mercredi 16 février 2011

Une intervention de l'armée n'est pas à écarter en Algérie

Entretien avec Mohamed Chafik Mesbah


 « S’ils pressentent une situation de chaos, fatal au pays, il n’est pas interdit de penser que les chefs militaires algériens agiraient identiquement aux forces armées égyptiennes ». 






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Ancien officier supérieur de l’Armée Nationale Populaire (ANP), Mohamed Chafik Mesbah est politologue. Docteur d’État en Sciences politiques et diplômé du Royal College of Defence Studies de Londres, il se consacre actuellement à des activités de recherche académique.
La CNCD a tenté d’organiser le 12 février une marche à Alger. La marche a été empêchée par les autorités. Quelle appréciation portez‑vous sur cet événement ?
Le résultat de la manifestation du 12 février dernier était prévisible. Il ne faut pas focaliser, par conséquent, sur les  chiffres. Inutile de se perdre en conjectures sur l’aspect quantitatif du résultat. Il est plus utile d’examiner, plutôt, les enseignements susceptibles d’être tirés de l’évènement. Le premier enseignement est relatif à la conduite des pouvoirs publics. L’attitude défensive des pouvoirs publics reflète, manifestement, la crainte d’un débordement populaire éventuel. L’impressionnant dispositif policier mis en place et les mesures drastiques appliquées pour éviter que les trains et les véhicules susceptibles de transporter les manifestants n’accèdent à la capitale sont révélateurs d’un état de crispation. La crainte des pouvoirs publics est illustrée, aussi, par leur prudence excessive comme en témoigne la décision de ne pas doter d’armes à feu les policiers mobilisés pour la circonstance. Le deuxième enseignement est relatif à ce large fossé qui sépare l’élite politique et intellectuelle du pays de l’écrasante majorité de la population, constituée de jeunes de moins de vingt ans, généralement cantonnés à la périphérie lointaine de la prospérité. Cela ne constitue pas un jugement de valeur  sur la bonne foi ou sur l’efficacité des organisateurs .Certes, les organisateurs ne semblent pas avoir envisagé des solutions alternatives pour contourner les entraves posées par les forces de l’ordre. Dans le cas d’espèce, il est permis, cependant, de se demander si l’objectif ne portait pas, finalement, sur le message à délivrer à l’opinion publique internationale en vue de la prendre à témoin quant à l’obstruction que rencontre toute manifestation pacifique dans le pays. Sur ce registre, l’objectif est atteint comme en témoignent, outre la couverture médiatique internationale, les déclarations officielles des gouvernements américain, français et allemand. Le message délivré est double. Il s’agit, en direction des organisateurs des manifestations, d’un encouragement à persévérer. En direction des autorités officielles, il s’agit de délivrer un avertissement, sinon une incitation à entamer le processus de réformes politiques souhaité par la population. A un moment des plus inattendus, jaillira l’étincelle qui fera bouger la multitude de jeunes Algériens, notamment ceux qui peuplent les quartiers insalubres de la capitale. Aucun dispositif sécuritaire, quelle que soit son importance, ne pourra, alors, contenir l’exaspération populaire.
Selon le pouvoir, la population nourrit des réticences à participer à des manifestations qui peuvent dégénérer vers la violence…
Quel mépris pour le peuple algérien et sa jeunesse ! Que dire devant ce manque effarant de clairvoyance des pouvoirs publics qui, comme une litanie, opposent cette vérité tronquée à la face du monde? Voilà, à ce propos, les propos, directement, recueillis auprès d’un jeune habitant de Bab El Oued qui avait participé aux manifestations du mois de janvier  dernier : « Nous sommes comme des volcans. De temps en temps, nous crachons le feu pour respirer ». Ils sont des centaines de milliers de jeunes pour penser à l’identique.
La Tunisie et l’Égypte viennent d’être secouées par un mouvement populaire impressionnant qui a conduit à des changements à la tête de ces deux pays. Quelles similitudes et quelles différences par rapport à l’Algérie ?
En premier lieu, les similitudes. Au triple plan macro‑politique, macro‑économique et macro‑social, les caractéristiques des sociétés arabes sont, quasiment, similaires. Sur le plan politique, les régimes sont autoritaristes et, lorsque les ressources le permettent, les États sont rentiers. Au plan économique, c’est le sous‑développement chronique avec des économies, structurellement, déficientes. Au plan social, c’est la précarité sociale avec un large fossé qui sépare une minorité de possédants face à une immense population démunie ou, presque, dans le dénuement. C’est le lot commun des trois pays avec des nuances qui tiennent au contexte interne propre à chacun. Voilà pour la substance des choses, une réalité qui n’a pas échappé aux experts du PNUD lesquels, de manière récurrente, depuis quelques années, n’ont cessé d’appeler l’attention sur la situation de crise chronique qui frappe les pays du monde arabe.
Quelles différences alors ?
La nature du mode opératoire des régimes en Tunisie et en Égypte ou le régime repose sur la toute puissance de la police. Ce n’est pas le cas en Algérie, ou le rôle de la police est réduit. Le poids de l’institution militaire, important en Égypte et en Algérie, minime en Tunisie. Le poids de la démographie, lourd en Égypte –80 millions de personnes– et l’Algérie –prés de 35 millions– faible en Tunisie –moins d’une dizaine de millions–. La diffusion d’Internet et des réseaux sociaux étendue en Tunisie et en Égypte, limitée en Algérie. Le taux d’analphabétisme plus faible en Algérie qu’il ne l’est en Tunisie et en Égypte. L’Algérie, contrairement à la Tunisie et à l’Égypte, dispose d’une masse financière  que les pouvoirs publics peuvent utiliser afin de désamorcer, chaque fois, la contestation sociale. Ces différences peuvent contribuer à retarder le mouvement de contestation, pas à l’endiguer définitivement.
Dans cette situation difficile, quelle part de responsabilité respective pour le Président de la République et pour son Premier Ministre ?
Plutôt que de se livrer à un débat de « jésuites » sur la responsabilité respective du Chef de l’État et de son Premier Ministre, il serait plus judicieux de s’interroger, dans le nouveau contexte constitutionnel, sur l’importance du pouvoir dont dispose le Premier Ministre. Ce pouvoir est insignifiant. Dans le nouveau dispositif constitutionnel, le Premier Ministre est un préposé à la coordination administrative des activités gouvernementales. Même les décrets exécutifs qu’il peut signer sont, obligatoirement, soumis à l’aval du Président de la République. Il n’exerce aucune autorité réelle sur les ministères de souveraineté érigés en de véritables entités autonomes. Inutile de s’étaler. C’est dans la forme que la responsabilité du Premier ministre actuel pourrait, le cas échéant, être invoquée. Il excelle tant à donner de lui l’image de « l’homme autoritaire » qu’il finit par verser dans l’excès. C’est moins, par exemple, dans la démarche de « patriotisme économique » que dans l’application tatillonne et intempestive des décisions édictées que sa responsabilité est, certainement, engagée. Il a cultivé l’image du responsable  préposé aux « sales besognes » au point qu’il suscite, à tort ou à raison, un phénomène de crispation contre sa personne au sein de l’opinion publique. C’est cette donnée, précisément, qui servira de prétexte pour limoger l’actuel Premier ministre lorsque le temps sera venu de rassasier une opinion publique pressante.
La révélation par la presse de ces grandes affaires de corruption ne constitue‑t‑elle pas un catalyseur qui a exacerbé le ressentiment populaire  
La révélation de cesaffaires de grande corruption a exacerbé, on ne peut plus, le sentiment de vindicte chez la population. Le parallèle est vite établi entre les recettes exceptionnelles qui sont tirées des richesses du pays et les sommes faramineuses détournées par des  personnes bénéficiant de complicités directes au sein du pouvoir politique. Le ressentiment du peuple algérien, faut-il le préciser, est d’autant plus fort que les personnes publiques citées dans ces affaires de grande corruption ne sont guère inquiétées.
Pourtant, dans l’ « affaire Khalifa », un procès a bien eu lieu et des procédures sont en cours aussi bien pour Sonatrach que pour l’autoroute Est‑Ouest…
Dans l’affaire Khalifa, la justice a tranché pour les « lampistes ». Dans un État de droit ou la justice est, véritablement, indépendante du pouvoir exécutif, l’ancien ministre de l’Énergie aurait déjà été convoqué par les magistrats.
Que penser des informations qui lient la révélation de ces affaires de grande corruption à une lutte de clans au sein du pouvoir ?
Les services de renseignement n’ont jamais cessé d’accumuler les données sur la gestion des différents secteurs de l’économie nationale. Sans, pour autant, déclencher des enquêtes plus formalisées en vue de l’ouverture de procédures judiciaires. C’est vraiment céder à un fantasme que d’imaginer que les services de renseignement pourraient  se placer en position de défiance vis‑à‑vis du Chef de l’État, même si celui‑ci parait affaibli. Au plan symbolique, il est probable, par contre, qu’un sentiment de répugnance soit né chez nombre de cadres des services de renseignement qui ont eu à connaître ces affaires de grande corruption.
Face à la situation délétère qui semble prévaloir, quelle marge de manœuvres reste‑t‑il au Chef de l’État ?
Toute la marge, sur le plan institutionnel. En préconisant un régime présidentialiste accentué où le rôle des autres pouvoirs serait subordonné au sien propre ; en défiant, symboliquement, le commandement militaire (« je ne serai jamais un Président trois quart »), le Président de la République avait, d’emblée, indiqué qu’il ne laisserait survivre aucun contre‑poids. Cette démarche a été si bien menée à terme qu’elle a débouché sur une forme caricaturale du pouvoir. Le président a réussi à concentrer entre ses mains tous les pouvoirs sans en déléguer aucun alors même, que, de plus en plus, il se détache, ostensiblement, de la gestion quotidienne des affaires publiques. Le processus de prise de décision domicilié au haut de la pyramide est grippé, la gouvernance paralysée et le pays, presque, en état de déshérence. C’est là toute la gravité de la situation. Il n’existe pas de circonstances atténuantes pour le Président de la République qui dispose de tous les pouvoirs nécessaires afin d’engager, si l’intention existe, un programme de transition démocratique.
Que penser du reproche qui est, fréquemment, adressé aux partis politiques, aux organisations et aux mouvements associatifs qui auraient délaissé le terrain ?
Il ne s’agit pas de se livrer à des jugements de valeur guère appropriés dans une analyse qui se veut scientifique. Deux constations essentielles peuvent être rappelées à ce propos. D’une part, les pouvoirs publics, malgré leurs dénégations, pratiquent une politique systématique de « containment » voire d’étouffement des activités des partis politiques et des organisations syndicales autonomes ainsi que du mouvement associatif dans sa globalité, presque. Le régime politique a excellé, de ce point de vue, dans l’encouragement des divisions au sein des formations politiques de l’opposition, dans l’obstruction délibérée au libre fonctionnement des syndicats autonomes et dans la mise en place d’entraves systématiques à la naissance et à l’épanouissement du mouvement associatif.C’est là une pratique propre aux régimes rentiers –assurés qu’ils peuvent, sans contre partie productive, distribuer des revenus importants– que de vouloir se dispenser de vie politique réelle, forcément naturelle. A l’inverse, les partis politiques de l’opposition n’ont pas répondu avec cette énergie et cette intelligence qui auraient permis le contournement des obstacles   mis en place par les pouvoirs publics. Encore une fois, ce n’est pas le lieu de se hasarder pour délivrer des leçons de morale. Il reste que les libertés, partout dans le monde, s’arrachent plutôt qu’elles ne se concèdent. Ainsi les syndicats autonomes, implantés surtout dans l’administration et les services, se sont, progressivement, imposés sur la scène. Le nombre, apparemment, important d’associations agréées, ne doit pas faire illusion. Le mouvement associatif, en général, ne parvient pas à mener les actions qui pourraient en faire un acteur important sur la scène nationale. Une exception notable, toutefois, les associations à vocation d’entraide sociale et à caractère religieux qui prospèrent dans la société, les tentatives des pouvoirs publics pour interdire leurs activités ayant toujours été mises en échec.
Concrètement, que peuvent faire les partis politiques face aux entraves des pouvoirs publics ?
Contentons‑nous d’un exemple fort simple. Lors des élections présidentielles de 1999, de 2004 et de 2009, il était possible d’organiser un sondage d’opinion dit « sortie d’urnes » pour démentir les résultats officiels proclamés. Il suffisait de placer pour des militants ou des adhérents à la sortie d’un nombre déterminé de bureaux de vote pour demander aux citoyens pour quel candidatils venaientde voter. L’exploitation des résultats obtenus aurait permis de disposer, en temps réel, des tendances lourdes du scrutin et même d’un résultat approximatif avant même qu’il n’ait été proclamé par les pouvoirs publics. Auparavant, il aurait fallu, naturellement, s’assurer d’un parrainage international, type Nations Unies, ainsi que d’une garantie scientifique avec le concours d’un institut de sondages d’opinion de notoriété internationale. Le dispositif logistique à mettre en place reste, à ce jour, à portée de main des partis de l’opposition. Le résultat de ce sondage « sortie d’urnes » aurait pu servir de référence au câble diplomatique de l’Ambassadeur américain faisant état des conditions ubuesques du déroulement du scrutin présidentiel de 2009.
Existe-t-il, dans le contexte présent, des chances pour que puisse se constituer un pôle démocratique efficace ?
Rappelons, à ce propos, la belle formule d’Antonio Gramsci : « Pessimistes dans la réflexion, optimistes par la volonté ». Dans la situation actuelle, le pôle dit démocratique, profondément divisé, miné par des querelles subjectives de personnes, dispose de chances réduites pour constituer un rassemblement, puissant et solidaire, capable d’influence substantielle sur le terrain social et politique. Sur le plan de la promotion des idées de liberté et de justice, socle de la démocratie, les partis, personnalités et autres associations se prévalant de ce pôle démocratique jouent, malgré les contrariétés, un rôle non négligeable. C’est sur le registre du souhait qu’il faut évoquer la constitution de ce pôle démocratique bénéfique, pourtant, pour une structuration équilibrée du champ politique en Algérie.
Le mouvement islamiste qui n’a pas disparu du paysage politique algérien peut‑il constituer une menace pour le fonctionnement démocratique du pays ?
Comme phénomène culturel et social, le courant islamiste ne souffre plus de contestation. C’est en tant que phénomène politique, dans sa substance radicale exacerbée qu’il pose problème. En aucun cas, Hamas ne peut prétendre représenter ce courant qui s’est maintenu et développé parmi une jeunesse désœuvrée qui ne se reconnait plus, d’ailleurs, dans les schèmes religieux éculés. Ces nouveaux islamistes aspirent à une vie décente et à la dignité. Ils veulent exhaler leur rancœur et exprimer leur soif de vengeance mais avec un sens déroutant de l’efficacité. Demain, en cas de soulèvement populaire, ils pourront faire basculer le rapport de forces. Comment sont‑ils organisés, quels sont leurs leaders? En l’absence d’enquêtes de terrain rigoureuses ou de contacts soutenus avec les intéressés, impossible de se hasarder à quelque supputation. Certainement que l’équation de cet islam plébéien constituera un défi essentiel pour la transition démocratique à venir. Comment insérer cette force vive dans la société démocratique ? Il serait infantile d’imaginer qu’une politique d’ « éradication » puisse venir à bout de cette partie essentielle du corps social. Il ne sera pas de trop de s’armer de discernement et de courage, de beaucoup de courage.
Les partis de l’Alliance présidentielle peuvent‑ils survivre à un véritable processus démocratique ? 
L’Alliance présidentielle est un conglomérat de partis rassemblés autour d’un seul enjeu, offrir une base politique pour le Président de la République. Hamas, par exemple, aux yeux de la population, n’est guère un vrai parti islamiste, il est plus assimilé à un rassemblement épars de commerçants et d’hommes d’affaires. Ce parti a pu, en effet, avec la complicité des instances politiques effectives s’implanter dans des ministères de rentes (Travaux publics, commerce, tourisme et pêche) d’où il peut s’accaparer d’une partie de la rente qu’il distribue au profit de sympathisants. Ce parti ne résistera pas, demain, à la poussée d’un véritable parti islamiste d’extraction plébéienne. Le RND a été créé dans des conditions particulières pour phagocyter les cadres, les intellectuels et les professions libérales qui évoluaient au sein du FLN. Dans le cadre d’une compétition électorale saine, le RND sera un parti minoritaire.Le FLN, après avoir traversé une période très difficile durant « la décennie noire », avait retrouvé sa place de première force politique dans le pays après l’arrivée de M. Abdelaziz Bouteflika. Traversé, actuellement, par une crise profonde, le FLN risque de connaître le sort peu enviable du RCD en Tunisie et du RND en Égypte, s’il ne se résout pas à effectuer son aggiornamento en vue de sa transformation en grand parti de type social‑démocrate, ce parti dont l’Algérie est en attente.
Il est fait état, aussi, d’une forme de résignation des leaders politiques. Faut-il renvoyer, dos à dos, responsables officiels et dirigeants de l’opposition ?
Ces leaders politiques peuvent être classés en trois catégories. La première catégorie est constituée de responsables politiques qui, cédant aux attraits symboliques du pouvoir ainsi qu’aux facilités matérielles qu’il procure, ont été phagocytés par le régime. Inutile de s’attarder sur leur cas. La deuxième catégorie se compose de responsables qui n’ont pas rompu les amarres avec un système dont ils proviennent et qu’ils souhaitent réformer de l’intérieur. Ils ne livrent pas de combat frontal à un système qu’ils souhaitent réformer de l’intérieur avec l’appui de l’armée dont ils sollicitent, implicitement, le concours. La troisième catégorie, ce sont les leaders de l’opposition  qui ont adopté une attitude de confrontation au système qu’ils veulent, clairement, mettre à bas. Ce sont eux, évidemment, qui mènent le combat le plus coûteux et le plus risqué. Si la première catégorie ne mérite pas que l’on s’y attarde, il serait malveillant de se hasarder à délivrer des satisfecit aux autres leaders.  Chacun d’entre eux mène le combat selon son tempérament,  selon les moyens dont il dispose et selon les opportunités qui s’offrent à lui. Ce qui importe, pour apprécier, ce sont la constance dans les convictions et la persévérance dans l’action. Autrement, comment s’empêcher de citer l’exemple émouvant de Maître Ali Yahia Abdenour, cet homme de conviction forcené –qui, après avoir milité, dans la clandestinité, au sein du PPA, ce parti qui a frayé la voie au FLN de guerre– a connu les geôles coloniales  et la prison dans l’Algérie indépendante. Cet ancien Ministre qui a eu le courage de démissionner sous le règne autoritaire du Président Houari Boumediène. Cet homme de robe qui a eu la noblesse de cœur et l’intelligence d’esprit de défendre des détenus politiques ‑les anciens dirigeants du FIS‑ dont il ne partageait pas la cause. Le poids des ans n’a rien altéré de sa fougue. Il continue de se faire le chantre respecté des droits de l’homme dans un pays où ils sont, tellement, malmenés. A voir le visage rayonnant de Maître Ali Yahia Abdenour, qu’il soit en conclave avec l’opposition ou parmi les foules bigarrées, à observer sa détermination paisible chaque fois qu’il s’agit du combat pour les libertés, il est permis de ne pas désespérer des leaders de l’opposition. C’est à dire de ne pas renvoyer dos à dos responsables officiels et dirigeants de l’opposition.
Que reste-t-il de l’emprise hégémonique de l’armée sur la vie politique ?
Le processus de rajeunissement et de professionnalisation des forces armées entamé à partir des années 2000 a conduit à leur retrait effectif du champ politique. Ce processus s’est accompagné d’un découplage  entre l’état‑major de l’ANP et les services de renseignement. Un découplage que le Président de la République a entretenu pour éviter la constitution d’un pôle de pouvoir trop puissant au sein du ministère de la Défense Nationale. Les propos attribués au Chef de l’État et rapportés par Wikileaks sur la subordination de l’armée au pouvoir civil ne sont pas, en 2011, inexacts.
Quid des services de renseignement, le DRS ?
Le rôle d’interface avec la société politique que les services de renseignement ont joué, pour le compte de l’État‑major de l’ANP, tout le long de la crise algérienne, n’est plus d’actualité .Pour le compte personnel du Chef de l’État, ces services de renseignement continuent, cependant, de jouer une mission d’intelligence en rapport avec des menaces internes. Bref, c’est, de toute évidence, la transition démocratique qui entrainera le repositionnement institutionnel des services de renseignement, conformément aux canons du système démocratique, avec le recadrage de leur mission autour d’impératifs liés à la sécurité nationale,  exclusivement.
« Une mission d’intelligence en rapport avec des menaces internes », cela concerne, le cas échéant, un éventuel soulèvement populaire ?
La STASI qui a été un redoutable appareil de renseignement n’a pas pu s’opposer à la volonté du peuple allemand lorsque l’heure de l’Histoire a sonné. Ce n’est pas là un jugement de valeur sur les services de renseignement algériens. C’est une invite aux leaders de l’opposition afin que le prétexte ne les incite pas au renoncement.
Les mesures annoncées par le Président de la République sont-elles suffisantes pour prévenir un éventuel soulèvement populaire?
Lesmesures annoncées sont insignifiantes. De la levée de l’état d’urgence à l’ouverture biaisée des moyens audio visuels publics, rien de fondamental qui préfigure une véritable transition démocratique. Encore une fois, les pouvoirs publics déconnectés de la réalité politique et sociale pensent pouvoir ruser avec l’opinion publique nationale. Nombre de responsables, par manque de lucidité politique, imaginent que le peuple algérien est en attente de pain, pas de dignité. Ils supposent, aussi, qu’il leur reste tout le temps pour louvoyer. Que ne savent‑ils combien le temps leur est compté ! C’est, à tous égards, un processus similaire à celui de la Tunisie et de l’Égypte qui se déroulera en  Algérie. C’est la pression de la rue, bénéficiant de la neutralité de l’institution militaire  et de l’appui de l’étranger, qui imposera le recours à un programme de réformes ouvrant l’ère de la transition démocratique.
Faut-il douterdes bonnes intentions du président Bouteflika ?
Trois données poussent à douter de ces bonnes intentions. La lenteur avec laquelle s’appliquent les modestes mesures évoquées. C’est la preuve qu’il y a manœuvre de dévoiement du processus de réformes ou, au pire, qu’il n’existe plus de centre d’impulsion stratégique au sommet de l’État. L’organisation de contre‑manifestations supposées être spontanées augure de perspectives similaires avec ce qui s’est passé, en Égypte, avec les « baltaguya ».La campagne outrancière lancée contre le Docteur Said Saadi –avec des relents à peine cachés de régionalisme portant sur les origines kabyles du Secrétaire Général du RCD–,cela présage d’une volonté d’engager contre le Comité qui a organisé la marche du 12 février une attaque qui ne baigne pas dans les règles d’éthique usuelles. Enfin, les consignes données aux responsables officiels à l’effet de ne pas accepter de contacts avec les chancelleries diplomatiques accréditées en Algérie, annonce, à l’évidence, un raidissement général vers l’étranger. De manière plus dramatique, ce qui pousse à douter des bonnes intentions, n’est-ce pas ce déni d’existence qui est opposé aux citoyens qui s’immolent par le feu ? Se peut-il qu’un Chef d’Etat détourne ainsi son regard de ses concitoyens frappés par le malheur ?!
A supposer, contre toute attente, que le Président de la République décidait d’entamer la transition démocratique, quel pourrait être le programme à mettre en œuvre ?
Un programme des plus classiques :
1.      Mise en place d’un gouvernement de transition;
2.     Mise en place d’une commission nationale indépendante de révision de la constitution ;
3.     Organisation d’élections législatives anticipées dans un délai de six mois ;
4.     Ouverture immédiate du champ politique et médiatique ;
5.     Organisation d’une élection présidentielle anticipée dans un délai de douze mois;
6.     Ouverture de procédures judiciaires contre les personnalités impliquées dans des affaires de grande corruption ;
7.     Exercice par l’institution militaire, dans des conditions à déterminer, d’un rôle de garant de la transition démocratique.
La révision constitutionnelle envisagée porterait, notamment, sur la limitation des mandats du Président de la République. L’actuel Chef de l’État devra, symboliquement, annoncer, d’emblée, qu’il ne se présenterait pas à la prochaine élection présidentielle.
Le Président de la République n’aurait pas d’autre alternative que de partir…
Ses amis réputés proches conviennent que le troisième mandat a été, pour M. Abdelaziz Bouteflika, « le mandat de trop ».Si l’amour du pays l’habite et si le souci de laisser une marque positive sur l’Histoire lui importe, alors il devrait, sans hésiter, ouvrir la voie à sa succession. Autrement, à force d’écouter les courtisans qui l’entourent, il risque d’altérer, irrémédiablement, l’empreinte laissée par ses années de Présidence.
Un effet domino est, donc, à prévoir sur l’Algérie ?
Un effort de clarification pédagogique. La théorie des dominos est une conception géopolitique qui constitue le fondement de la doctrine Truman dite de « l’endiguement du communisme ». L’idée principale serait qu’un pays gagné au communisme, contaminerait par effet d’entraînement mécanique, les pays voisins. Dans le cas de l’Algérie, les similitudes avec la Tunisie et l’Égypte ne doivent pas masquer les spécificités. Si l’on juxtapose les facteurs objectifs qui caractérisent l’état des lieux en Algérie, prédominance écrasante de la jeunesse de moins de vingt ans, mauvaise répartition des richesses nationales et état de sous‑développement chronique avec usure consommée du système, l’hypothèse d’une explosion sociale ,tout comme pour l’Égypte, s’impose comme une probabilité forte. Le fort potentiel de contestation que recèle la société algérienne conforte cette assertion. Reste à savoir quel incident servira de catalyseur. La « feuille de route » américaine pour le Maghreb, évoquée avec récurrence, ne ferait, alors, que contribuer à accélérer un processus induit par la situation nationale elle‑même.
Lors des manifestations intervenues en Tunisie et en Égypte, les armées des deux pays ont, non seulement, refusé de tirer sur la population mais poussé, même, vers la sortie les Chefs de l’État contestés. Quel serait, alors, le cas échéant, le comportement de l’armée algérienne ?
Cette problématique essentielle revêt deux aspects. Le premier aspect consiste à s’interroger si les forces armées, requises par les instances politiques, accepteraient de réprimer les manifestations populaires en tirant sur la foule. Le deuxième aspect consiste à s’interroger sur le positionnement institutionnel et politique qu’adopterait l’armée dans le cas d’une détérioration gravissime de la situation.Trois paramètres sont à considérer. Premièrement, la transformation de la chaîne de commandement militaire au sein de l’ANP. A partir des années 2000, une profonde transformation a touché l’ensemble de cette chaîne de commandement, avec émergence de nouveaux chefs militaires, relativement jeunes, parfaitement formés et animés d’esprit d’ouverture sur le monde moderne. Issus, pour la plupart, des fameuses écoles des cadets de la révolution ou, parfois, des universités. Ils jouissent d’une réputation morale, plutôt, bonne et ils sont peu sensibles aux sirènes de la politique, même s’ils restent fortement habités par la fibre patriotique. Deuxièmement, le contexte international. Dans la conjoncture mondiale actuelle, marquée par le bouleversement du système de relations internationales et la mondialisation des rapports  entre nations, il n’est plus d’usage que les chefs militaires qui, dans des conditions exceptionnelles, prennent le pouvoir songent à le conserver. L’ère des coups d’État classiques est révolue. Par ailleurs, l’adoption du principe de compétence universelle pour les crimes contre l’humanité ainsi que la création de la Cour pénale internationale pèsent,  désormais, comme une épée de Damoclès sur les chefs militaires qui seraient tentés d’étouffer par la violence les aspirations démocratiques de leurs peuples. Troisièmement, le contexte national. Issus pour la plupart de couches sociales défavorisées, dans le meilleur des cas des classes moyennes, les nouveaux chefs militaires ne sont pas, loin s’en faut, déconnectés de la réalité sociale. Et s’ils ne manifestent aucune inclination pour la chose politique, stricto sensu, c’est une écoute attentive ils prêtent, toujours, aux difficultés du peuple algérien ainsi qu’aux contrariétés qui obstruent la voie au développement national. La dégradation actuelle de la situation dans le pays ayant tendance à devenir chronique, ne peut que les interpeller. Toutes ces considérations devraient conduire les forces armées à refuser de réprimer d’éventuelles manifestations populaires. Les chefs militaires ne se mettront pas, certainement, en situation de rébellion vis‑à‑vis des instances politiques légales du pays. S’ils pressentent une situation de chaos  fatal au pays se préciser, il n’est pas interdit de penser qu’ils agiraient, identiquement, aux forces armées égyptiennes. Un officier Général à la retraite, ancien condisciple du Maréchal Hussein Tantawi, le Président de l’instance militaire suprême qui administre l’Égypte, a délivré à la presse ce message des plus éloquents : « Nous sommes des militaires. Nous ne voulons pas nous mêler de questions politiques. Nous voulons, seulement, participer à la défense de notre territoire et préserver l’indépendance et la stabilité de l’Égypte ».C’est à ne pas s’y tromper l’état d’esprit des nouveaux chefs militaires en Algérie.
Les polices nationales, en Tunisie comme en Égypte, se sont plutôt montrées hostiles aux manifestants. Quel serait, le cas échéant, le comportement de la police algérienne ?
Comme cela est le cas en Tunisie et en Égypte, la police algérienne est d’extraction populaire. Il s’agit, généralement, de policiers issus de milieux humbles, c'est‑à‑dire de familles défavorisées. D’un côté, ces policiers sont très proches de la population dont ils partagent les préoccupations et, probablement, les aspirations. De l’autre, leur appartenance à un corps de sécurité leur procure un sentiment de supériorité par rapport au reste de la population qui les pousse à s’en démarquer. D’autres facteurs que l’origine sociale peuvent faciliter l’analyse. Il s’agit du niveau de formation de ces policiers ainsi que le montant de leur rémunération. La formation des policiers, tous grades confondus, a été améliorée ces dernières années, même si elle reste en deçà des standards internationaux. Leur rémunération vient d’être, enfin, substantiellement, revalorisée. L’examen attentif de tous ces facteurs peut conduire à une conclusion provisoire. Tant que les manifestations populaires seront pacifiques sans risque pour les policiers d’être débordés, ils se comporteront de manière, strictement, disciplinée. Si les manifestations perdurent,  un phénomène d’usure pourrait s’en suivre et la nervosité gagner les policiers. Même dans le cas d’un débordement, l’hypothèse du recours aux armes à feu reste, plutôt, improbable, et seule l’intervention de l’armée pourrait être envisagée.
L’absence d’alternative en termes de leaders et de partis ne constitue‑t‑il pas un handicap pour le succès d’éventuelles manifestations populaires ?  
C’est une question essentielle dans la problématique générale de la transition démocratique .Les manifestations populaires intervenues en Tunisie et en Égypte ont été provoquées par des initiatives spontanées, sans rapport organique avec les leaders politiques traditionnels, ni même les partis politiques classiques. C’est un avantage dans la mesure où la spontanéité ne permet pas l’exercice de manœuvres politiciennes susceptibles  de dévoyer le processus engagé. C’est, cependant, un risque, car les régimes en place rodés par l’usage, peuvent, à défaut d’être confrontés à des leaders expérimentés et à des partis puissants, récupérer le mouvement populaire pour le réduire à un simple train de mesures pour adapter le système qui serait maintenu. « La nature a horreur du vide », c’est, en l’occurrence, une vérité à méditer. 
Plusieurs noms sont avancés pour une éventuelle transition démocratique. Quelle est la personnalité nationale qui pourrait servir de figure de proue en cas de soulèvement populaire ?
L’époque de l’ « homme providentiel » est dépassée. Le peuple algérien est en attente d’une équipe homogène, ancrée dans la société et disposant de qualifications avérées, pas d’un nouvel autocrate.
Le rôle de pays étrangers dans les processus politiques intervenus en Tunisie et en Égypte est‑il établi ? 
Ce constat concerne, principalement, les États‑Unis qui mènent un politique de grande puissance. L’Europe Occidentale vient au second plan dans ce qui est connu sous le générique « projet de démocratisation  du monde arabe ». L’interférence des États‑Unis dans les politiques nationales de l’ensemble des pays à travers le monde constitue, au demeurant, une constante de la politique étrangère américaine. Une interférence dictée, naturellement, non pas par de strictes considérations morales mais par des intérêts  stratégiques de grande puissance. Sous l’influence des néo‑conservateurs qui ont, lourdement, pesé sur la politique étrangère du Président Georges Bush, les États‑Unis avaient décidé de renoncer à la démarche de soutien systématique à leurs alliés dans le monde arabe. Ils avaient fini par considérer que les régimes dictatoriaux arabes, fondés sur la répression, ne pouvaient pas constituer un rempart étanche contre la menace terroriste et, de manière plus substantielle, contre les risques de déstabilisation durable, au plan interne, des sociétés arabes. La défense des intérêts stratégiques américains à travers cette région du monde essentielle pour les États‑Unis exigeait, donc, de se défaire de ces régimes encombrants. C’est dans cet esprit que vit le jour en 2003, le projet de démocratisation du grand Moyen Orient avec inclusion du Maghreb, « Great Meaddle East initiative ». Dès son annonce ce projet avait suscité une forte résistance de la part des régimes susceptibles d’être concernés, l’Égypte, la Tunisie et l’Arabie Saoudite. Le projet fut, rapidement différé jusqu’au fameux discours du Caire, en 2009, dans lequel le Président Barack Obama reprit, à son compte la nécessité de favoriser le système démocratique dans le monde arabe. La nuance étant que, désormais, l’accent allait être mis sur la nécessité de déclencher les processus de démocratisation à partir du potentiel existant à l’intérieur des pays concernés , sur initiative des forces vives nationales, avec l’appui , cependant, des États‑Unis qui exerceraient des pressions sur les régimes en place afin de les contraindre à répondre aux aspirations de leurs peuples. L’Europe Occidentale, à travers l’Union européenne, avait adopté, depuis le partenariat euro‑méditerranéen ouvert à Barcelone en 1995, une démarche moins volontariste. L’Union Européenne ne semble pas avoir inscrit à son programme ce qu’il est convenu d’appeler les « contraintes positives ». La démocratisation des pays de la rive sud de la Méditerranée ne constitue pas une priorité vitale pour l’Union européenne, particulièrement pour son noyau dur, la France et l’Allemagne. Voilà pour le cadrage théorique. Sur le plan pratique, les processus intervenus en Tunisie et en Égypte  ont, clairement, démontré que les États‑Unis ne s’embarrassaient pas de faux fuyants pour dialoguer, directement, avec l’institution militaire et les forces politiques nationales, pour faire pression, aussi bien, sur les autocrates contestés, lorsque les conditions d’une évolution qualitative du régime dictatorial sont réunies.
Pour le cas particulier de l’Algérie, quel intérêt pour les États‑Unis à soutenir un processus démocratique ?
L’Algérie appartient à l’espace méditerranéen, essentiel pour les intérêts de puissance des États‑Unis. L’Algérie est un acteur primordial au Sahel, d’intérêt prioritaire pour la sécurité de l’Europe occidentale. L’Algérie est un réservoir important pour l’approvisionnement énergétique de l’Europe occidentale. L’Algérie est incontournable pour la bonne régulation des flux migratoires vers l’Europe occidentale. L’Algérie occupe une place centrale en perspective du futur marché commun maghrébin. De cette énumération, il ressort que les États‑Unis, nonobstant l’intérêt prêté à leurs intérêts directs en propre, sont plus préoccupés du contrôle de l’Europe occidentale. LesÉtats‑Unissont, dans toute la région, en compétition avec l’Europe occidentale et, en particulier, la France. D’ailleurs les États‑Unissont en passe de forger leur propre expertise sur le Maghreb pour se passer de celle de la France. Il ne faut pas omettre, par ailleurs, que la politique volontariste de la Chine au Maghreb ne peut qu’interpeler les États‑Unis. En résumé, le fondement de l’intérêt desÉtats‑Unispour l’Algérie repose sur des considérations sécuritaires, économiques et diplomatiques. Le tout inséré dans une perspective stratégique.
En dehors de l’Algérie, quelles sont les préoccupations concrètes des États‑Unis dans le monde arabe ?
Préserver l’équilibre stratégique en faveur d’Israël mais contraindre l’état sioniste à s’adapter au monde arabe démocratique en acceptant les concessions utiles pour une coexistence pacifique durable. Expérimenter le modèle turc à travers la dilution de l’islamisme politique dans un processus démocratique garanti par l’institution militaire.
De quels moyens de pression disposent les États‑Unis pour faire pression sur le régime algérien ?
La pression peut s’exercer au niveau officiel –apparent– et au niveau opérationnel –de manière masquée–. Au niveau officiel, ce sont les déclarations solennelles relayées par la presse, voire des prises de position tranchées exprimées dans les enceintes internationales. Les Chefs d’État arabes sont particulièrement craintifs de ce genre d’initiatives car les États‑Unis donnent, en règle générale, le top pour la communauté internationale, du moins pour le monde occidental. A coté, c’est le niveau opérationnel. Les États‑Unis disposent d’un modèle théorisé, celui de « la Révolution pacifique », déjà expérimenté dans des démarches de destitution de Chefs d’État contestés, en Serbie et dans les pays situés dans « l’étranger proche » de la Russie, la Géorgie et l’Ukraine. Lisez, attentivement, l’ouvrage de référence de l’américain, Gene Sharpe, intitulé « From Dictatorship to démocracy ».Ce ne sont pas tant les références philosophiques qui requièrent l’attention que le mode opératoire, savamment décrit. Trois moments privilégiés ponctuent la démarche. Premièrement, une campagne intensive de déstabilisation du Dictateur ciblé ainsi que son entourage. Les frasques et travers sont mis en relief et diffusés à grande échelle –à travers les réseaux sociaux aussi, désormais–. L’objectif est de décrédibiliser aux yeux de l’opinion publique le Chef d’État et ses proches, et partant, le régime en totalité. Deuxièmement, une action soutenue de sensibilisation en direction des élites politiques, sociales et culturelles du pays avec un programme de formation axé sur la promotion de la démocratie et des incitations pressantes au rassemblement des forces désunies de l’opposition. L’objectif est de disposer de relais agissants sur le terrain pour canaliser le futur mouvement de protestation et de leaders acceptés pour servir d’interface au régime vacillant dès lors qu’il se résout à la négociation. Troisièmement, la mise en œuvre d’un plan de contacts avec les chefs militaires et responsables des services de sécurité ou de renseignement, afin de les appeler  à « la retenue ».Entendez une attitude de neutralité face aux manifestations populaires qui se préparent, sous peine de se voir déférer devant les juridictions pénales internationales pour crimes contre l’humanité. A l’exception du Venezuela ou le modèle a été mis en difficulté par le Président Hugo Chavez, partout ailleurs les Dictateurs sont tombés.
Ne s’agit-il pas là d’une vision manichéenne du monde ?
Tout au plus une vision caricaturale, pour les besoins de la démonstration pédagogique. Bien sur les États‑Unis et leurs services de renseignement ne sont pas infaillibles. Les précédents de l’Irak et de l’Afghanistan sont là pour le rappeler. Rien ne sert, cependant, de s’insurger contre une donnée, à présent, constitutive du mode de fonctionnement des relations internationales. L’essentiel consiste à orienter, positivement, cette pression étrangère pour favoriser le processus démocratique, en s’assurant que le contrôle du mouvement de contestation reste d’inspiration, exclusivement, nationale.
Quels scénarios d’évolution pour la situation à venir en Algérie ?
Deux scénarios essentiels. Le premier scénario est celui du statu quo. La nature des concessions annoncées, tout récemment, par le Président de la République, laisse présager une attitude rigide qui ne préfigure pas d’une volonté d’entamer une véritable transition démocratique. La situation irait vers le pourrissement avec forte probabilité de soulèvement populaire. Le déroulement de ce scénario dépendra de trois inconnues. Le comportement du mouvement islamiste plébéien, selon qu’il parvienne ou non à récupérer à son profit le soulèvement. L’attitude de l’armée, selon qu’elle décide de réprimer ou d’appuyer le soulèvement. La détermination des États‑Unis et de la France à soutenir le mouvement ou à l’ignorer. Le deuxième scénario est celui du dénouement pacifique. Contre toute attente, les pouvoirs publics, entendez le Président de la République, pourraient, à son initiative ou pressé par l’institution militaire, engager un véritable processus de réformes politiques devant conduire, à brève échéance, à l’instauration du système démocratique. Pour le bien de l’Algérie, il faut souhaiter que ce scénario pacifique puisse se vérifier.

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