mardi 1 mars 2011

50 ans de régimes politiques algériens. 5- L’Algérie de Kafi



Après l’assassinat de Boudiaf, il y eut un intermède. Le HCE (Haut Comité d’Etat) eut à sa tête Ali Kafi qui succéda au défunt Boudiaf. Il a été Secrétaire général de l’Organisation national des Moudjahiddines (ONM). Sa présidence se déroula dans une grande fièvre nationale et des tensions sociales caractérisées par l’apparition du terrorisme quasi-généralisé, quoique circonscrit par moments dans le centre du pays.
Pendant une année et demie, soit de juillet 1992 à décembre 1993, l’Algérie a vécu au rythme des assassinats d’intellectuels (écrivains, journalistes, scientifiques…), des attentats réussis ou manqués, de tueries d’agents de sécurité (police, gendarmerie, armée) et d’internements dans des camps dans le sud du pays, d’éléments appartenant -ou présumés appartenir- au FIS. Cette frénésie du sang que l’on ne peut que qualifier de folie furieuse est, tour à tour, attribuée aux islamistes (notamment ceux armés et rebelles à une solution politique de la crise algérienne) et aux services de sécurité, considérés par certains comme un rempart des privilégiés du système et désignés sous le vocable désormais célèbre utilisé par feu Boudiaf, celui de « mafia politico-financière ».
L’analyse de cette période semble montrer l’existence des “partisans du dialogue” avec le FIS qui estime avoir été spolié de sa victoire et des “éradicateurs” qui prônent l’extermination des islamistes armés. En toute vraisemblance, l’Algérie aurait pu faire l’économie d’une situation dramatique s’il avait été tenu compte de bien de signaux de détresse émis par la société, pourtant tangibles et qu’aucun rapport de synthèse officiel ne saurait camoufler. Ainsi, dans un texte proposé pour publication à l’hebdomadaire “Algérie actualité” en 1986 et paru en … 1993 (! ?), Djilali Liabès qui fut ministre de l’enseignement supérieur et l’une des victimes de cette tragédie, écrivit : “Notre système institutionnel et politique totalement archaïque risquerait d’être balayé par une tempête sociale…Ce système politique a fonctionné sur la base d’un système de légitimation devenu à présent obsolète” (1).
Il est vrai, comme le souligne feu Mostefa Lacheraf, que : “On s’obstine à relancer sur le marché politique les vieilles élites corrompues, usées et discréditées” (2). Pourtant, une autre victime de la répression sauvage qui s’est abattue sur l’intelligentsia algérienne, M’Hamed Boukhobza, le dit sans ambages : “Valoriser les élites ne signifie, en aucune manière, constituer une nouvelle catégorie sociale de privilégiés. Il s’agit de créer les conditions pour encourager la production intellectuelle”. Et de prévoir : “Ou bien l’Etat sera au service des féodalités en place… Ou bien, seconde alternative, l’Etat est effectivement puissant par sa capacité de pilotage d’un développement généralisé” (3).
De même, Leïla Aslaoui, dont l’époux fut l’une des victimes de la folie furieuse exposée plus haut, pense que des quatre gouvernements qui se sont succédé depuis 1989 : “Ce sont des hommes qui ont été choisi dans le même sérail et qui ont appartenu et qui appartiennent au même système… Le choix des hommes ne doit plus obéir aux notions de sérail, de système, de népotisme, de “coups de coeur” (4), au moment même où à l’INESG (Institut National d’études de Stratégie Globale), Djilali Liabès –alors D.G de cette institution- disait : “Les experts (de l’INESG) sont appelés à élaborer une véritable dynamique de la rupture… un véritable rapport sur l’état de la nation (…). Nous aspirons à une insertion style Corée du Sud, Singapour, par la matière grise, le savoir-faire” (5).
Hélas, la pratique politique suivie par le pouvoir demeure tributaire des réflexes de l’ancien système, même si le discours tente d’afficher le contraire. Ainsi, dans son allocution à la nation, Ali Kafi évoqua une période de transition en vue de la “normalisation de la vie politique nationale”. Par ailleurs, il indiqua qu’il s’agit de “se dégager progressivement de la gestion administrative et bureaucratique de l’économie” et “aller d’une manière organisée vers l’économie de marché” (6).
Ce discours annonçait quelque peu la démarche entreprise par le pouvoir -en tout cas celle du HCE- en vue d’aboutir à ce qu’il a appelé le “consensus national sur la période de transition” (7). On peut relever que cette dernière “sera caractérisée par l’élargissement du conseil constitutionnel aux différentes sensibilités politiques et au mouvement associatif”, prenant soin d’indiquer que parmi les principes fondamentaux figure celui d’ “une société musulmane développée, ouverte sur la modernité”.
Selon lui, il existe dans la société algérienne trois types de monopoles : politique (absence d’alternance), idéologique (l’idéologie au pouvoir) et économique (l’Etat comme agent principal de l’économie). Il parla de “projet national rénové” et de “poursuivre la tâche d’édification nationale”. Néanmoins, pour le HCE, la rupture ne signifie pas rupture d’avec “les constantes nationales, ni avec l’identité algérienne dans ses composantes musulmane, arabe et amazighe”. Il évoqua l’Etat de droit “avec autonomie de la fonction institutionnelle”.
En matière économique, il y a lieu de noter que le document précité parle d’ “économie de marché” et non plus d’ “économie administrée”. Mais qu’est-ce-à-dire “à concertation sociale” (?), d’autant plus qu’il évoque un nouveau modèle de développement qui permettrait la relance de l’industrialisation “sur la base de restructurations socialement douloureuses, mais inévitables”, une nouvelle place étant réservée aux hydrocarbures considérées comme une “locomotive de la restructuration industrielle et de la nouvelle insertion de l’Algérie à la division internationale du travail”.
La période de transition devait s’achever en décembre 93 et permettre la réhabilitation et le renforcement de l’Etat avec des “réformes structurelles de l’économie nationale”. Il n’en fut rien. Hésitations et tergiversations ont caractérisé cette période de transition, durant laquelle l’organisation du pouvoir prévue fut la suivante : une instance présidentielle : présidence collégiale, un conseil consultatif national où siégeraient des représentants de l’Etat, des partis politiques, des organisations économiques et sociales et du mouvement associatif national, un gouvernement de transition “composé de ministres compétents et militants de l’intérêt national”.
A côté de ces instances politiques, furent prévues des structures permanentes : une structure consultative sur les questions propres à l’Islam, un conseil économique et social, une structure de concertation sur les problèmes des jeunes et un conseil supérieur de l’éducation.
Force est de constater que ce programme ne fut plus à l’ordre du jour à la fin du « mandat » du HCE consenti par le pouvoir. Aussi, ce dernier mit en place une « commission du dialogue national » qui se chargea de rédiger un « Avant-projet de plate-forme portant consensus national sur la période de transition ».
Force également est de constater que le pouvoir a renoué avec le chartisme comme mode d’élaboration de la doctrine politique algérienne. Ainsi, dans le préambule, il a évoqué le nationalisme algérien qui a puisé “sa vitalité dans l’islam et le patriotisme populaire”, soulignant que “La revendication de la démocratie est au coeur même du nationalisme algérien”. Cet avant-projet évoque aussi les valeurs du Premier novembre, ainsi que la rupture “avec tout ce qui éloigne le peuple de l’Etat équitable et démocratique”. De la pure logomachie.
Parmi les objectifs de la transition figurant ceux politiques (poursuivre et étendre le dialogue, réhabiliter et renforcer l’Etat, préparer les conditions permettant le retour au processus électoral); économiques (assurer une gestion saine de l’économie, poursuivre et approfondir les réformes structurelles de l’économie); sociaux (promouvoir l’habitat, élaborer une politique en faveur de la jeunesse); sécuritaires (ramener la paix civile par la poursuite de la lutte contre le terrorisme)…
Mais, une fois de plus, pour autant qu’ils soient ceux attendus par les Algériens, que de projets réduits à l’état de purs et simples vocables, sans emprise aucune sur le réel et le vécu de ceux-ci. Comment dès lors s’étonner que l’Algérie vive encore, désormais de façon cyclique, des spasmes à l’échelle sociale.

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