Yacef Saadi |
autonome d'Alger, et après mon arrestation le 24 septembre, puis la mort d'Ali la Pointe et mes autres compagnons, le 8 octobre, qu'il en était terminé de la «Bataille d'Alger» ? Peut-on, également, abonder dans le sens des colonialistes, en acceptant la thèse que la «Bataille d'Alger» s'est soldée par une victoire militaire de l'armée française, qui est parvenue à décapiter le FLN ? Absolument pas ! Car ceux qui ont ordonné le dynamitage de la maison du 5 rue des Abderrames savaient parfaitement que l'exemple de courage et d'intrépidité du groupe d'Ali la Pointe ferait tache d'huile parmi les jeunes Algériens. En agissant ainsi, ils croyaient pouvoir dissuader des émules possibles. Oh que non ! Ils se trompaient évidemment ; l'Algérie n'a pas baissé les bras. En effet, la lutte continua, même si de grands patriotes disparurent du circuit, après mon incarcération, victimes eux aussi des méfaits du sinistre indic Guendriche. Parmi eux, Abaza, chef militaire, responsable d'un des groupes armés les plus craints de la capitale, tombé le 25 septembre dans un traquenard, Abderrahmane Benhamida dit Salim, commissaire politique de la Zone autonome d'Alger, chargé de la coordination de son «Bulletin intérieur», arrêté le 15 octobre 1957, dans une embuscade préparée par Guendriche.
Boualem Abaza se préparait à prendre la relève avec de redoutables combattants, venus directement du maquis, tout comme lui. Il s'agit de Khelifa Boukhalfa, de Benchiha dit Chicha Ahmed et de Saïdani Moh Seghir dit Zoudj Aïoun qui s'étaient repliés vers le maquis de la Wilaya III pendant la grève des 8 jours. Malheureusement, Abaza n'a pas eu le temps nécessaire pour organiser sa nouvelle mission dans Alger. Ayant reçu ces informations, je n'étais point surpris, sachant depuis mon arrestation le rôle et la trahison consommée de Judas Guendriche. Alors, de ma prison d'El-Harrach, j'ai renoué le contact avec les détenus politiques sur le point d'être libérés, par l'intermédiaire de Ould Ahmed Mohamed, gardien de prison, un brave militant devenu mon agent de liaison. Je les persuadais à reprendre du service. De la prison, j'ai conservé le contact avec mon frère auquel j'envoyais des adresses de caches d'armes à récupérer, en plus d'un schéma d'organisation que j'avais conçu ainsi que des plans pour la fabrication de bombes. Pour cette nouvelle mission, nos effectifs sur le terrain avaient augmenté et le premier résultat de cette entreprise téléguidée a eu lieu fin 1959. Les fidayine ont attaqué à la grenade la SAS de Belcourt, ensuite la villa Susini – centre de torture –, et l'offensive continua. Encouragés par la réussite de ces premières actions armées, sans perte humaine de notre côté, les fidayine redoublaient d'efforts. Ils visaient les lieux à forte charge symbolique. Ils se sont attaqués au PC de la «bleuite» abrité par le bar «Le Grillon», au 120 rue de l'Union. Ensuite, sur leur lancée, ils ont paralysé cinq autobus appartenant au service de propagande de l'armée, stationnés rue Darwin. Un travail efficace qui alliait l'action à la peur du côté ennemi qui ne pensait pas voir la ZAA ressuscitée en si peu de temps, bien qu'elle n'ait jamais cessé le combat dans la capitale. J'étais satisfait, en même temps anxieux, pressentant brusquement mon transfert vers un autre lieu de détention en Algérie. Pour parer à toute éventualité et aux conséquences qu'il pourrait entraîner, j'ai décidé de confier la direction de la Zone autonome d'Alger ressuscitée aux frères de la Wilaya IV, toute proche. Benaï Ahmed dit Si Djamel, un homme vaillant, a été désigné par la Wilaya IV pour diriger la nouvelle ZAA tout en conservant le statut décidé pour cette organisation par le Congrès de la Soummam. A partir de ma geôle, je conservais l'espoir de la continuité de l'organisation soutenue par l'engagement des fidayine recrutés parmi la jeunesse qui avait juré de ne pas être à la traîne de ses ancêtres qui ont, de tout temps, combattu les envahisseurs. Mais un désastre est survenu pour remettre tout en question. De quoi s'agissait-il ? Ahmed Allem, en mission auprès des responsables de la Wilaya IV pour solutionner quelques problèmes, probablement de logistique, a été tué dans un barrage de gendarmerie quelque part dans la Mitidja. En procédant à la fouille de sa dépouille, les gendarmes ont mis la main sur des documents confidentiels, dont une liste du noyau de militants recrutés par mes soins à partir de la prison de Maison-Carrée. Les conséquences ? Une cascade d'arrestations et la ZAA démantelée, car dépouillée de ses éléments les plus actifs. Ce coup de filet allait m'atteindre directement, puisque sous la torture, probablement, un supplicié a dû parler en me rappelant «aux bons souvenirs» de ces messieurs, Massu, Bigeard et Godard. Je pressentais le danger d'un éventuel retour vers les tribunaux militaires voire une liquidation sommaire par les spécialistes «des services très spéciaux». Prenant les devants, j'ai écrit à notre ami Germaine Tillon pour lui demander d'obtenir, par le biais de ses connaissances, mon transfert vers la France, ce qui a été accepté par la Délégation du gouvernement. La procédure n'aboutira qu'en début du mois de mars 1960. J'ai été embarqué – après une première simulation en janvier 1960 – dans la cale d'un paquebot de ligne, enchaîné à un parachutiste de la 10e DP, jusqu'à Marseille, pour être incarcéré à la maison d'arrêt des Baumettes. Ensuite, toujours sur intervention de Germaine Tillon, j'ai été transféré à la prison de Fresnes à Paris, jusqu'à ma libération en 1962, après les accords d'Evian.
Yacef Saâdi
Voir la correspondance relative au transfert de Yacef Saâdi vers la métropole
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