samedi 12 mars 2011

« Sarkozy s'est définitivement coupé des musulmans »


ENTRETIEN avec Abderrahmane Dahmane 
Le minaret de la grande mosquée de Paris, en décembre 2009 (Charles Platiau/Reuters).
Nicolas Sarkozy a limogé vendredi son conseiller à l'intégration, Abderrahmane Dahmane. La veille, lors d'une réunion à la grande mosquée de Paris, celui qui est aussi président du Conseil des démocrates musulmans avait vivement critiqué le débat sur l'islam. Entretien exclusif avec l'ex-sherpa en banlieue, qui avait beaucoup œuvré au cours de la campagne pour l'élection présidentielle de 2007, qui ne reconnaît plus son champion et traite Jean-François Copé de « con ».
Rue89 : Comment avez-vous appris votre renvoi de l'Elysée ?
Abderrahmane Dahmane : J'ai reçu un coup de fil de Christian Frémont [le directeur de cabinet du Président, ndlr] vendredi à 15h45 alors que j'étais en déplacement pour faire de la médiation auprès des musulmans de Nice. Il m'a dit : « Le Président met fin à vos fonctions parce qu'il estime que vous avez attaqué son parti. » Un quart d'heure plus tard, ils avaient coupé ma ligne téléphonique, sans doute pour que je puisse pas rappeler pour me plaindre. Quel courage !
Regrettez-vous votre critique du débat sur l'islam que prépare l'UMP ?
Absolument pas. Je vais même plus loin : pour signifier notre désaccord, j'appelle à voter massivement contre l'UMP, à commencer par les élections cantonales. Tant que Copé sera à la tête de ce mouvement, je m'en désolidariserai complètement. Et le 5 avril [jour de la convention sur l'islam de l'UMP, ndlr] il y aura de grandes manifestations partout pour dire non aux discriminations, non aux stigmatisations, non aux boucs émissaires. Nous ne laisserons pas faire cette mascarade.
C'est Copé, le problème ?
Sarkozy nous a appris qu'il fallait se battre contre Copé, que c'était « un con ». Copé n'a pas changé. Pourquoi changerions-nous de comportement à son égard ? Sarkozy s'est fait hara-kiri le jour où il a donné l'UMP à Copé.
Mais Sarkozy est sur la même ligne, non ?
Je n'ai pas l'intention de le critiquer, je ne veux pas entrer en guerre contre lui après huit années d'amitié. Mais j'observe en effet un changement radical de comportement entre celui qui disait « non à l'islam des caves » en 2002 et qui dit aujourd'hui qu'il faut un débat sur l'islam.
Pourquoi pas un débat sur le judaïsme, sur le catholicisme ? Eux aussi ont leurs intégrismes, leurs problématiques. Le Président dit qu'il veut intégrer, il fait tout pour désintégrer. Je ne comprends pas ce qui lui arrive.
Quelle est votre hypothèse ?
Il y a son entourage qui le pousse. Il y a Guaino. Mais s'il pense qu'il peut courir derrière les voix du Front national, il se fourre le doigt dans l'œil. Il a réussi à les attraper en 2006-07, il n'y arrivera pas deux fois.
Il y a une cassure profonde entre Sarkozy et les sympathisants frontistes. Ils attendaient beaucoup plus de lui. Ils ne se feront pas avoir une deuxième fois, d'autant qu'ils se sentent suffisamment forts avec Marine Le Pen.
Vous pensez qu'il existe un vote musulman ?
Bien sûr. Allez voir dans les banlieues de toutes les villes : les musulmans votent pour les représentants de la diversité. Ce vote existe aussi au niveau national. En 2007, c'est Sarkozy qui en a bénéficié. Il avait nommé un préfet musulman, il avait tenté de structurer l'islam avec le Conseil français du culte musulman. Il avait été récompensé.
Après ses discours sur la racaille et le Kärcher, j'avais appelé au respect, au dialogue. J'avais dit à Sarkozy qu'il ne pouvait pas tenir de tels discours s'il voulait devenir le Président de tous les Français. J'avais fait un travail de paix.
Et depuis son élection ?
Depuis 2007, il a été invité à de nombreux dîners-débats dans la communauté musulmane. Il n'est jamais venu. Moi je l'ai excusé en expliquant qu'il avait du travail, qu'il était très pris… Et tout le monde me répondait : « Mais il trouve bien le temps d'aller au dîner du Crif. »
Sarkozy donne l'impression qu'il établit une hiérarchie entre les communautés. Moi, j'ai passé huit ans à jouer les équilibristes pour le défendre. Mais là, il s'est définitivement coupé de la communauté musulmane.
Vraiment ?
Ecoutez, deux ministres ont gravement dérapé : l'un [Brice Hortefeux, ndlr] sur les Arabes, l'autre [Nadine Morano, ndlr] sur les « musulmans » qui parlent verlan et portent des casquettes. Il ne les a pas virés sur le champ, que je sache. Je le redis parce que c'est ma conviction : l'UMP est vraiment devenue la peste des musulmans. Et le Président tolère cette situation.
Que pense-t-il aujourd'hui sur l'intégration ?
Je ne sais plus. Il s'est éloigné des conceptions qu'il a toujours défendues : la discrimination positive, l'égalité des chances. En me rappelant à l'Elysée en janvier, après deux années où j'avais pris du champ, je pensais qu'il était revenu à ces idées-là. Il m'a d'ailleurs félicité pour toutes les initiatives prises depuis dans cette direction.
Mais je crains que la diversité ne l'intéresse plus qu'en vue de 2012. A sa demande, j'ai mis en place des comités de soutien à Lille, Lyon, Alger… J'ai regroupé les médecins de la diversité. J'ai aussi retissé des liens avec les Africains, avec les Chinois en créant le Conseil national des Asiatiques de France.
J'ai cherché à réconcilier le Président avec toutes les communautés. Il voulait renouer avec tous ces relais qu'il avait séduits entre 2003 et 2007. C'est fini. Je ne ferai plus le médiateur.
Photo : le minaret de la grande mosquée de Paris, en décembre 2009 (Charles Platiau/Reuters).

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