mercredi 2 mars 2011

AHMED BENBITOUR À L’EXPRESSION-- «L’Algérie en urgence de changement»


03 Mars 2011 -


La crise profonde que traverse notre pays est éminemment politique
Parmi les personnalités en avant-garde pour le changement, il y a l’ex-chef de gouvernement, M.Ahmed Benbitour. Nous l’avons contacté pour connaître son point de vue sur les événements qui marquent la société, comme de nous dire sa vision des choses politiques et comment il conçoit la sortie de crise. Ahmed Benbitour travaille, nous dit-il, depuis deux ans, à formaliser un concept traduisant sa vision d’une Algérie nouvelle, démocratique, autour des Amis du manifeste pour une Algérie nouvelle (Aman).

L’Expression: La levée de l’état d’urgence est officielle. Quelle appréciation en faites-vous?
Ahmed Benbitour: Je pense que les tenants du pouvoir n’ont pas encore pris conscience de la menace quant à l’avenir de l’Etat et de la Nation. Ils n’arrivent pas à intérioriser l’urgence et l’absolue nécessité de changement du système de gouvernance dans le calme et la sérénité, avant que la situation ne devienne incontrôlable. Il s’agit également de leur propre sauvegarde. La crise profonde que traverse notre pays est éminemment politique. La jeunesse est sans perspectives d’avenir. Le pays gronde, à l’image du reste de la région, les émeutes sont quotidiennes aux quatre coins du pays, certes catégorielles pour le moment, mais qui menacent de se généraliser. Par ailleurs, le pays n’est plus gouverné; d’où l’expression très répandue, Ghiyab Eddaoula (absence de l’Etat). Nous avons appelé à l’instauration des conditions minimales de liberté démocratique, avant qu’il ne soit trop tard. Il s’agit concrètement de la levée de l’état d’urgence, de l’ouverture du champ médiatique, y compris le lancement de nouvelles radios et chaînes de télévision privées, de l’ouverture du champ politique avec la possibilité de créer de nouveaux partis politiques représentatifs de la jeunesse. En réponse, nous avons une «levée de l’état d’urgence» tronquée qui interdit les marches à Alger et qui conditionne les marches à une autorisation préalable en dehors d’Alger. De même, la mise en place de règlements spécifiques pour lutter contre «la subversion». Qu’est-ce que cela signifie? Aussi la possibilité pour un juge de décider d’une détention préventive en trois fois trois mois, c’est-à-dire neuf mois, c’est une atteinte dangereuse aux droits et libertés. Mais en dernière analyse, quel crédit donner aux textes d’un pouvoir qui a changé la Constitution, à la façon dont cela été fait en 2008? Parallèlement à ce verrouillage sur le plan politique, nous avons droit à une longue liste de mesures, dont certaines sont bienvenues mais totalement improvisées et d’autres complètement démagogiques, avec ce travers de notre système de tenter d’acheter catégorie sociale après catégorie sociale au moyen de la rente pétrolière. Cette démarche ne pourra qu’apporter un répit temporaire. Il y a d’ailleurs fort à parier que, cette fois-ci, l’appel d’air ainsi créé va provoquer des tensions si grandes entre la population d’une part, et les administrations et les banques que l’on a laissé se vider de leurs compétences et de la moindre organisation d’autre part, que la colère de la population va être terrible.

Vous avez suggéré récemment une révision de la Constitution. Qu’entendez-vous au juste par là? La mise sur pied d’une assemblée constituante? Une commission d’adaptation de l’actuelle loi fondamentale? Pouvez-vous nous expliquer votre vision de la Constitution la mieux-disante pour l’Algérie?
Cette suggestion entre dans un processus global de changement du système de gouvernance que j’ai décliné dans un manifeste, aujourd’hui porté par un concept, l’Aman (les Amis du manifeste pour une Algérie nouvelle). Il s’agit de la mise en place d’un calendrier politique de transition et de sauvegarde pour parvenir à l’avènement d’une nouvelle république. Ce calendrier permettra l’avènement du nouveau système de gouvernance et la mise en place des institutions de transition chargées de l’élaboration d’une nouvelle Constitution démocratique et de l’organisation d’élections présidentielle et législatives anticipées. Un gouvernement de transition et de sauvegarde composé d’une équipe compétente, représentative des différents courants de la société, mettra en oeuvre un programme économique et social très clair de protection de nos richesses et de prise en charge des besoins les plus pressants de la population. Une équipe de sauvegarde de la Nation ou une Assemblée de la transition (les deux options restent ouvertes), en nombre restreint mais représentative des différents courants dans la société, élaborera le programme politique de transition et de sauvegarde, y compris la rédaction de la Nouvelle Constitution. La mission durera jusqu’à la fin de la période de transition lors de l’adoption de la future Constitution, suivie des élections présidentielle, législatives et locales anticipées, qui consacreront l’avènement de la Seconde République algérienne. Le contenu de cette Nouvelle Constitution est celui d’une République démocratique adaptée à la situation de transition que devra vivre l’Algérie. Il se décline en trois blocs: le respect des droits et libertés individuels et collectifs de tous, femmes et hommes; des institutions soumises aux règles de fonctionnement démocratique, transparent et responsable au sens de rendre compte de la qualité de réalisation des missions et de l’utilisation efficace des ressources, l’absence de corruption en particulier, enfin sauvegarder les ressources naturelles non renouvelables au profit des générations futures, à savoir la constitutionnalisation de l’utilisation des ressources d’hydrocarbures. Les futures institutions doivent assurer les objectifs suivants: ne plus jamais conduire à un monopole du pouvoir par des groupes immoraux et/ou incompétents, ni au détournement de l’Etat au profit d’intérêts privés, des solidarités familiales, claniques, corporatives ou tribales. Privilégier les règles de l’élection sur les règles de la cooptation et de la fraude, pour empêcher de faire de la loyauté envers les tenants du pouvoir la seule source de promotion au détriment de la compétence et promouvoir l’alternance au pouvoir. En particulier, la limitation des mandats présidentiels à deux. Prendre sérieusement en charge les grandes questions culturelles et politiques, source de conflits sociaux et de déstabilisation de l’Etat.

Les marches, pour l’heure, ont montré leurs limites, n’y a-t-il pas d’autres moyens pacifiques pour réclamer la liberté et autres droits?
Bien entendu, il y a d’autres moyens, nous les mobiliserons. Mais, dans la conjoncture actuelle, les marches et les rassemblements restent les moyens les plus efficaces et les plus rapides pour réaliser le changement ou du moins faire partir les symboles du système.
Les expériences de révoltes en Tunisie, en Egypte, en Libye nous proposent un nouveau paradigme de changement. Tout ce qui a fonctionné dans le passé ne fonctionnera pas à l’avenir! C’est une opportunité pour nous et pour les tenants du pouvoir de préparer le changement dans le calme et la sérénité, sans en payer un coût énorme pour la Nation, pour les tenants du pouvoir et pour les citoyens.

Il a été question ces derniers temps d’un congrès général des forces du changement, comme l’a suggéré M.Mehri. Pouvez-vous nous en dire plus sur sa préparation?
Effectivement, nous assistons ces derniers temps à un foisonnement d’initiatives et d’appels. C’est encourageant, cela veut dire que de plus en plus de gens ont compris la nécessité du changement. En ce qui concerne le congrès, je ne peux parler que de mon initiative.
En fait, j’ai commencé dès novembre 2009 à lancer une nouvelle initiative pour la mobilisation pacifique pour le changement à travers le modèle des cercles d’initiatives citoyennes pour le changement (Cicc) et en utilisant les nouvelles technologies (Internet, Facebook). Après une année de fonctionnement, j’ai délivré, en novembre 2010, un bilan et proposé de passer à une nouvelle phase de construction d’alliances stratégiques et de réseaux entre les différentes forces du changement. J’ai précisé que la construction d’alliances ne signifie ni fusion ni union. Chaque partie dans les alliances conserve son programme, son autonomie et son idéologie. Ce qui les rassemble, c’est la mise en commun des moyens de mobilisation pour un changement pacifique du système de gouvernance. Une première opportunité a été offerte par l’Alliance nationale pour le changement (ANC). C’est un concept en cours de création qui va établir sa charte de fonctionnement et la plate-forme des revendications. Nous travaillons à la préparation d’un programme d’actions à entreprendre, qui n’exclut pas, a priori, l’organisation d’un congrès des forces du changement. Nous y travaillons en tant que Amis du Manifeste pour une Algérie nouvelle (Aman). Et ce que je vous dis, c’est la position de Aman qui sera soumise aux autres partenaires de l’ANC.

Enfin, pouvez-vous, M. Benbi-tour, nous préciser votre vision de la gouvernance et de l’Etat?
Ma vision de l’Etat, à mettre en place de manière urgente, est la suivante: mettre fin à la corruption et au mépris trop répandus parmi nos responsables politiques et administratifs, mettre en place une économie de production, qui résorbe rapidement le chômage et la pauvreté, développer une véritable protection sociale conforme à nos valeurs pour une amélioration des conditions de vie de tous, notamment les couches les plus vulnérables de la population, ainsi que l’égalité pour tous, femmes et hommes, améliorer le niveau d’éducation et de formation de l’ensemble de la population, et en priorité des jeunes générations. Pour cela, la Constitution et les nouvelles pratiques à instaurer au sein de la classe dirigeante doivent favoriser un système de gouvernance algérien refondé autour des objectifs suivants: mettre en place une démocratie moderne avec des institutions qui fonctionnent correctement, en priorité dans le secteur de la justice, qui ne dépendent pas du bon vouloir des individus, et qui sont comptables de leurs actes et de leurs résultats, mettre en place des mécanismes politiques fondés sur une saine compétition, arbitrée par le peuple, seule source légitime du pouvoir, lors d’élections non manipulées, promouvoir l’avènement d’une nouvelle génération de jeunes dirigeants politiques, compétents et honnêtes, en mesure de mener un véritable programme de développement, à tous les échelons du pouvoir, de l’Etat et de l’administration.
Propos recueillis par Mohamed BOUFATAH

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