samedi 19 février 2011

« Regardez, ils nous empêchent de bouger ! Alors, c'est ça l'ouverture annoncée par Bouteflika ? »

Récit d’une nouvelle journée de manifestation à Alger


 

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Une seule interrogation était en suspens avant la marche de ce samedi. La mobilisation serait‑elle plus importante que celle du 12 février ? Et le constat est sans appel. Malgré les assurances des représentants de la coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), ils étaient environ un millier à s'être rassemblés ce matin Place du 1er Mai. Ou plutôt à avoir tenté de se rassembler. Car, plus encore que la semaine dernière, le déploiement des forces de l'ordre et la répression « pernicieuse », selon les mots d'un membre de la Coordination ont dissuadé de nombreux manifestants. La CNCD avait pourtant opté pour une stratégie différente de celle de la semaine dernière. Au lieu d'arriver très tôt, bien avant le début officiel de la marche, la consigne avait été donnée cette fois de n'arriver Place du 1er Mai que vers 10 h 30. Mais cette précaution s’est avérée insuffisante.
 
Plus nombreuses, mieux organisées et méthodiques, les forces de l'ordre ont coupé court à toutes velléités de marche. Pendant plus de cinq heures, elles ont tout fait pour empêcher les rassemblements de manifestants. Elles les ont divisés et repoussés dans les rues autour de la place. Visiblement, et même si elles n'ont pas hésité à user de leurs boucliers en plexiglas et à menacer les opposants avec leurs matraques en bois, elles avaient ordre de ne pas user de violence. Mais il y a eu des dérapages. Les policiers ont blessé d’un coup de matraque Tahar Besbas, député du RCD. Il a été évacué à l'hôpital –il l’a quitté vers 18 heures– ; même chose pour le responsable du SNAPAP, Rachid Malaoui qui a également été blessé. De nombreux manifestants ont laissé éclater leur colère.« Regardez, ils nous empêchent de bouger ! Alors c'est ça l'ouverture annoncée par Bouteflika ? », tonne un homme, encerclé par plusieurs policiers. Pour rendre encore plus difficile le rassemblement, la circulation avait été maintenue sur la place et dans les rues avoisinantes.
 
Même les responsables de la coordination ont eu du mal à s'approcher et à s'exprimer. Comme la semaine dernière, Ali Yahia Abdennour a été malmené par la police. Belaïd Abrika, leader du mouvement des Archs, a tenté d'entamer un sit‑in avec plusieurs autres militants au milieu du boulevard Belouizdad. Ils ont été violemment soulevés et emmenés par les forces antiémeute au chemin qui mène à la piscine du 1er Mai. L'absence du premier responsable du RCD, Said Sadi, n'est pas non plus passée inaperçue. « Il est où votre chef ? Il est resté chez lui en France ? », ricane une habitante du quartier face aux manifestants. Ces derniers préfèrent ignorer les sarcasmes. « Ils l'ont coincé à l'aéroport, c'est sûr », affirme l'un d'eux. Certains meneurs de la contestation concèdent timidement qu'effectivement « ca va donner de l'eau au moulin de ceux qui critiquent le RCD ».
 
Malgré tout, à plusieurs reprises, les manifestants ont réussi à se rassembler par dizaines, parfois à deux ou trois cents. Sur les pancartes qu'ils tenaient à bout de bras, on pouvait lire « FLN au musée »,« Système dégage », « Libérez la liberté ». Les manifestants ont scandé les mêmes slogans que la semaine passée. « Pouvoir assassin », « Y’en a marre de ce pouvoir », « Djazair hourra, démocratia ». Certains ont brandi des cartons rouges comme autant de demandes de départ du pouvoir en place.
 
Mais le rassemblement s'est également heurté aux groupes pro‑Bouteflika et à certains habitants du quartier qui ont violemment pris à partie les manifestants. Une soixantaine de jeunes ont ainsi infiltré la marche en tenant des portraits d'Abdelaziz Bouteflika. « C'est quand même malheureux, se désole, un jeune. Voilà ce que fait le pouvoir avec l'argent du pétrole. Il achète ces jeunes qui, si on discute cinq minutes avec eux, ont exactement les mêmes problèmes que nous ».
 
Une minute d'espoir a néanmoins agité la manifestation. Vers midi, Ali Yahia Abdennour quitte seul, accompagné de ses « gardes du corps », les rangs des manifestants et remonte l'avenue Belouizdad pour rejoindre la place du 1er Mai. Spontanément, une, deux… dix personnes lui emboîtent le pas. Et en quelques secondes, elles sont cent et même deux‑cents à former un cortège derrière le vieil homme. Des applaudissements et des chants se font entendre. Pris par surprise, les policiers laissent la foule marcher sur quelques dizaines de mètres avant de se raviser. Comme depuis le début de cette matinée, ils vont faire bloc. Et pousser les manifestants à battre en retraite. Jusqu'à samedi prochain peut-être si la CNCD décide de réitérer son appel à une marche à Alger.

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