Alors qu'un imam salafiste algérien vient d'appeler à le "condamner à mort publiquement", l'auteur de "Meursault, Contre-enquête" a rédigé cette nuit cette chronique.
KAMEL DAOUD est né en 1970 à Mostaganem (Algérie). (©AFP PHOTO / BERTRAND LANGLOIS)
Question fascinante : d'où vient que certains se sentent menacés dans leur identité, dans leur conviction religieuse, dans leur conception de l'histoire et dans leur mémoire dès que quelqu'un pense autrement qu'eux? La peur d'être dans l'erreur les poussant donc à imposer l'unanimité et combattre la différence? De la fragilité des convictions intimes? De la haine de soi qui passe par la haine de l'Autre? De toute une histoire d'échecs, de frustrations, d'amour sans issue? De la chute de Grenade? De la colonisation? Labyrinthe.
Mais c'est étrange : ceux qui défendent l'islam comme pensée unique le font souvent avec haine et violence. Ceux qui se sentent et se proclament Arabes de souche ont cette tendance à en faire un fanatisme plutôt qu'une identité heureuse ou un choix de racine capable de récoltes. Ceux qui vous parlent de constantes nationales, de nationalisme et de religion sont souvent agressifs, violents, haineux, ternes, infréquentables et myopes: ils ne voient le monde que comme attaques, complots, manipulations et ruses de l'Occident.
Le regard tourné vers ce Nord qui les écrase, les fascine, les rend jaunes de jalousie. Le dos tourné à l'Afrique où l'on meurt quand cela ne les concerne pas: Dieu a créé l'Occident et eux comme couple du monde, le reste c'est des déchets. Il y a des cheikhs et des fatwas pour chaque femme en jupe, mais pas un seul pour nourrir la faim en Somalie. L'abbé Pierre n'est pas un emploi de musulman?
Laissons de côté. Gardons l'œil sur la mécanique: de quoi est-elle le sens? Pourquoi l'identité est morbidité? Pourquoi la mémoire est un hurlement par un conte paisible? Pourquoi la foi est méfiance? Mais que défendent ces gens-là qui vous attaquent chaque fois que vous pensez différemment votre nationalité, votre présent ou vos convictions religieuses? Pourquoi réagissent-ils comme des propriétaires bafoués, des maquereaux? Pourquoi se sentent-ils menacés autant par la voix des autres?
Etrange. C'est que le fanatique n'est même pas capable de voir ce qu'il a sous les yeux: un pays faible, un monde «arabe» pauvre et ruiné, une religion réduite à des rites et des fatwas nécrophages après avoir accouché, autrefois, d'Ibn Arabi et un culte de l'identité qui ressemble à de la jaunisse.
C'est qu'il ne s'agit même pas de distinctions idéologiques, linguistiques ou religieuses: l'imbécile identitaire peut tout aussi être francophone chez nous, arabophone, croyant ou passant. Un ami expliqua au chroniqueur que la version cheikh Chemssou laïc existe aussi: avec la même bêtise, aigreur, imbécillité et ridicule. L'un parle au nom de Dieu, l'autre au nom des années 70 et de sa conscience politique douloureuse et l'autre au nom de la lutte impérialiste démodée ou du berbérisme exclusif.
Passons, revenons à la mécanique: de quoi cela est-il le signe? Du déni: rues sales, immeubles hideux, dinar à genoux, Président malade, une dizaine de migrants tués dans un bus sur la route du rapatriement, dépendance au pétrole et au prêche, niveau scolaire misérable, armée faiblarde du Golfe à l'océan, délinquances et comités de surveillance du croissant, corruption, viols, émeutes.
Rien de tout cela ne gêne. Sauf le genou de la femme, l'avis de Kamel Daoud, le film «l'Oranais», dénoncer la solidarité assise et couchée avec la Palestine, l'Occident en général, le bikini en particulier et l'affirmation que je suis Algérien ou le cas d'Israël comme structure des imaginaires morbides.
Pourquoi cela existe ? Pourquoi l'âme algérienne est-elle encerclée par une meute de chiens aigus et des ogres pulpeux?
Kamel Daoud
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