jeudi 17 mars 2016

Brésil/ Un juge suspend l'entrée de Lula au gouvernement et coup d'envoi de la procédure de destitution de Dilma Rousseff.


Le Brésil s'est un peu plus enfoncé jeudi dans le chaos : un juge a suspendu l'entrée de l'ex-président Lula au gouvernement et les députés ont donné le coup d'envoi de la procédure de destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff.

Le géant émergent d'Amérique latine a semblé vaciller pendant ces heures historiques de tensions émaillées dans les rues d'escarmouches entre partisans et adversaires de la présidente, séparés par la police.
La Bourse de Sao Paulo a bondi de 6,6 %, les marchés voyant dans ces événements les signes avant-coureurs de la chute d'un gouvernement paralysé en pleine récession économique.

« Les cris des putschistes ne vont pas me faire dévier de mon cap ni mettre à genoux notre peuple » avait lancé dans la matinée Dilma Rousseff sur un ton dramatique, pendant la cérémonie de prise de fonction de son prédécesseur (2003-2010), et mentor politique Luiz Inacio Lula da Silva.

À peine intronisé au poste de chef de cabinet (quasi premier ministre), ce dernier a vu son entrée controversée au gouvernement suspendue par un juge de Brasilia.
Le magistrat a estimé que sa nomination était susceptible de constituer un délit d'entrave à la justice de la part de la présidente, dans la mesure où Lula échappait par la même occasion à la menace d'un placement en détention provisoire par le juge chargé de l'enquête sur le scandale Petrobras, dans laquelle il est visé pour « corruption » et « blanchiment d'argent ».
La diffusion mercredi soir de l'écoute judiciaire d'une conversation entre la présidente et Lula avait fait l'effet d'une bombe, renforçant les soupçons et déclenchant des manifestations d'indignation au parlement et dans les rues.

« Entrave à la justice »

Dans cet enregistrement, Dilma Rousseff lui expliquait qu'elle allait lui faire rapidement parvenir son décret de nomination pour qu'il s'en serve « seulement en cas de nécessité », ce que beaucoup ont interprété comme une allusion à une arrestation.

La situation est complexe et grave », a souligné le juge dans son ordonnance, dont le gouvernement a fait appel dans l'après-midi.

L'entrée de Lula dans ses nouvelles fonctions « peut impliquer une intervention indue et condamnable de M. Luiz Inacio Lula da Silva dans l'exercice par la police, le ministère public et le pouvoir judiciaire de leurs activités. Elle implique une intervention directe » de Dilma Rousseff dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire, a estimé le juge.

Dilma Rousseff s'est insurgée contre les méthodes du juge fédéral Sergio Moro, chargé de l'enquête Petrobras, qui a rendu public l'enregistrement du portable sur écoutes de Lula.

« Nous voulons savoir par qui et pourquoi a été autorisée et divulguée (cette conversation entre Lula et elle, NDLR) qui ne contient rien qui puisse susciter le moindre soupçon sur son caractère républicain », a-t-elle affirmé.

« Le Brésil ne peut se retrouver soumis à une conjuration qui met à mal les prérogatives constitutionnelles de la présidente de la République. Si l'on viole les prérogatives de la présidente, que feront-ils avec les droits des citoyens? C'est comme cela que commencent les coups d'État! », a-t-elle lancé.

Lula, l'homme du miracle socio-économique brésilien des années 2000, qui était attendu comme le Messie par un gouvernement au bord du naufrage, est quant à lui resté muet tout au long de la journée.

Dans l'après-midi, les députés ont par ailleurs donné le coup d'envoi de la procédure de destitution de Mme Rousseff : ils ont élu une commission spéciale de 65 parlementaires, chargée de rédiger un rapport préconisant ou non sa destitution.

Ce rapport sera ensuite soumis à l'Assemblée plénière du Congrès des députés où un vote des deux tiers (342 sur 513) serait nécessaire pour prononcer la mise en accusation de la présidente devant le Sénat. Dans le cas contraire, la procédure serait enterrée.

En cas de mise en accusation, Dilma Rousseff serait provisoirement écartée de ses fonctions pendant 180 jours au maximum. Il faudrait ensuite les voix des deux tiers des sénateurs (54 sur 81) pour la destituer, faute de quoi elle reprendrait immédiatement ses fonctions.

« Coup d'État »

Cette procédure déclenchée en décembre à l'initiative de l'opposition avait été freinée par le Tribunal supérieur fédéral (STF), qui en a définitivement fixé les modalités mercredi soir.

L'opposition accuse le gouvernement de Mme Rousseff d'avoir sciemment maquillé les comptes publics de 2014, en pleine campagne électorale pour la présidentielle, afin de minimiser l'impact de la crise et de favoriser sa réélection.

Sa coalition issue des législatives de 2014, forte de 314 députés (61,2 % du total), la prémunissait à l'origine contre un vote hostile des deux tiers des membres de la chambre basse.

Mais elle s'est considérablement délitée au fur et à mesure que le Brésil s'enfonçait dans la crise. Et nul n'est capable aujourd'hui de mesurer le rapport de forces.

D'autant que le pilier de sa coalition parlementaire, le grand parti centriste PMDB, s'est donné samedi 30 jours pour décider s'il claquait ou non la porte du gouvernement.

Dilma Rousseff dénonce depuis le début une tentative de « coup d'État » institutionnel d'une opposition revancharde n'ayant pas accepté sa défaite dans les urnes en 2014.

Selon les dernières enquêtes d'opinion, 60 % des Brésiliens sont favorables à la destitution de Mme Rousseff, dont la cote de popularité stagne à un niveau historiquement bas d'environ 10 %.

Quelque trois millions de Brésiliens ont manifesté dimanche dans tout le pays pour réclamer son départ.
Lapresse.ca

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