Cette semaine dans la presse en anglais, des Américains qui essaient d’intervenir en Libye sans en avoir l’air, une opposition libyenne désorganisée, divisée et sur le point d’être militairement laminée. La révolution n’a décidément pas encore amené à la Libye les bienfaits dont semblent déjà profiter les Egyptiens.
Les Américains tentent de secrètement faire parvenir des armes aux rebelles libyens en passant par l’Arabie Saoudite, c’est ce qu’affirme The Independent sous la plume de son reporter star Robert Fisk. Le président américain Barack Obama, qui tenterait tout pour éviter une intervention directe en Libye, aurait demandé aux Saoudiens d’acheminer par pont aérien des armes à Benghazi. Mais selon Fisk, les Saoudiens qui eux-mêmes ont beaucoup à faire at home avec leurs «journées de la colère» n’auraient pas encore répondu aux demandes américaines, même si, note Robert Fisk, «le roi Abdallah déteste personnellement le leader libyen qui a tenté de l’assassiner il y a moins d’une année de cela». Washington aurait besoin de cette aide des Saoudiens pour pouvoir nier toute ingérence militaire de sa part en Libye, même si les armes sont américaines payées par les Saoudiens. Dans le cas où les Saoudiens répondent favorablement à la demande américaine, conclut Robert Fisk, il deviendrait impossible à Barack Obama de condamner le royaume s’il venait à s’y dérouler une répression massive des populations chiites qui sont celles qui appellent aux «journées de la colère» saoudiennes.
Une opposition libyenne de bric et de broc
Anthony Shadid du New York Times publie un reportage sur les balbutiements politiques et militaires de l’opposition libyenne, «en moins de trois semaines, une opposition naissante dans l’un des pays les plus isolés du monde a bricolé une semblance de gouvernement transitoire, mis sur le terrain une armée rebelle de bric et de broc et s’est présentée à l’Occident et aux Libyens comme une alternative aux quatre décennies de régime grotesque du colonel Mouammar Kadhafi». Entre-temps, écrit le New York Times, les leaders du Conseil de Transition de l’opposition libyenne ne se sont pas gênés pour se contredire les uns les autres publiquement, «l’appel à l’aide étrangère (ayant) beaucoup amplifié les divisions». L’un des porte-parole de cette opposition, Moustapha Gheriani, décrit l’état de vacance dans lequel ils se sont retrouvés «au lieu de nous concentrer sur l’établissement d’un gouvernement transitoire, tout ce que l’on fait c’est nous occuper des besoins – la sécurité, ce que nous demandent les gens, vers quel direction va le soulèvement, tout va trop vite» et en brandissant son téléphone portable, Gheriani lance au journaliste du New York Times : «c’est tout ce qu’il nous reste… et encore on peut seulement recevoir des appels». La question de l’aptitude de l’opposition libyenne, insiste le reporter, va être décisive et cette opposition apparaît totalement «surpassée par les forces gouvernementales et divisée selon des lignes tribales que le gouvernement essaie d’exploiter, les rebelles fonctionnant plus à l’enthousiasme qu’à l’expérience». Visitant un check-point de l’opposition, le reporter décrit les efforts vains d’un «officier» tentant d’organiser ses rebelles et rappelle qu’ils ont gagné les toutes premières batailles avec de vieilles mais efficaces armes russes et coréennes mais plus l’offensive du gouvernement s’est faite féroce, plus rudimentaires les moyens de ces rebelles, sans parler de leur propre manque de préparation, si «de petites unités d’hommes qui ont appartenu aux forces spéciales de l’armée libyenne ont rejoint l’opposition, beaucoup de ces rebelles sont des banquiers, des policiers, des chômeurs qui ont formé des brigades enthousiastes mais plutôt infortunées». Du côté des «politiques», c’est aussi la pagaille et Anthony Shadidévoque des menaces que les rebelles de Darnah ont proférées contre le Conseil de Transition lorsque l’appel à l’aide étrangère «a à peine commencé à y être débattu». Enfin, les leaders de cette opposition «spontanée» divergent profondément sur l’idée même de la formation d’un gouvernement transitoire «soulignant les craintes que cela préparera le terrain pour la partition de la Libye».
La Libye, où «les chiens sont mieux traités que les Noirs»
Dans la profusion d’articles sur la Libye cette semaine, signalons un excellent reportage sur les réfugiés dans le New York Times où le journaliste s’est entretenu avec un grand nombre de «réfugiés» venus de pays du sud du Sahara mais aussi du Bangladesh, qui racontent leur calvaire d’aujourd’hui, celui de réfugiés sur qui pèse la menace du «retour au pays», mais aussi leur calvaire d’hier, celui de «l’enfer de la vie quotidienne de travailleurs étrangers en Libye». Ils étaient près d’un million et demi de travailleurs immigrés en Libye et près de 200 000 d’entre eux ont fui, «et c’est peut-être au choix de partir travailler en Libye que l’on peut mesurer l’ampleur de leur désespoir» écrit le New York Times qui évoque longuement les «violences et harcèlements» dont sont les travailleurs étrangers en Libye, particulièrement s’ils sont noirs. «En Libye, les chiens sont mieux traités que les noirs», résume pour le journal new yorkais le porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations.
En Egypte, policier le matin, serveur de fast-food le soir
Lorsque le jeune Sayed Abdul Hamid, 26 ans, avait rejoint les rangs de la police égyptienne, il l’avait fait pour avoir l’assurance d’un salaire régulier et pour «le prestige». «L’argent continue à arriver, 85 dollars par mois, mais au lieu du respect, Hamid ne fait qu’avaler humiliation sur humiliation», écrit le Washington Post dans un reportage sur le blues de ceux qui constituaient «la force de frappe» de la dictature Moubarak, à savoir sa capacité à terroriser les citoyens égyptiens les plus humbles : la police. Les humiliations avaient d’abord commencé par être servies, au moment du recrutement, par les supérieurs hiérarchiques du jeune Sayed qui n’a pas coupé au rituel étrange et extrêmement violent de bizutage. Et aujourd’hui il a droit à la colère d’une population qui a souffert pendant des années des abus et de la corruption de la police, une colère qui s’exprime directement contre sa personne. «S’ils me laissaient seulement leur expliquer que je ne les battrai jamais, qu’ils sont mes frères», raconte le jeune policier au Washington Post, «mais au lieu de lui montrer de la déférence ce sont des mots comme traître qui lui sont jetés à la face». Avant la révolution, Sayed «portait fièrement son uniforme lors du trajet de trois heures qui le menait au travail. Maintenant il préfère le fourrer dans son sac à dos». Avant la révolution, «les Egyptiens ne contestaient jamais l’autorité de la police, payant docilement les pots de vin, et n’ayant aucun recours contre les séances de bastonnade ou les fausses accusations». Mais Sayed Hamid «qui travaille à mi-temps dans un fast-food pour pouvoir joindre les deux bouts», souligne le Washington Post, assure que lui et ses collègues sont en réalité des victimes. Pris entre le marteau du régime et l’enclume du peuple, forcés soit d’obéir aux ordres en commettant des brutalités ou de faire face eux-mêmes à la brutalité de leurs supérieurs.
En Egypte, la peur a-t-elle changé de camp ?
Des policiers qui n’osent plus porter leur uniforme trop loin de leurs commissariat, d’autres dont les parents craignent de les voir attaqués, c’est donc un peu «la peur qui a changé de camp» dans les rues du Caire. Surtout que s’y multiplient les attaques des bâtiments de la Sécurité d’Etat (amn eddawla) par des foules de gens tentant de sauver les documents secrets de la destruction. Sur ce sujet, dans un autre article du Washington Post, une jeune avocate et militante de l’opposition égyptienne fait défiler, en riant aux éclats, sur l’écran de son ordinateur tout un pan de sa vie militante mais aussi personnelle, un pan qu’elle pensait avoir bien dissimulé. Ces informations ont été collectées contre elle par des agents de amn eddawla et aujourd’hui elles font partie du domaine public égyptien, postées sur Facebook par les citoyens qui les ont arrachés à la destruction dans les casernes de la police politique égyptienne. «Même si les Egyptiens soupçonnaient cette organisation (amn eddawla, ndlr) d’avoir des agents dans le moindre recoin de la société, les documents qui ont été mis en ligne montrent un réseau d’espions dont l’étendue a surpris y compris ceux qui se battaient contre eux depuis des années», écrit le Washington Post.
Enfin pour ceux qui s’intéressent à la célère aide que reçoit l’Egypte annuellement de la part des Etats-Unis, un article aussi long que passionnant, parfois même hilarant, dans leNew York Times ici sur où vont exactement ces milliards de dollars. Avec pour ouverture magistrale, la description d’un hôpital militaire financé par le Pentagone pour «améliorer la couverture santé des djounoud égyptiens» et qui est devenu un hôpital-palace pour tourisme de santé. Un de ces articles dont on se demande pourquoi il n’a pas été publié AVANT. En tout cas, le journaliste y revient aussi sur le «blues» des militaires de haut rang américains qui savent pertinemment que «l’argent du contribuable américain supposé aider l’armée égyptienne à devenir mieux équipée et plus performante» finit presque toujours par financer l’indescriptible luxe où aime à s’ébattre la bourgeoisie comprador égyptienne, comme dirait l’intellectuel égyptien Samir Amin, qui serait toujours en vie selon nos sources.
*MaghrebEmergent
*MaghrebEmergent
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