamiste, où la lutte contre l’intégrisme islamiste avait redonné une nouvelle légitimité au combat populaire, une Algérie qui retrouvait goût à la grandeur, qui courtisait la démocratie. Tout cela a été remplacé par une « république » où les services de renseignements enquêtent sur les marchés passés par Sonatrach durant l’administration Bouteflika, où il a été détourné en trois mandats l'argent du présent et du futur, que les généraux parlent ? Quand Mechati dit qu'il faut « agir vite ; il y va de la survie de notre pays », il rappelle que le « transfert du pouvoir aux civils », décidé unilatéralement par les chefs de l'armée en 1999, s’est transformé en « transfert de pouvoir aux groupes mafieux».
Ces groupes ont profité de la démolition de l’État algérien par Bouteflika pour dicter leur loi à un pouvoir faible qui, de surcroît, cherchait le soutien mafieux pour compenser ce que l'historien Daho Djerbal désigne comme « la faiblesse de l’ancrage sociopolitique des partis au pouvoir et des organisations satellisées.» Serions-nous face à un vrai marché de dupes ? Nos officiers croyaient installer un président exclusivement à leur solde, en 1999 ; ils découvrent que ce dernier était, étrangement, aussi à la solde de coteries puissantes et insoupçonnées : la mafia de l'import et la pègre pétrolière mondiale.
Oui, une élection présidentielle en 2014, si elle venait à avoir lieu, consacrerait la victoire du clan Bouteflika à la tête d’un État faible, déstructuré et au service d’une redoutable voyoucratie alliée aux kleptocrates du pouvoir et à la pègre pétrolière mondiale qui s’est installée sur les débris de l’État algérien démantelé depuis 14 ans. D’une mafia qui, progressivement, dit son nom. L’Algérie ressemblerait à la Russie eltsinienne, mais sans les moyens de la Russie, c’est-à-dire un État sans consistance, sans soutien populaire, qui ne serait ni un État de droit ni une économie de marché, mais une simple oligarchie roturière, c'est à dire un régime dans lequel le pouvoir appartient à un petit groupe de personnes privilégiant essentiellement leur intérêt personnel.
La réponse du ministère de la Défense nationale à Mohamed Mechati signifie que l’armée algérienne persiste dans l'illusion historique de se croire dépolitisée par miracle, ce qui l'autoriserait à rentrer dans les casernes sans avoir « reconstruit » ce qu’elle avait démoli : l’ambition démocratique du peuple algérien. Tant qu’elle ne le fera pas, elle sera toujours appelée à sortir de la caserne pour remettre de l’ordre, mais à un prix toujours plus élevé. C’est ce qu’a compris l’armée turque dont le coup d'État du 27 mai 1960 fut en fait la première intervention majeure dans la vie politique depuis la fondation de la République. Ne paniquons pas : l'interruption de la vie démocratique fut de très courte durée car l'objectif de ce coup d'État était d'établir un système plus libéral et plus démocratique que le précédent. Le premier souci des militaires qui prirent alors le pouvoir fut d'inciter des professeurs de droit constitutionnel à préparer une nouvelle Constitution démocratique.
Et que nos généraux n’oublient pas : on voulait, dès le XIXe siècle que l’armée ottomane devienne une armée dépolitisée et elle parvint à l'être pendant une cinquantaine d'années. En 1876, pourtant, c'est grâce à l'appui d'une fraction de l'armée que le Sultan conservateur qui brimait les intellectuels put être destitué pour être remplacé par une monarchie constitutionnelle. Ce fut ainsi que le rôle de l’armée allait devenir primordial dans la préparation de la révolution des Jeunes Turcs en 1908 qui ouvrit une seconde période de monarchie constitutionnelle. Comment s’appelait le sultan déchu ? Le sultan Abdelaziz.
http://www.tsa-algerie.com/actualite/item/864-la-faute-historique-de-l-armee-algerienne-republicaine-dans-un-ocean-de-gabegie
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire