vendredi 20 mai 2016

Le ministre de la défense israélien démissionne, faute de « confiance » en Nétanyahou

L’humiliation n’était pas acceptable. Sur le point d’être remplacé par Avigdor Lieberman, le ministre de la défense israélien, Moshe Yaalon, a annoncé vendredi 20 mai, dans un communiqué, qu’il avait présenté sa démission à Benyamin Nétanyahou. « J’ai informé le premier ministre ce matin qu’en raison de sa conduite dans les derniers développements et du manque de confiance en lui, je démissionnais du gouvernement et de la Knesset [Parlement] pour prendre du temps en retrait de la vie politique. »
Un peu plus tard, au cours d’une déclaration à la presse enregistrée à Tel-Aviv, il a précisé que ce
retrait serait limité. Il compte revenir « pour postuler à la direction nationale d’Israël ». L’heure serait très grave, à l’écouter : « A ma grande tristesse, des éléments dangeureux et extrémistes ont pris le contrôle d’Israël et du Likoud, ils déstabilisent notre maison et menacent ses habitants », a-t-il dit, dans une intervention chargée d’émotion.



Pourquoi avoir si longtemps attendu avant de dresser ce diagnostic dramatique ? Cette démission de Moshe Yaalon survient alors que les négociations entre le Likoud, la formation de M. Nétanyahou, et Israël Beiteinou, celle d’Avigdor Lieberman, s’accélèrent, afin d’élargir l’actuelle majorité. Forte de seulement 61 sièges à la Knesset (sur 120), elle pourrait ainsi gagner six nouveaux membres. En échange, M. Lieberman, qui a été ministre des affaires étrangères à deux reprises dans le passé, réclame le portefeuille de la défense. Un marchandage inacceptable pour son titulaire actuel.
En réponse aux attaques de Moshe Yaalon, le premier ministre a dit « regretter » sa démission. L’ancien chef d’état-major aurait dû hériter du ministère des affaires étrangères, dans le cadre du remaniement, a assuré M. Nétanyahou. « Les changements dans l’attribution des portefeuilles ne viennent pas d’une crise de confiance entre nous, a-t-il précisé, mais de la nécessité d’élargir le gouvernement, afin d’amener de la stabilité à l’Etat d’Israël pour affronter les grands défis face à nous. » M.Nétanyahou a déclaré que la porte restait « ouverte » pour une entrée des travaillistes au gouvernement, une hypothèse devenue très improbable depuis l’effondrement des négociations en milieu de semaine avec Isaac Herzog, leur chef de file.
Les rapports entre le premier ministre et Moshe Yaalon s’étaient fortement dégradés ces derniers mois. M. Yaalon, membre du Likoud, figure très respectée et expérimentée de l’appareil sécuritaire, était devenu le protecteur de l’état-major. Celui qui parlait de « boussole morale » réclamait l’application stricte des règles déontologiques, refusait les accès populistes de la droite nationaliste religieuse. Le 15 mai, il encourageait encore les militaires à s’exprimer sans peur et à ne pas suivre le vent. « J’ai combattu de toutes mes forces les manifestations d’extrémisme, de violence et de racisme dans la société israélienne, qui menacent sa solidité et qui s’infiltrent dans les forces armées, lui portant déjà atteinte », a-t-il expliqué vendredi.
Du côté des hauts gradés
Dans le conflit très ancien, souvent sourd, parfois public, entre M. Nétanyahou et les plus hauts gradés du pays, M. Yaalon avait pris le parti des seconds. L’antagonisme remonte notamment à la question du programme nucléaire iranien. Les militaires israéliens ont toujours adopté des positions réalistes sur ce sujet, doutant de la possibilité d’empêcher le développement des capacités iraniennes par la force. Ces généraux incarnent aussi les élites israéliennes traditionnelles, que M. Nétanyahou cherche à remplacer, ou à museler, dans différents secteurs : au sein de la société civile comme dans la vie culturelle ou les médias.
M. Lieberman, connu pour ses provocations, mais homme opportuniste avant tout, n’a aucune expérience en matière militaire. Il arriverait donc avec une plus grande souplesse d’esprit. « La seule chose qui a sifflé près de ses oreilles sont des balles de tennis », raillait le Likoud, dans un communiqué, en début d’année. « Menteur », « charlatan » ou « M. Zigzag » sont quelques noms d’oiseaux lancés en retour par M. Lieberman à l’attention de M. Nétanyahou. Une autre membre de son parti, Sofa Landver, pourrait hériter du ministère chargé de l’intégration des migrants.
Parmi les autres demandes de M. Lieberman figurent la peine de mort pour les Palestiniens jugés coupables de terrorisme ou encore l’obtention de fonds auprès du ministère des finances, pour le règlement des pensions pour les retraités qui ont émigré de l’ex-URSS au début des années 1990. La question de la peine de mort risque d’être âprement débattue sur le plan judiciaire. Le procureur général, Avichai Mandelblit, devrait s’opposer à une telle proposition, comme ses prédécesseurs.
Le successeur de Moshe Yaalon à la Knesset sera automatiquement Yehuda Glick, le suivant sur la liste du Likoud aux élections de mars 2015. Cet activiste messianique à la barbe rousse milite depuis des années en faveur de la construction d’un nouveau temple juif sur l’esplanade des Mosquées (mont du Temple pour les juifs), à Jérusalem-Est. Victime d’une tentative d’assassinat en 2014, il trouverait ainsi une tribune inédite pour pousser en faveur de nouveaux droits d’accès à ce lieu saint pour les juifs.
Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)

lemonde.fr

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