mardi 1 mars 2011

50 ans de régimes politiques algériens. 4-L’Algérie de Boudiaf



Réduit à sa plus simple expression, le projet de Boudiaf se présente comme suit : restauration de l’autorité de l’Etat, rupture radicale avec les hommes et les pratiques de l’ancien système, prise en charge des problèmes sociaux les plus aigus et espoir à redonner aux jeunes. Ce programme est plus que jamais d’actualité, notamment en ce qui concerne l’ancien système et les jeunes. Dans un discours à la nation, le 10 février 1992, il annonça l’instauration de l’état d’urgence, après avoir pris la décision de geler les activités du FIS. Pour lui, « L’Algérie se remettra au travail. C’est un véritable défi, un véritable combat ». Son thème de prédilection –la corruption- (qui lui coûta la vie) s’afficha : « Notre crédibilité dépend de notre lutte contre la corruption » (1).
Le 22 avril 1992, il installa le Conseil consultatif national (CCN) –sorte de mini- parlement, non élu. A cet égard, il fixa les cinq principes de la lutte anti-corruption : « Le peuple a raison de demander des comptes (…). Il a droit de savoir. Nous avons promis d’ouvrir des dossiers et nous tiendrons parole. Personne ne pourra se servir de moi pour se venger ou régler des comptes. Les dossiers des biens mal acquis seront traités dans un cadre légal avec les moyens de la justice. Toutes les précautions seront prises (…) pour en finir une fois pour toutes avec ces pratiques. Je suis favorable à la mise en place d’une commission d’enquête pour l’étude de certains dossiers de corruption » (2).
Aussi, face à la triple crise (morale et intellectuelle, politique et économique), Boudiaf a préconisé (3) : la transition vers une économie de marché véritable, libérant les initiatives des citoyens et l’esprit d’entreprise ; la restauration de l’autorité de l’Etat ; la persistance de la présence de l’Etat dans certains secteurs stratégiques ; la relance de l’agriculture qui est une priorité et la réalisation de plus de justice sociale et de solidarité.
Pour ce faire, il y a lieu d’adopter « une attitude pragmatique et refuser les idéologies ». Ainsi, s’expliquant sur son retour, il indiqua : « J’ai accepté de revenir en Algérie parce que j’ai senti qu’il était de mon devoir de revenir avec la conviction que ma présence pouvait apporter un élément nouveau qui permettrait à ce pays de se dégager de la situation dans laquelle il vit depuis ces dernières années ».
A l’observation, « votre seule force est l’armée », il répondit : « C’est faux. Si l’armée a fait appel à Boudiaf, c’est parce qu’elle a senti le devoir appel à un homme qui est resté en dehors du système » (4).
De même, il pensait que la démocratie « signifie le choix du peuple en matière de choix politiques clairs. Il faut que les prétendants à un rôle politique avancent des programmes politiques, une vision politique, un projet de société, une société moderne… Le bon musulman que je suis s’inscrit en conformité avec l’Islam qui est d’essence progressiste, tolérant et moderne » (5).
A cet égard, dans le projet de plate-forme pour « le rassemblement patriotique », le mot d’ordre retenu fut « L’Algérie avant tout ». Ce projet indique que ce rassemblement n’est pas un parti, encore moins un parti unique ; il « ne sera pas le résultat de compromis opportunistes ou de marchandages politiciens » ; d’où l’idée de « rupture radicale » et l’ « élaboration d’une stratégie à long terme au service d’une ambition nationale » (6).
Dans un « Appel » au nom du RPN « Rassemblement Patriotique National », Boudiaf a parlé d’un projet dont les axes sont : Une démocratie pluraliste » avec comme corollaires l’Etat de droit, le multipartisme, l’alternance et « l’assainissement des moeurs politiques, une économie moderne » (et non plus une économie de rente) qui passe par les catégories du marché et du travail et une société solidaire » qui combat les injustices et répond aux problèmes du logement et le chômage (7).
Ainsi, décrit comme un « Saint Juste national, idéaliste, inflexible, radical » (8), avec un franc-parler, un esprit de décision et une volonté de rupture radicale, il fut assassiné le 29 juin 1992 à Annaba. A ce sujet, une commission fut instituée afin de faire la lumière sur les circonstances de cet assassinat.
Après avoir identifié l’auteur de l’assassinat comme étant un élément de la Sécurité (en l’espèce, le sous-lieutenant Boumarafi Lembarek, cadet de la Révolution s’il en fut), les commanditaires restent à découvrir puisqu’on s’est orienté vers « la piste de la mafia militaro-politico-financière » (9). Force est de constater que ladite commission n’a fourni aucun résultat probant.
En tout état de cause, après avoir été adopté par la rue qui le baptisa affectueusement tour à tour Ramsès II et Lee Van Cliff, il fut salué comme « le représentant le plus typique du nationalisme radical algérien » (10). L’un de ses compagnons « historiques », Hocine Aït Ahmed, a pu dire : « Je pense que le retour de Boudiaf est une bonne chose. Mais qu’une hirondelle ne fait pas le printemps dans un pays où il y a tant de faucons » (11). De même, Mostefa Lacheraf a pu dire de lui : « Les critiques envisagées dans le projet de Boudiaf ne pouvaient satisfaire ni le pouvoir succédant au grand disparu, ni les groupes politico-religieux » (12).
Khaled Nezzar, Général-major à la retraite et ancien ministre de la Défense nationale, après avoir fait état de « ses convictions évidentes, son courage lucide et la simplicité de ses rapports », il indique que : « Son étonnante capacité de travail et son sens moral de la vie politique, se confondant chez lui avec la morale de tous les jours, lui valut outre le respect et la collaboration loyale des membres du Haut Comité d’Etat, la confiance d’un grand nombre d’institutions publiques, de représentants de la société civile et de certains leaders de la classe politique » (« El Watan » du 15/05/1996). Qui doit-on croire ?

Aucun commentaire: