On va enfin savoir officiellement qui sera le nouveau numéro deux des États-Unis.
Non, Barack Obama n'a pas changer de vice-président. Mais il a nommé, mercredi 9 octobre, la vice-présidente de la Fed Janet Yellen pour succéder bientôt à Ben Bernanke à la tête de la banque centrale américaine. Pour le président des États-Unis, il s’agit ni plus ni moins que de choisir la personne qui exercera à partir du 1er février 2014 les responsabilités les plus importantes pour son pays et le monde juste après lui.
Les États-Unis restent la première puissance mondiale
Malgré tous les changements intervenus au cours des dernières décennies, les États-Unis restent la première puissance économique mondiale avec un PIB de 15.680 milliards de dollars (environ 11.600 milliards d'euros), loin encore devant la Chine (8.227 milliards) et le Japon (5.964). En théorie, l’Union européenne pèse un peu plus lourd, avec un PIB de 16.360 milliards, mais cet ensemble ne présente pas la même unité politique et monétaire.
Le dollar voit sa prépondérance à peine entamée par la montée en puissance de l’euro et du yuan. Il est toujours la monnaie la plus utilisée dans les transactions internationales: sa part dans les réserves de change était encore de 62% au premier trimestre de cette année, selon les calculs du FMI portant sur les réserves de 144 pays.
Sur les 5.300 milliards de dollars de devises qui s’échangent chaque jour dans le monde (qu’il s’agisse des marché au comptant ou des marchés à terme ou d’options), il apparaît dans 87% des transactions, selon les dernières statistiques de la Banque des Règlements Internationaux.
On peut ajouter à cela que les banques américaines, qui étaient pourtant en première ligne dans la crise de 2008, ont pu, avec le soutien habile de leur gouvernement et de la Réserve fédérale, se refaire une santé: les six plus grandes d’entre elles (JP Morgan Chase, Bank of America, Citigroup, Wells Fargo, Goldman Sachs et Morgan Stanley) sont aujourd’hui plus puissantes qu’elles ne l’étaient avant la crise par la taille de leurs actifs et Wells Fargo a repris cet été à la banque chinoise ICBC la place de première banque mondiale par sa capitalisation boursière. Que la reconstitution de telles puissances financières soit une bonne chose est très discutée, même aux États-Unis, mais elle est un fait.
Quand une réunion affole les marchés
Ceux qui refuseraient de croire à l’importance du rôle tenu par la Réserve fédérale n’ont qu’à regarder l’impact de la publication desminutes d’une réunion de son comité de politique monétaire le 22 mai dernier. Il a suffi que soit évoquée la possibilité d’une réduction des injections exceptionnelles de liquidités dans le système monétaire pour que les capitaux quittent précipitamment les pays émergents et reviennent aux Etats-Unis, provoquant la chute des taux de change des monnaies des pays concernés, un nouveau recul de leurs marchés boursiers, une hausse de leurs taux d’intérêt, etc.
Depuis ce jour, la politique monétaire américaine n’a pas changé et il se pourrait fort bien qu’elle ne change pas avant le début 2014, mais ce seul échange de points de vue entre dirigeants de la Réserve fédérale a eu un impact sur la vie quotidienne de centaines de millions de gens à travers le monde.
Les autres pays développés, ceux de la zone euro pour prendre un exemple qui nous concerne directement, ne sont pas à l’abri de tels mouvements de capitaux, peut-être moins brutaux dans leur cas, mais aussi déterminants. Si l’euro continue d’osciller autour de 1,35 dollar alors que la santé économique relative des deux zones économiques ne justifierait pas qu’il soit aussi vigoureux, cela s’explique pour l’essentiel par la très grande souplesse, pour ne pas dire plus, de la politique monétaire américaine.
Le président ne décide pas seul
Evidemment, le président du Federal Reserve Board ne prend pas ses décisions seul. Alan Greenspan, qui a occupé ce poste de 1987 à 2006 avant de le céder à Ben Bernanke, explique très bien ce qu’il a découvert en y arrivant dans son livre Le Temps des turbulences:
«Le président de la Fed jouissait d’un pouvoir unilatéral moins important que ne le suggérait son titre. Statutairement, il n’avait autorité que sur l’ordre du jour des réunions du conseil des gouverneurs (Board) –pour toutes les autres questions, le conseil prenait les décisions à la majorité et le président ne disposait que d’une voix sur sept.
Il ne présidait pas non plus automatiquement le "comité de politique monétaire" (FOMC) —l’instance dotée d’un grand pouvoir qui fixe le taux des fonds fédéraux, un levier essentiel de la politique monétaire des Etats-Unis […]. Si le président du Board est traditionnellement celui du FOMC, il doit être élu chaque année par les membres, qui ont la liberté de choisir quelqu’un d’autre.»
Alan Greenspan a été rassuré: les membres du FOMC n’ont pas usé de cette liberté. Il en a été de même pour Ben Bernanke et ce risque de mise à l’écart de président du Board est dans les faits assez théorique.
En revanche, au moment de la nomination, le choix qui a été fait par le président des Etats-Unis doit être approuvé par le Sénat, actuellement à majorité démocrate, et le président du Board doit rendre régulièrement des comptes sur son action devant les deux chambres du Congrès. Il ne peut être reconduit dans ses fonctions s’il déplaît au chef de l’Etat et s’il n’a pas le soutien de la majorité du Sénat. Il peut prendre ses décisions avec le Board et le FOMC sans en référer au pouvoir politique, mais, dans la pratique, il ne peut ignorer ce dernier; les contacts sont d’ailleurs permanents.
Nommé par George W. Bush, le président actuel du Board, Ben Bernanke, après deux mandats de quatre ans, aurait théoriquement pu être reconduit dans ses fonctions: le nombre des mandats n’est pas limité. Certains, comme le financier Warren Buffett, avaient fait savoir qu’ils étaient très contents de son action et qu’ils le verraient bien poursuivre sa tâche. Mais, apparemment, ce n’est pas ainsi que Barack Obama voyait les choses.
Yellen, une «colombe» avec une bonne vue
Celui qui paraissait dans un premier temps être son favori, l’économiste Lawrence Summers, a dû renoncer: il y avait trop de points négatifs dans son CV, entre ses liens avec les milieux d'affaires, sa participation à la dérégulation financière des années 90 ou son passage contesté à la tête de l'université d'Harvard.
L'heureuse élue, Janet Yellen, devrait plaire aux financiers car elle a la réputation d’une «colombe», autrement dit, d’une personne favorable à des politiques monétaires assez souples. Mais ceux-ci ne doivent pas se tromper, la colombe ne les laisserait pas faire n’importe quoi, car elle a une bonne vue: elle est un des rares dirigeants de la Réserve fédérale à avoir attiré l’attention sur les dangers de la politique de crédit immobilier qui a mené à la crise.
Un point qui plaide incontestablement en sa faveur, car le monde a besoin de dirigeants de banques centrales sachant dire non aux demandes des politiques. Que ce soit aux États-Unis, au Royaume-Uni ou au Japon, les politiques économiques sont à la peine et la croissance repose presque uniquement sur des politiques monétaires très accommodantes.
Les injections de liquidités atteignent des niveaux jamais atteints. Tous les économistes sont au moins d’accord sur ce point, nous sommes entrés sur des terres encore inexplorées — même si les avis divergent sur où elles vont nous conduire.
Ceux qui tirent la sonnette d'alarme ont raison de s’inquiéter. Le soulagement des marchés lorsque la Réserve fédérale a annoncé qu’elle ne resserrait pas en septembre sa politique ne peut être que provisoire: un jour ou l’autre —il vaut mieux que ce ne soit pas trop tard—, le retour à des pratiques plus conventionnelles s’imposera. Des politiques monétaires trop souples pendant trop longtemps peuvent nous mener à d’autres catastrophes.
Gérard Horny (Journaliste, spécialiste des questions financières et patrimoniales. Auteur de La Bourse pour les nuls First Editions.)
http://www.slate.fr/story/78174/nomination-yellen-presidente-fed-importante
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