Yasmina Khadra vient de publier un roman ambitieux consacré au continent noir «L'équation africaine» (éd. Julliard). Le grand écrivain algérien s'interroge sur l'avenir du printemps du printemps arabe et de la démocratie en Algérie. Deuxième partie de l'interview.
Une rue commerçante d'Alger, mars 2011. © REUTERS/Louafi LarbiL'AUTEUR
SlateAfrique - Au Nigeria, les chrétiens et les musulmans s’affrontent. Dix ans après les attentats du 11 Septembre, le choc des civilisations est-il une réalité?
Yasmina Khadra - Le 11 Septembre n'est pas la référence principale, mais la preuve que nul n'est à l'abri de la haine. Ce ne sont pas les musulmans qui ont frappé l'Amérique, mais des «théopathes» qui auraient agi de la même façon s'ils avaient été chrétiens ou juifs. L'idéologie est la doctrine du malheur. Qui choisit d'y adhérer renonce à son âme et au bonheur des autres.
SlateAfrique - Quel est le sens de l’anniversaire du 11 Septembre?
Y. K. - Un anniversaire n'a de sens que lorsqu'il rappelle au commun des mortels la nécessité d'oeuvrer dans le bon sens et d'éviter que la tragédie devienne une banalité. Je vous rappelle que je suis Algérien et que mon pays déplore 200.000 morts et deux décennies de malheur et de clochardisation.
SlateAfrique - L’incompréhension entre les civilisations est un thème récurrent dans votre œuvre. Pourquoi? Est-ce le fait d’avoir connu la guerre civile en Algérie qui explique la récurrence de ce thème?
Y.K. - Pas obligatoirement. Depuis toujours, je suis intrigué par l'inaptitude de l'Homme à profiter de ses chances d'être en vie. J'essaye de lui démontrer la préciosité de ce qu'il considère comme une banalité et l'inconsistance de certaines de ses certitudes.
SlateAfrique - Vos premiers romans se déroulent en Algérie. Ils analysent la société algérienne. Avez-vous l’intention de consacrer d’autres romans à l’Algérie?
Y.K. - Je ne sais pas. Je crois avoir dit l'essentiel de ce que je prétends connaître de mon pays dans une bonne dizaine de romans. En vérité, j'écris sur profonde inspiration. Quand un sujet m'interpelle, il se confie à moi. Quand c'est moi qui le provoque, il se rétracte et me fuit comme la peste.
Y.K. - Parce que le mal n'a pas été cerné ni traité de façon raisonnable. On n'attendrit pas un crocodile en essuyant ses larmes. Le terrorisme, en Algérie, est un fonds de commerce et un divertissement pour ses acteurs. Devant la faillite d'une politique et la démission d'une société entière, la gangrène se poursuit. Il faut du courage et de l'honnêteté politique et intellectuelle pour venir à bout de l'intégrisme, et nous en manquons lamentablement.
SlateAfrique - Quel regard jetez vous sur le printemps arabe?
Y.K. - J'ai appris à ne pas chanter avant d'être sûr de ne pas déchanter. Le printemps arabe s'est déclaré 23 ans après le printemps algérien. Le nôtre a été fait de foudres et d'orages, et nos champs ont troqué leurs coquelicots contre des plaies et des mares de sang. Je préfère attendre au risque de dire des bêtises.
SlateAfrique- Comment analyser vous la chute de Kadhafi?
Y.K. - Bon débarras! Ce n'est qu'un tyran qui tire sa révérence. Le problème maintenant est de savoir quelles conséquences aurait la guerre civile libyenne sur l'hypothétique stabilité de la région où toutes les conditions d'un embrasement général sont réunies. Je suis très inquiet.
SlateAfrique - Un certain nombre de politologues considèrent que l’Algérie ne pourra pas échapper à des réformes, à une démocratisation du fait de l’impact des révolutions arabes. Est-ce votre opinion?
Y.K. - L'Algérie ne sait plus ce qu'elle veut ni comment se regarder au fond d'elle sans vomir. Je suis rentré le 4 septembre d'Oran. C'est comme si j'émergeais d'un mauvais rêve. Les élites algériennes pratiquent la politique de l'autruche et sont persuadées que le tort des autres est une absolution pour les leurs.
Y.K. - Pour construire une démocratie, il faut former une nation, ensuite la sensibiliser puis la responsabiliser. Avec qui? Avec des responsables corrompus, des intellectuels plus occupés à se descendre en flammes qu'à briller, des administrations pourries, des réformes bidons, des universités et des écoles sinistrées? Le miracle est un programme mûrement réfléchi et étroitement suivi, pas un coup de sort.
SlateAfrique - Les écrivains peuvent-ils et doivent-ils contribuer à ce processus de démocratisation?
Y.K. - Les écrivains ne sont que des personnes, plus subjugués par leurs images que par leurs idées. Certains sont sincères comme le sont des guichetiers ou des ingénieurs, d'autres sont de mauvaise foi aussi fascinés par le profit et la prédation qu'une phalène par la lumière. La littérature n'est qu'une vocation. Ce sont les gens de bonne volonté qui changent le cours de la fatalité. Ils pourraient être syndicalistes, instituteurs, artistes ou qu'illustres inconnus jusqu'au jour où ils décident de relever les défis.
SlateAfrique - Les intellectuels algériens ont-ils un poids réel sur la société. Les écrivains sont-ils écoutés par l’opinion publique et les décideurs?
Y.K. - Les intellectuels sont leurs propres ennemis. Dès qu'une tête émerge, ils se dépêchent de la décapiter. Pour vous faire une idée, allez sur les sites web algériens et voyez comment on me traite. Plagiaire, espion, ce n'est pas moi qui écris mes livres, et toutes les sornettes possibles et imaginables. Quand on est dans une telle paranoïa, on n’a aucune chance d'être utile aux autres, encore moins à soi-même.
SlateAfrique - La fiction peut-elle changer la vie en Algérie et ailleurs?
Y.K. - L'Algérie est déjà une fiction. Cependant, je pense qu'un bon écrivain pourrait réapprendre aux Algériens à rêver.
Propos recueillis par Pierre Cherruau
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Yasmina Khadra - Le 11 Septembre n'est pas la référence principale, mais la preuve que nul n'est à l'abri de la haine. Ce ne sont pas les musulmans qui ont frappé l'Amérique, mais des «théopathes» qui auraient agi de la même façon s'ils avaient été chrétiens ou juifs. L'idéologie est la doctrine du malheur. Qui choisit d'y adhérer renonce à son âme et au bonheur des autres.
SlateAfrique - Quel est le sens de l’anniversaire du 11 Septembre?
Y. K. - Un anniversaire n'a de sens que lorsqu'il rappelle au commun des mortels la nécessité d'oeuvrer dans le bon sens et d'éviter que la tragédie devienne une banalité. Je vous rappelle que je suis Algérien et que mon pays déplore 200.000 morts et deux décennies de malheur et de clochardisation.
SlateAfrique - L’incompréhension entre les civilisations est un thème récurrent dans votre œuvre. Pourquoi? Est-ce le fait d’avoir connu la guerre civile en Algérie qui explique la récurrence de ce thème?
Y.K. - Pas obligatoirement. Depuis toujours, je suis intrigué par l'inaptitude de l'Homme à profiter de ses chances d'être en vie. J'essaye de lui démontrer la préciosité de ce qu'il considère comme une banalité et l'inconsistance de certaines de ses certitudes.
SlateAfrique - Vos premiers romans se déroulent en Algérie. Ils analysent la société algérienne. Avez-vous l’intention de consacrer d’autres romans à l’Algérie?
Y.K. - Je ne sais pas. Je crois avoir dit l'essentiel de ce que je prétends connaître de mon pays dans une bonne dizaine de romans. En vérité, j'écris sur profonde inspiration. Quand un sujet m'interpelle, il se confie à moi. Quand c'est moi qui le provoque, il se rétracte et me fuit comme la peste.
L'influence du printemps arabe
SlateAfrique - Comment expliquez que l’Algérie connaisse toujours des attentats aussi meurtriers. La guerre civile est-elle réellement achevée?Y.K. - Parce que le mal n'a pas été cerné ni traité de façon raisonnable. On n'attendrit pas un crocodile en essuyant ses larmes. Le terrorisme, en Algérie, est un fonds de commerce et un divertissement pour ses acteurs. Devant la faillite d'une politique et la démission d'une société entière, la gangrène se poursuit. Il faut du courage et de l'honnêteté politique et intellectuelle pour venir à bout de l'intégrisme, et nous en manquons lamentablement.
SlateAfrique - Quel regard jetez vous sur le printemps arabe?
Y.K. - J'ai appris à ne pas chanter avant d'être sûr de ne pas déchanter. Le printemps arabe s'est déclaré 23 ans après le printemps algérien. Le nôtre a été fait de foudres et d'orages, et nos champs ont troqué leurs coquelicots contre des plaies et des mares de sang. Je préfère attendre au risque de dire des bêtises.
SlateAfrique- Comment analyser vous la chute de Kadhafi?
Y.K. - Bon débarras! Ce n'est qu'un tyran qui tire sa révérence. Le problème maintenant est de savoir quelles conséquences aurait la guerre civile libyenne sur l'hypothétique stabilité de la région où toutes les conditions d'un embrasement général sont réunies. Je suis très inquiet.
SlateAfrique - Un certain nombre de politologues considèrent que l’Algérie ne pourra pas échapper à des réformes, à une démocratisation du fait de l’impact des révolutions arabes. Est-ce votre opinion?
Y.K. - L'Algérie ne sait plus ce qu'elle veut ni comment se regarder au fond d'elle sans vomir. Je suis rentré le 4 septembre d'Oran. C'est comme si j'émergeais d'un mauvais rêve. Les élites algériennes pratiquent la politique de l'autruche et sont persuadées que le tort des autres est une absolution pour les leurs.
Le rôle des élites
SlateAfrique - L’Algérie est-elle mûre pour une démocratisation? Si oui, qu’est ce qui l’empêche d’avoir lieu rapidement?Y.K. - Pour construire une démocratie, il faut former une nation, ensuite la sensibiliser puis la responsabiliser. Avec qui? Avec des responsables corrompus, des intellectuels plus occupés à se descendre en flammes qu'à briller, des administrations pourries, des réformes bidons, des universités et des écoles sinistrées? Le miracle est un programme mûrement réfléchi et étroitement suivi, pas un coup de sort.
SlateAfrique - Les écrivains peuvent-ils et doivent-ils contribuer à ce processus de démocratisation?
Y.K. - Les écrivains ne sont que des personnes, plus subjugués par leurs images que par leurs idées. Certains sont sincères comme le sont des guichetiers ou des ingénieurs, d'autres sont de mauvaise foi aussi fascinés par le profit et la prédation qu'une phalène par la lumière. La littérature n'est qu'une vocation. Ce sont les gens de bonne volonté qui changent le cours de la fatalité. Ils pourraient être syndicalistes, instituteurs, artistes ou qu'illustres inconnus jusqu'au jour où ils décident de relever les défis.
SlateAfrique - Les intellectuels algériens ont-ils un poids réel sur la société. Les écrivains sont-ils écoutés par l’opinion publique et les décideurs?
Y.K. - Les intellectuels sont leurs propres ennemis. Dès qu'une tête émerge, ils se dépêchent de la décapiter. Pour vous faire une idée, allez sur les sites web algériens et voyez comment on me traite. Plagiaire, espion, ce n'est pas moi qui écris mes livres, et toutes les sornettes possibles et imaginables. Quand on est dans une telle paranoïa, on n’a aucune chance d'être utile aux autres, encore moins à soi-même.
SlateAfrique - La fiction peut-elle changer la vie en Algérie et ailleurs?
Y.K. - L'Algérie est déjà une fiction. Cependant, je pense qu'un bon écrivain pourrait réapprendre aux Algériens à rêver.
Propos recueillis par Pierre Cherruau
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