(Fukushima, Japon) Sans nourriture ni chauffage, les sinistrés de Fukushima manquent de tout. Notre envoyé spécial a visité cette ville qui vit dans la peur et où la colère commence à gronder.
Ce qu'on remarque en premier lorsqu'on arrive à Fukushima, c'est que la ville est vide. Puis, on constate que les hôtels sont condamnés. Enfin, on aperçoit Shigeru Matsuura, qui ouvre une porte en bois et vous invite dans son restaurant.
L'eau courante est coupée depuis vendredi. Les épiceries manquent de tout. Pour M. Matsuura, ce n'est pas une raison pour fermer boutique.
«J'ouvre parce que les gens ont besoin de moi, dit l'homme aux cheveux blancs. Les travailleurs, les secouristes, les policiers. Les gens ont faim.»
À 60 km de la centrale nucléaire qui menace le Japon, la ville de Fukushima, qui attire habituellement les touristes en route vers les montagnes du centre du pays, est assiégée. Les rares stations-service ouvertes rationnent l'essence. La plupart des édifices sont endommagés. Pratiquement tous les commerces sont fermés.
Il n'y a pas de mouvement de panique. Les gens qui voulaient partir l'ont fait; ceux qui sont restés sortent rarement de chez eux. Le gouvernement affirme que les radiations ne menacent pas la santé humaine.
Hier, des images filmées par un hélicoptère de la chaîne NHK montraient des panaches blancs qui s'échappaient des réacteurs numéros 2, 3 et 4 de la centrale de Fukushima Daiichi. Des troupes d'autodéfense japonaises tentaient hier de transporter de l'eau par hélicoptère pour tenter de refroidir les réacteurs en surchauffe.
Dans la ville de Fukushima, les citoyens suivent l'évolution de la situation à la télé, qui ne parle plus que de la tragédie. Des répliques du tremblement de terre de vendredi dernier font vibrer la ville chaque jour, mais les gens semblent voir cela comme un phénomène normal et peu inquiétant.
La question du manque d'essence les préoccupe davantage. Comment en effet quitter la ville avec un réservoir vide?
Plusieurs des résidants avaient des amis et des proches dans les zones dévastées par le tsunami. C'est le cas de Keizo Murakami, retraité, qui passait le temps en lisant le journal au restaurant de M. Matsuura, hier après-midi.
«C'est une tragédie difficile à surestimer. Personnellement, je n'arrive pas à joindre des amis. J'espère qu'ils sont en sécurité.» Il craint que les sinistrés n'aient froid durant la nuit. Les températures ont chuté dans la région. Une fine neige tombait sur la ville, hier.
«Sous l'emprise de la panique»
À Fukushima, les écoles sont fermées. Jour et nuit, les sirènes des véhicules d'urgence percent l'air à tout moment. Malgré tout, quelques traces de vie normale subsistent. Hier, une équipe de la municipalité s'affairait à réparer une portion de trottoir détruite dans le tremblement de terre.
M. Matsuura, ancien champion de motocross du Japon, ne sait pas si les radiations pourraient atteindre sa ville. Si le gouvernement ordonne l'évacuation, il est prêt à partir avec sa femme et son fils de 13 ans.
«Fukushima est entouré de montagnes. Le vent de la côte ne se rend pas ici, habituellement. Je crois que nous allons être O.K.», dit-il. Il estime que les gens qui s'enferment chez eux «sont sous l'emprise de la panique».
Pour le moment, il se lève à 6 h chaque matin pour aller faire la file à la distribution d'eau potable de la municipalité. Plusieurs centaines de personnes font la queue durant des heures, mais personne ne se plaint, dit-il. «Je trouve que les Japonais pourraient crier un peu plus. Notre gouvernement parle beaucoup, mais il agit lentement.»
Morgue improvisée
La lenteur des secours est devenue source d'anxiété et de mécontentement pour la population et les officiels de Fukushima.
Hier, le gouverneur de la préfecture, Yuhei Sato, a perdu son sang-froid: «La peur et la colère ressenties par les gens ont atteint le point d'ébullition.» Les réfugiés, a-t-il dit, «manquent de tout». Plus de 30 000 personnes sont hébergées dans les installations d'urgence dans la préfecture.
«Les gens n'ont pas de repas chauds et le chauffage fait défaut. Il y a des familles, des personnes âgées. C'est une situation exaspérante.»
Dans la ville voisine de Minamasoma, le maire a dit que les 8500 réfugiés hébergés dans les gymnases de la municipalité manquaient d'eau et de nourriture. «Nous manquons de carburant pour le chauffage, car il fait très froid, ici. Et nous manquons de nourriture et d'eau. Cette crise ne se terminera pas de sitôt», a-t-il dit à la télé NHK, hier.
L'un des gymnases de Minamasoma a été transformé en morgue. Les résidants inquiets peuvent vérifier les noms des victimes sur une liste affichée sur un tableau.
Nicolas Berubé, envoyé spécial La Presse |
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