Liamine Zeroual qui fut ministre de la Défense nationale dès juillet 1993, en remplacement de Khaled Nezzar, succéda à Ali Kafi, après que le HCE décida de prolonger son « mandat » jusqu’au 31 janvier 1994. Dès son ministère, il évoqua la « faiblesse globale de l’Etat et de ses institutions » (1). Son diagnostic s’appuya sur l’existence de causes politiques (faiblesse du système en place, contradiction entre programmes et idées, prédominance de l’esprit partisan sur l’esprit patriotique et désorientation de l’opinion populaire), de causes économiques (mauvaise gestion, perturbation des secteurs de la production, gaspillage destructeur des potentialités du pays en devises, le recours aux crédits à court terme et encouragement du phénomène de la contrebande) et de causes sociales (croissance du taux de chômage, abandon par l’Etat de son rôle social, comportements bureaucratiques, corruption et népotisme, répartition inéquitable du revenu national). Des constats sous forme de discours.
Discours sur la « rupture »
Discours sur la « rupture »
Pour lui, la solution devait consister en «la rupture à laquelle nous croyons et que nous voulons réaliser doit provoquer un changement radical dans les rouages de l’Etat et de ses composantes qui doivent obéir à des paramètres nouveaux ». Il est vrai que la langue de bois a la vie dure dans la vie politique algérienne. Toujours est-il que, dans son discours en tant que chef de l’Etat, le maître mot c’est le changement « qui doit constituer la véritable rupture ». En matière politique, il déclare privilégier « la voie du dialogue en tant que méthode de prise en charge de la situation actuelle du pays » car il est convaincu que « le traitement sécuritaire demeure à lui seul insuffisant pour sortir le pays de la crise ». En matière économique, il s’agit de « construire une économie développée régie par les lois du marché et de la concurrence » d’où, selon lui, des « mutations structurelles nécessaires » ; de même, l’endettement extérieur « trouvera ses solutions adéquates dans le cadre des négociations avec les institutions financières internationales » (2).
Par ailleurs, le nouveau pouvoir se mit en devoir de mettre sur le chantier un projet institutionnel. Ainsi, il préconisa l’installation d’un Conseil national de transition (CNT) où, normalement, devaient siéger les représentants des partis politiques et de la société civile. Il semblerait que les premiers nommés à cette instance aient boudé celle-ci, son rôle étant demeuré flou et sans poids politique réel (sans doute en partie du fait de la cooptation de ses membres). Toujours est-il que, à la suite de la démission du gouvernement Malek nommé le 21 août 1993 et succédant à celui de Abdesselam, M. Mokdad Sifi fut désigné comme Premier ministre. Le gouvernement Malek est sans doute celui qui s’est le plus inscrit et investi dans le cadre de l’ajustement structurel conforme au programme du FMI, pour éviter dit-on «le cercle infernal de l’endettement ».
Dans un entretien accordé au « Parisien » et repris par le journal algérien « Le Matin », M. Sifi, en sa qualité de Premier ministre de Zeroual, a indiqué que : « La France a intérêt à aider l’Algérie. Si nous venions à connaître durablement de graves problèmes, cela aurait un impact sur le Maghreb et sur la France. Nos deux pays sont mariés historiquement et culturellement ». Il mentionna les domaines dans lesquels où la France peut intervenir, à savoir : l’eau (besoin de 200 barrages), les transports (une autoroute Est-Ouest et une voie ferrée Alger-Tamnarasset), l’agriculture (mise en valeur de centaines de milliers d’hectares dans le Sud) et le logement (besoin immédiat de 1,2 millions de logements), (3). Certains projets furent repris par Bouteflika, ainsi l’autoroute est-ouest.
En tout état de cause, à l’occasion de l’investiture du CNT, le 18 mai 1994, Zeroual a cru devoir préciser : « Nous construirons la démocratie, certes en travaillant à la consolidation de la société politique, mais aussi et au même titre…à la consécration de la société civile », affichant sa détermination de bannir le terrorisme et la violence. Sur le CNT, il a indiqué qu’il “constitue aussi un espace de concertation et de débats démocratiques sur les grands dossiers de la vie de la nation”. De même, il a réaffirmé sa volonté de “poursuivre les réformes structurelles de l’économie nationale et de mettre en place le système d’économie de marché; nous la voulons à base de concertation et de justice sociale” (nouveau credo en vue de se démarquer de l’ancien système, ou bien concept “spécifique” lancé sur le marché des idées politiques ?), (4).
En dernière instance, la doctrine politique demeura floue et continua d’obéir aux impératifs de la gestion courante des affaires, face aux contradictions accumulées par les différents régimes. Le long terme fut quasiment évacué en totalité. Même acculé dans ses derniers retranchements, le pouvoir ne chercha plus qu’à finaliser des programmes dont il savait, par avance, qu’ils étaient voués à être dépassés (voire relégués au second plan par les tenants du pouvoir qui leur succéderaient) tant il est vrai que, depuis octobre 88, la fracture entre gouvernants-gouvernés est largement consommée.
Révision constitutionnelle de 1995
L’avant-propos et l’introduction du texte constitutionnel modifié pèchent par affirmations péremptoires qui rappellent les “idéologues” du système de la pensée monopartisane, tant la langue de bois, même renouvelée par endroits, tente de s’appuyer sur une pédagogie explicative afin d’emporter l’adhésion. A cet égard, la lecture des préambules des différentes constitutions algériennes est édifiante en la matière. En effet, ils révèlent la recherche d’une audience auprès des citoyens alors même que ceux-ci, de jure comme de facto, ont été écartés de la réflexion de ces textes dits fondamentaux ayant cristallisé négativement leur devenir. De fait, tout comme les chartes de 1975 (consécration du “socialisme spécifique”) et de 1985 (mise en place d’une pensée libérale, non moins “spécifique”), le peuple a été convié à adhérer purement et simplement à la modification du texte constitutionnel, auquel le pouvoir a prêté, de toute évidence, des vertus thérapeutiques.
Toutefois, ce même peuple n’a pu déléguer ses éléments les plus avertis puisés tant dans les partis politiques les plus représentatifs et les syndicats que dans la société civile composée de femmes et d’hommes de valeur (compétents, sérieux et intègres, selon le fameux triptyque en vogue sous le régime de Boumediene) pour susciter un Etat “régi par une morale” et “capable de survivre aux événements et aux hommes”.
A titre comparatif, la Constitution de 1963, plutôt qu’un texte supra légal organisant les pouvoirs publics, reflétait davantage une volonté politique dont la philosophie d’angle fut l’autogestion. L’institutionnalisation du parti unique (monocratisme partisan) et la personnalisation du pouvoir ont eu raison du projet de société véhiculé par ce texte dont les dispositions essentielles furent arrêtées par le B.P. du FLN d’alors et confirmées par une conférence des cadres du parti, faisant ainsi un pied de nez à l’Assemblée nationale constituante pourtant titulaire de la mission d’élaboration de ce texte.
S’agissant de la Constitution de 1976, il y a lieu de noter que la majorité requise pour l’adoption du projet de loi de la révision constitutionnelle est de trois quart des membres de l’assemblée, l’initiative de ladite révision appartenant au président de la République qui dispose d’ailleurs, en vertu de cette constitution des pouvoirs exorbitants : une puissance sans commune mesure avec l’absence totale de contrepoids, à savoir une opposition suffisamment structurée et prête à exercer l’alternance. Cette constitution a eu davantage pour objectif de légitimer la pratique politique du Conseil de la révolution (issu d’un coup d’Etat) que la mise en place d’un système politique de nature à servir de soubassement à un Etat moderne, faisant ainsi l’économie du présidentialisme comme déviation du régime de type présidentiel à l’instar du régime américain.
La vacance du pouvoir née du décès de feu Boumediene (ayant permis la candidature unique à la présidence de la République de Chadli Bendjedid) a montré les failles de la constitution de 1976 (à savoir le défaut de normes réglant cette question suite au décès du chef de l’Etat). Un vide constitutionnel avait alors caractérisé la vie politique algérienne (notamment du fait de l’absence du couple pouvoir-opposition); ce, d’autant plus que le Parlement –élu selon des modalités fort contestables- est placé d’entrée de jeu dans un état d’obéissance politique face à un exécutif ayant une “tête” aux prérogatives énormes et sans responsabilisation aucune à raison de son action politique.
La Constitution de 1989 qui fait suite au “chahut de gamins” d’octobre 88 ne mit pas fin, de façon radicale, à la situation antérieure relativement au pouvoir sans partage du chef de l’Etat (au demeurant sans légitimité certaine), nonobstant la permissivité des “associations à caractère politique” comme principale ressource insufflée à un système qui espérait se reconduire par la grâce d’un parti dominant sur l’échiquier politique, ses promoteurs s’étant considérés à tort comme des pionniers de la démocratie en Algérie.
C’est dans ces conditions d’anémie politique car sans perfusion constitutionnelle sérieuse et substantielle (avec l’état d’insécurité et de chômage qui dure encore) que le pouvoir a proposé une révision de la constitution, dans la foulée de l’élection présidentielle du 16 novembre 1995, espérant sans doute débarrasser le constitutionnalisme algérien de toutes ses scories. Cette révision fut présentée sous forme de mémorandum ; le pouvoir pouvait faire preuve de plus d’imagination et surtout d’audace, en écartant, par exemple, les règles classiques en la matière : révision par voie de référendum proposé par le président de la République élu ou par le Parlement réuni en Congrès (cas du bicaméralisme). Il aurait été possible de mettre en place une instance suffisamment représentative et composée aussi bien de techniciens avérés et probes que de politiques –non moins probes- toutes tendances confondues.
Aussi, eu égard à la situation prévalant actuellement en Algérie (outre l’aspect sécuritaire et la conjoncture internationale pas toujours favorable), pour plus de crédibilité politique, le pouvoir (constituant, en l’espèce) aurait gagné à suivre cette démarche car, d’évidence, les techniciens de la matière constitutionnelle et les analystes de la vie politique ne sont guère à l’abri d’erreurs pouvant encore engendrer des difficultés supplémentaires à l’Algérie. D’ailleurs, d’un point de vue linguistique, il est caractéristique de constater que les rédacteurs du mémorandum utilisent davantage la lexicologie de l’obligation (en l’espèce l’utilisation du verbe devoir) et le futur qu’on pourrait appeler “confirmatif” (exemples : “Il sera institué” et “Ces principes devront …”) plutôt que l’option et le choix. C’est dire, en toute vraisemblance, si la révision dont s’agit relevait d’un choix du pouvoir (sorte de fait du prince) que de la proposition à débattre, par medias interposés entre autres, par les concernés de la vie politique du pays (pouvoir et opposition) plutôt que de déléguer –comme ce fut le cas- un conseiller à la Présidence pour donner aux citoyens une leçon de droit constitutionnel sur l’unique chaîne de télévision, accaparée et instrumentalisée à souhait par les tenants du pouvoir.
Inflation de propositions d’institutions
A ces maladresses, d’ordre sémantique et méthodologique, est venue se greffer une inflation de propositions d’ordre institutionnel, coûteuses pour le pays en général et pour les contribuables en particulier. En effet, du renouvellement du mandat présidentiel limité à une seule fois à l’adoption du mode de scrutin de liste proportionnelle, en passant par la mise en place de nouvelles institutions (Conseil de la Nation, Conseil d’Etat et Haute Cour de l’Etat), il y a lieu de s’interroger légitimement sur les véritables mobiles et des tenants et aboutissants de cette révision constitutionnelle ayant certainement coûté fort cher au Trésor public algérien.
De fait, s’il est admis par la majorité des citoyens qu’il y a nécessité de rompre avec l’ancien système, force est de constater que l’inverse risque d’aboutir à l’autre solution inextricable : une inflation d’institutions alors même qu’aucun critère d’évaluation sérieux et probant n’a été posé pour apprécier l’efficacité de celles-ci. En effet, un pays qui souffre d’une situation économique des plus difficiles –dont le développement est obéré de surcroît par la dette extérieure et les effets de la “restructuration” (licenciements en masse et fermetures d’entreprises, entre autres) peut-il se permettre d’alimenter littéralement autant de structures d’autant plus qu’elles risquent d’être purement et simplement sans pouvoir réel ? Par ailleurs, pour autant que la révision proposée ait eu pour vertu de consacrer la dualité de juridictions, il eût été judicieux de prévoir à côté d’un Conseil d’Etat, qui coiffe les juridictions administratives, une Cour de cassation qui aurait à compléter l’ordre juridictionnel judiciaire.
De même, envisager le cas de haute trahison à l’endroit du président de la République et du chef du Gouvernement est une intention louable. Toutefois, ce cas ne relève t-il pas de la pure hypothèse d’école ? Cela est d’autant plus vrai que l’idée d’une Haute cour est quasiment abandonnée dans les pays à haute technologie constitutionnelle. Au surplus, s’imaginait-on sérieusement résoudre les problèmes de la Nation algérienne en consacrant le principe de la libre entreprise dans les domaines du commerce et de l’industrie, “tout en réitérant le principe de justice sociale qui fonde notre société” ? Sur le second terme de cette proposition, il est à se demander s’il ne s’agissait pas là d’une simple clause de style car la vie politique d’autres peuples –autrement plus outillés en expériences démocratiques- montre, à l’évidence, que la libre entreprise a certes développé ces mêmes peuples, mais elle n’a pu engendrer ipso facto la justice sociale. Les cas des Etats-Unis d’Amérique, de la France et du Japon sont édifiants en la matière au vu de la “cohorte” d’assistés et autres “nouveaux pauvres” que cette politique a pu susciter.
Enfin, sans doute pour tempérer un tant soit peu les prérogatives exorbitantes dont continue de bénéficier le président de la République, en tant que clé de voûte de tout système institutionnel- et tenter d’éviter le présidentialisme, le bicéphalisme a été consacré. Toutefois, le président de la République, relativement au “domaine réservé” (Défense nationale et Affaires étrangères) constitue à lui seul le pouvoir -en tout cas, d’un point de vue institutionnel- tant il est vrai que, souvent, le jeu politique est fonction de manoeuvres se déroulant en dehors des enceintes institutionnelles, fussent-elles élues. En Algérie, comme ailleurs, le Premier ministre apparaît beaucoup plus comme un fusible (voire un homme lige du président) que comme quelqu’un qui bénéficie d’un pouvoir effectif, tant et si bien qu’au lendemain des élections législatives, la pratique politique et constitutionnelle tend à démontrer la fragilité de ce système, la “cohabitation” supposant l’existence d’une opposition fortement structurée et apte à jouer ce rôle.
Surabondamment, dès lors qu’il sera établi que le Gouvernement –et donc le Premier ministre- sera issu de la majorité parlementaire, force sera alors de s’interroger sur les limites des fonctions du Parlement car les députés devront une sorte d’allégeance à leurs partis respectifs. En tout état de cause, le pouvoir législatif algérien devra être accru afin d’éviter d’avoir des députés “godillots” et avoir une vie parlementaire riche en confiant, par exemple, à ce pouvoir de réelles missions d’enquête et de contrôle; ce, d’autant plus que la révision dont s’agit consacre la séparation des pouvoirs et parle de pouvoir judiciaire, et que le citoyen algérien continue d’être marginalisé sans aucune possibilité pour lui de saisir le Conseil constitutionnel pour une meilleure participation à la vie publique de son pays au moment où le terrorisme et la torture sont quasiment devenus des modes d’orientation de la conscience tant individuelle que nationale, devenant même l’otage du déséquilibre politique entre les institutions assurant la pérennité du pouvoir. L’accession de Bouteflika à la présidence de la République a t-elle modifié la donne ?
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