Ils ont osé rappeler et réhabiliter celui qui est derrière le plus gros détournement de l’histoire de la Sonatrach, celui qui l’a couvert et qui en a probablement aussi profité.
Par Hocine Malti
Ce n’est pas moi qui le dit, c’est le tribunal de Milan qui a révélé le scandale. C’est ce tribunal qui nous a informé que les plus hauts responsables de l’ENI, y compris le président, ont tenu des rencontres avec celui qui était alors ministre de l’Energie dans des palaces parisiens en présence de celui qui servait de courroie de transmission entre les Algériens et les Italiens, Farid Bedjaoui.
Chakib Khelil n’a cessé de répéter que ce n’est pas lui qui gérait la Sonatrach, que le PDG, les vice-présidents et autres cadres supérieurs de l’entreprise détenaient tous les pouvoirs. Pourquoi alors les dirigeants de l’ENI ne venaient-ils pas à Alger négocier avec leurs homologues algériens de la compagnie nationale ? Pourquoi s’entretenaient-ils plutôt avec le ministre en présence de quelqu’un qui n’avait aucune fonction officielle au sein de l’entreprise ? Quand on traite une affaire, on discute avec celui qui détient le pouvoir, dans ses bureaux. Si l’on rencontre le supérieur hiérarchique, en dehors du territoire national et en présence d’un intermédiaire, c’est pour discuter de "l’autre contrat", celui qui fixe le montant et les conditions du paiement de la "dime". Notre joueur de derbouka national décrit cet individu comme étant la meilleur ministre que l’Algérie ait jamais enfanté. Tous les ministres qui l’ont précédé et suivis dans le poste apprécieront. Il est vrai que venant de la part d’un drabki qui probablement considère être le meilleur secrétaire général que le FLN ait jamais connu, un tel compliment ne vaut pas grand-chose. Pas plus que son auteur d’ailleurs. Il aurait dit que Chakib Khelil était un expert en matière de corruption, nous l’aurions cru.
200 000 000 de dollars ! Vous rendez-vous compte ? Encore que ce n’est que ce qui a été découvert par les Italiens et sur une seule affaire. Où sont les commissions sur les ventes de pétrole ? Qu’en est-il de celles versées dans le cadre des contrats de partenariat avec Orascom Contruction Industries (OCI) de Naguib Sawiris au sein de Sorfert Algérie et Sorfert Marketing ? Ils ont osé rappeler et réhabiliter celui qui a transformé la Sonatrach en une immense caverne d’Ali Baba, dans laquelle tous les piliers du régime, y compris des membres de la famille du président, se sont servis jusqu’à se goinfrer, entrainant avec eux des responsables de l’entreprise. A qui le tour d’être réhabilité ? Réda Hemche ? Pourquoi pas. Mohamed Bedjaoui ? Vous me direz que pour celui-là c’est déjà fait. Ne nous étonnons pas de voir Farid Bedjaoui débarquer demain à Alge r! Ils ont osé rappeler et réhabiliter celui qui a fait des pieds et des mains pour céder les richesses algériennes en hydrocarbures aux pétroliers texans du temps de George Bush. Souvenez-vous de la loi sur les hydrocarbures de 2002, cette copie conforme de la doctrine américaine en la matière, transformée en 2005 en ordonnance par une simple signature de Bouteflika.
Elaborée aux Etats-Unis, selon les desiderata de l’administration américaine, par le bureau d’études Pleasant and Associates, qui appartient à un ami de cet individu, cette loi prévoyait - souvenez-vous - que toute entreprise pétrolière disposant de moyens techniques et financiers pouvait engager des travaux de recherche et d’exploitation en Algérie, avec pour simple obligation celle de proposer une participation de 20 à 30% à Sonatrach. Laquelle disposait d’un délai de 20 jours pour accepter ou rejeter l’offre. Compte tenu de la complexité des dossiers qui nécessitent des délais pour étude et réflexion nettement plus longs et compte tenu de l’importance des investissements requis, ce n’était là bien entendu qu’un stratagème destiné à donner un aspect légal à un transfert aux multinationales pétrolières des réserves en pétrole et gaz du pays. Ils ont osé appeler et réhabiliter celui qui voulait, par le bais de cette loi, détruire l’OPEP. Souvenons-nous aussi qu’à cette date, cet individu n’en était pas à son coup d’essai. Ce qu’il voulait faire en Algérie, il l’avait déjà fait, quelques années auparavant, en Argentine, quand en sa qualité de chef du département énergétique pour l’Amérique latine de la Banque mondiale, il avait poussé les Argentins à vendre - plus exactement à brader - leur compagnie nationale des pétroles Yacimientos Petroliferos Fiscales (YPF) aux Espagnols de Repsol, plongeant la population dans la misère et le pays dans de graves désordres sociaux.
Ils ont osé rappeler et réhabiliter celui qui pour satisfaire les appétits énergétivores de ses maitres de Washington a causé d’énormes dégâts aux gisements pétroliers et gaziers d’Algérie. A son arrivée à la tête du ministère de l’Energie en 2000, les Etats-Unis importaient 50 000 tonnes de pétrole par an depuis l’Algérie; ce chiffre n’a cessé d’augmenter jusqu’à atteindre 22 000 000 de tonnes livrées aux Américains en 2010, année de son limogeage. Allez demander aux exploitants de Hassi Messaoud dans quel état se trouve le gisement après avoir subi un tel régime de surexploitation. Ils vous diront comment le rapport gaz/huile (ce que l’on appelle le GOR, gas to oil ratio, en jargon pétrolier) a atteint des sommets astronomiques dans de nombreux puits à l’issue de cette période au point que ces puits ne produisent pratiquement plus que du gaz. Ceci signifie que certaines quantités de pétrole ont été piégées lors de l’envahissement du gaz et que ces quantités sont perdues à jamais. Si encore ce gaz était exploité; il est hélas tout simplement brûlé. Le même phénomène s’est produit à Hassi R’Mel où de grosses quantités de gaz ont été piégées et d’autres risquent de l’être. C’est exactement cela la politique d’exploitation que mettent en application les multinationales pétrolières dans les pays producteurs. Elles adoptent des rythmes de production qui leur permettent de soutirer le maximum de pétrole ou de gaz durant la période de validité du permis qui leur a été attribué, sans se soucier de l’avenir, car elles savent qu’elles ne sont là que pour une durée déterminée. A l’inverse, tout Etat réellement souverain va adopter une politique complètement différente. Il fera en sorte que cette richesse dure le plus longtemps possible, afin que plusieurs générations, l’actuelle mais aussi celles à venir, en tirent profit.
Ils ont osé rappeler et réhabiliter celui qui a détruit le tissu humain de la Sonatrach, celui qui pour mettre en application la politique de ses mentors américains a chassé tous ceux qui lui résistaient ; il lui fallait des yes men. Allez voir l’ambiance de peur et de suspicion qui continue d’exister jusqu’à ce jour au sein de l’entreprise nationale. Ils sont plusieurs centaines, voire milliers de cadres généralement très compétents qui s’en sont allés faire le bonheur d’autres compagnies en Algérie, dans le Golfe et en Afrique. Venons-en maintenant à la question principale: pourquoi l’ont-ils rappelé ? A-t-il été rappelé ou a-t-il été envoyé en mission en Algérie pour la seconde fois ? Chakib Khelil n’est pas venu faire du tourisme, c’est clair. Il n’était pas non plus nécessaire de le faire venir à Alger pour le réhabiliter. La déclaration fracassante du nouveau porte-parole officiel du pouvoir bouteflikien - vous avez bien compris qu’il s’agit là de notre spécialiste national de la derbouka - à laquelle on aurait rajouté quelques articles par-ci par-là dans les médias à la solde du pouvoir suffisaient amplement pour faire connaitre au peuple algérien et au monde qu’il était lavé de tout soupçon. D’autant plus que du côté américain, c’est depuis belle lurette qu’il a été blanchi. On se souvient qu’un mandat d’arrêt international avait été émis à son encontre par Alger, un mandat qui était, nous avait-on dit, nul et non avenu en raison d’un vice de forme; à la suite de quoi d’ailleurs le procureur qui l’avait émis avait été limogé. Mais l’important est ailleurs. Même s’il contenait un vice de forme, ce mandat qui mentionnait tous les griefs émis par la justice algérienne à l’encontre de cet individu, est bel et bien parvenu aux autorités judiciaires américaines. Celles-ci ont, par ailleurs, suivi les quelques débats qui ont eu lieu en Algérie sur la question ainsi que les affaires portées devant les tribunaux. Elles ont surtout eu connaissance, certainement plus que le commun des mortels, du déballage révélé par le tribunal de Milan. Ces autorités savaient donc parfaitement que Chakib Khelil était impliqué dans de nombreux dossiers de corruption.
Nous savons, par ailleurs, que les Américains sont, en principe, impitoyables sur ces questions … sauf quand cela les arrange. Le fait qu’ils n’aient pris aucune mesure à son encontre, et surtout le fait qu’ils n’aient même pas réagi d’une manière ou d’une autre au mandat d’arrêt, même en le récusant pour «vice de forme», montre bien qu’à leurs yeux il était blanc comme neige. Ceci m’amène donc à dire que s’il est venu à Alger, c’est pour y accomplir une tâche déterminée. Il n’est pas venu pour occuper à nouveau le poste de ministre de l’énergie. Celui en place semble satisfaire totalement le pouvoir. Ce n’est pas, non plus, pour prendre la place de Youcef Yousfi en tant que conseiller du président à l’énergie, une fonction plutôt honorifique d’ailleurs. Alors pourquoi cette venue ? Et avec les honneurs qui plus est ?
Deux questions extrêmement importantes dominent l’agenda politique algérien actuel : la crise économique due à la chute des prix du pétrole et la succession qui se prépare avec le départ prochain de Bouteflika du pouvoir. C’est probablement dans l’un de ces deux cadres, si ce n’est dans les deux à la fois, qu’il sera mis à contribution. Pour de nombreuses raisons les compagnies pétrolières américaines boudent l’Algérie : le 51/49 les dérangent, la fiscalité est trop importante à leurs yeux, la bureaucratie est envahissante et le système bancaire désuet. L’idéal pour elles serait de revenir à la loi sur les hydrocarbures de 2002 en l’améliorant encore plus pour tenir compte des nouveautés, dont l’exploitation du gaz de schiste. Du côté du pouvoir, la situation financière très grave du pays leur fait très peur. Ils pensent que confier la gestion du secteur pétrolier national aux entreprises américaines solutionnerait leurs problèmes. Pour ce faire et afin d’attirer les Américains, il faudrait non seulement aménager la législation mais aussi garantir la pérennité de ce changement en désignant à des postes clés des hommes de confiance. Qui peut mieux faire ce boulot que Chakib Khelil ? Dans ce cas de figure, il ferait fonction de superministre, doté de pouvoirs exceptionnels, réagissant au doigt et à l’oeil aux directives de Washington. Il serait une sorte de courroie de transmission, un cordon ombilical qui alimenterait le pouvoir algérien en directives de l’agence fédérale de l’énergie, si ce n’est de la Maison Blanche, et qui fournirait en retour aux Etats-Unis ou à leurs alliés européens toutes les quantités de pétrole et de gaz algériens qu’ils demanderaient.
Le second scénario possible est que Chakib Khelil est chargé d’une mission encore plus importante, dans le cadre des changements à venir au sein du pouvoir lors de la succession qui se prépare. Est-il destiné à occuper de très hautes fonctions au sein de la nouvelle sphère dirigeante ? Est-il le futur premier ministre, voire le prochain président ? Est-il le Nouri Al Maliki algérien ? Ce n’est malheureusement pas de la fiction, sachant que Bouteflika et son clan sont prêts à accepter le diktat américain, à brader la souveraineté nationale pour "sauver leur peau". Les Américains seront impliqués dans la mise en place du nouveau pouvoir en cours de préparation. Ils sont en réalité déjà impliqués comme on l’a constaté, il n’y a pas très longtemps, lors des chamboulements intervenus au sein du DRS. Ils ont aussi prouvé à maintes reprises par le passé qu’ils étaient là lors des changements de régime intervenus dans les zones, à leurs yeux, vitales pour leurs intérêts. Ce fut le cas notamment lors des bouleversements qu’ont connus les pays de l’Europe de l’Est touchés par ce que l’on a appelé les révolutions de couleur. A l’issue de ces révolutions, toutes soutenues par le NDI et le Center for Strategic and International Studies de Madeleine Albright et financées par George Soros, les Américains ont sorti de leur vivier leurs hommes qu’ils ont placés au pouvoir : Zoran Djindjic en Serbie, Mikhail Saakashvili en Géorgie, Viktor Iouchtchenko en Ukraine ou Hachim Thaçi au Kosovo (ce n’était pas une révolution de couleur, mais les intérêts américains dans la région sont énormes).
Dans les pays arabes, ils ont placé Nouri Al Maliki en Irak et lors du "printemps arabe", le maréchal Abdel Fattah Al Sissi en Egypte. Ils ont essayé en Syrie également, mais ça n’a pas marché. On dira qu’en vertu de l’article 51 de la nouvelle constitution, Chakib Khelil n’est éligible pour aucun des postes mentionnés plus haut. Nous savons cependant, par expérience, qu’il suffit d’une signature d’Abdelaziz Bouteflika (à l’heure actuelle celle de Said suffit) pour créer l’exception. Il est évident que ces deux scénarios, s’ils advenaient, se feraient avec la complicité de la partie algérienne. Pour terminer, je voudrais noter que Chakib Khelil qui est âgé aujourd’hui de 79 ans, a passé 39 ans aux Etats-Unis, 22 ans au Maroc où il est né et 18 ans en Algérie, un pays qu’il n’a découvert qu’à l’âge de 35 ans. Alors, indépendamment du passeport qu’il a utilisé pour rentrer en Algérie, de quel côté son coeur balance-t-il ?
H. M.
lematindz.net
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