mercredi 27 février 2013

I-Algérie- Un Bouteflikagate en perspective ? Il est bien tard, Monsieur le procureur d'Alger...


Série de quatre articles. Un Bouteflikagate en perspective ? Pour la première fois, le sort d’une enquête sur un scandale algérien ne dépend pas de la justice algérienne mais d’une partie qui se joue sans les dirigeants algériens, sur laquelle ils n’ont aucune prise et dont les deux stars ne sont ni avant-centres ni barytons, ils ne s’appellent ni Ronaldo ni Caruso ni Pavarotti, mais Fabio De Pasquale et Sergio Spadaro et ils sont procureurs.
Première partie : Il est bien tard, Monsieur le procureur d'Alger...
Je lis le surréaliste communiqué du procureur général d’Alger jurant ses grands dieux, à propos du scandale des pots-de-vin italiens, d’ouvrir une enquête sobrement intitulée "Sonatrach 2" et d’étendre le champ des investigations aux personnalités algériennes cités par la justice italienne et je rends grâce à Milan l’éternelle. Pour nous Algériens, Milan a toujours été la cité où se joue le grand football et accessoirement la grande musique. Va, pensiero, sull’ali dorate…
Voilà que depuis quelques jours, Milan postule à devenir également la ville où pourrait se jouer un peu de notre destin. Il s’y déroule une investigation judiciaire qui perturbe le régime algérien et pourrait même contribuer – qui sait ? - à en finir avec lui. L’affaire porte sur des pots-de-vin (on parle d'une somme de 200 millions d'euros) qui auraient été versés en 2007, par des entreprises italiennes à de hauts responsables algériens de Sonatrach et du ministère de l'énergie en échange de l’obtention de trois marchés, dont celui de la réalisation du gazoduc GK3. L’un des principaux mis en cause de cette vaste escroquerie (qui en cache bien d’autres) n’est autre, en effet, que l’ancien ministre Chekib Khelil, très proche de Bouteflika, et la piste pourrait bien arriver à impliquer Bouteflika lui-même.
Pour la première fois, le sort d’une enquête sur un scandale algérien ne dépend pas de la justice algérienne mais d’une partie qui se joue sans les dirigeants algériens, sur laquelle ils n’ont aucune prise et dont les deux stars ne sont ni avant-centres ni barytons, ils ne s’appellent ni Ronaldo ni Caruso ni Pavarotti, mais Fabio De Pasquale et Sergio Spadaro et ils sont procureurs. Ces deux magistrats font peur aux tontons macoutes qui dirigent l'Algérie. De Pasquale et Spadaro sont décidés à aller le plus loin possible pour faire la lumière sur cette grande rapine qui a provoqué un véritable séisme en Italie. Des dirigeants de la filiale du géant ENI viennent d’être limogés et l'opinion publique suit avec attention cette nouvelle affaire de corruption dont elle redoute qu'elle n'ait des ramifications avec la mafia. Les fier-à-bras qui nous gouvernent sont terrorisés. Eux, n’avaient pas du tout considéré l’escroquerie sous cet angle. Bien au contraire : le clan Bouteflika avait réussi à la «relativiser» et donné instruction aux magistrats algériens de la qualifier de simple délit relevant de la correctionnelle ! Autrement dit, selon les solides traditions mafieuses qui sont en cours depuis 1999, faire en sorte qu’elle soit «dégonflée » petit à petit. Mais l’intrusion du duo De Pasquale – Spadaro a tout bouleversé. Le régime craint qu’ils n’arrivent au sommet de l’Etat algérien. Et s’ils convoquaient Bouteflika lui-même ? L’hypothèse n’est pas à écarter. Alors, au sein de l’Etat-crapule fuse le nouveau mot d’ordre : ne pas paraître à la traîne de la justice italienne, sauver la face et Bouteflika ! Sauver Bouteflika, y compris en sacrifiant Chekib Khelil et les acolytes. C’est tout le sens du communiqué surréaliste de notre procureur d'Alger. Sous la pression du duo de procureurs italiens, l'appareil judiciaire algérien, par le biais de la chambre d’accusation d’Alger a dû d’abord désavouer la décision du juge instructeur qui avait correctionnalisé dans sa totalité la dite affaire, et décidé de qualifier de «criminels» les faits. Le procureur général d'Alger agit en qualité de serviteur d'un Etat pas comme les autres, un Etat prédateur et hypocrite qui doit "sauver la face et Bouteflika". Ecoutez le ministre Yousfi blanchir gauchement les truands et les mandarins, lui qui n’a ni la malchance de faire partie des premiers ni la chance de compter parmi les seconds. "La justice est en train d'enquêter, soutient-il sans rire avant de jurer, toujours sans rire, que «les mesures nécessaires seront prises» et de clamer une forte vérité creuse : "Nous combattrons la corruption avec la plus grande détermination. Nous serons inflexibles dans ce domaine-là", oubliant que l’Algérie fait partie des vingt nations les plus corrompues de la planète.
Nous vivons le moment solennel où les serviteurs de l’Etat s’apprêtent à trahir l’Etat et les hommes en consentant au mensonge pour des raisons qu'ils croient supérieures. Mentir encore, Pour sauver le président cette fois-ci. Mentir encore, comme s’ils ne l’avaient pas fait assez, Mentir à l’unisson ! Charger Khelil pour disculper Bouteflika ! Ecoutez Benhachenou, qui n’est plus à présenter, soutenir que "Le président est mal entouré et mal conseillé, ayant plus de courtisans que de militants" L’ancien ministre qui a pour seconde nature de prendre les gens pour des cornichons, veut dire par là que Bouteflika est étranger à toutes les rapines qui se ont été commis à son nom. Il cherche à le disculper en tant que parrain de la famille mafieuse dont lui-même, Benachenhou, compte parmi plus brillants conseillers. Mais, alors, qui a fait venir Chekib Khelil en 1999 et imposé comme ministre contre l’avis du DRS où il était fiché comme déserteur pour n’avoir pas rejoint le maquis en 1957 ? Qui a couvert le scandale de la société mixte algéro-américaine, Brown and Root Condor (BRC) à qui Chekib Khelil avait confié, illégalement, vingt-sept projets pour un montant se chiffrant à plusieurs milliards de dinars ? Et qui a soustrait à la justice et évité la prison au chef de cabinet de Khelil, Mohamed Rédha Hemche, exfiltré d’Algérie vers Montreux, en Suisse avec une mise en retraite doublée d’un parachute doré de 8 millions de dinars et d’un placard doré, la filiale Sonatrach International Holding Corporation filiale (Samco) à Lugano ? Qui a couvert l’ancien président de l’Assemblée, Amar Saïdani, entendu par un juge de Djelfa pour avoir détourné des fonds publics à l’aide de sociétés-écrans ? Qui a protégé de la prison l’ancien wali Mohamed Bouricha, confondu au début de l’année 2005 de corruption, de dilapidation de deniers publics, d’usage de fonds étatiques à des fins personnelles, de trafic de terres agricoles et d’abus de pouvoir, a joui d’une incroyable impunité pour des délits impardonnables et avérés, mais jamais incarcéré ? Bien entendu, Brown and Root Condor, dirigée par Moumène Ould Kaddour, ne serait qu’une joint-venture entre Sonatrach et Halliburton, et Mohamed Rédha Hemche qu’un ancien diplomate véreux arrêté par la police française à Marseille en 1997 en possession de deux voitures volées, si l’un et l’autre, Moumène Ould Kaddour et Mohalmed Rédha Hemche n’étaient recommandés par la tribu de Hennaya dont ils sont natifs et qui a l’illustre privilège d’être le village natal du père de Bouteflika ; Amar Saïdani ne serait qu’un ancien joueur de gasba devenu président de l’Assemblée avant de découvrir l’art de faire les affaires s’il n’avait été président du Comité national de soutien au candidat Bouteflika lors de l’élection présidentielle de 1999 et de 2004 (sa société-écran s’appelle Al Karama, allusion à la formule du Président !) ; Mohamed Bouricha, originaire de Tlemcen, c'est-à-dire de la région chérie par la famille Bouteflika, ne serait qu’un fonctionnaire rattrapé par son avidité, un préfet inculpé pour corruption, dilapidation de deniers publics, d’usage de fonds étatiques à des fins personnelles, de trafic de terres agricoles… s’il n’avait été, lui aussi, président du Comité soutien du candidat Bouteflika en 1999 et 2004. Benachenhou le sait bien. Bouteflika agit en parrain et veille à l'impunité de ses "amis" Pour des délits dix fois moins graves, les Algériens anonymes ont passé cinq années d’enfermement !
Saâdani n’a jamais été jugé.
Il jouera même un rôle dans la décriminalisation de la corruption ! Car, monsieur Benhachenhou, Bouteflika "le mal conseillé", a fini par décriminaliser la corruption. Nous y reviendrons plus loin.
Mais retour à notre procureur d’Alger pour dire que c’est dans les graves moments où il doit rendre des comptes que l’Etat mafieux a, en effet, besoin que ses serviteurs se dépassent dans l’art de faire prendre les vessies pour des lanternes à l’opinion publique. Mentir, toujours mentir. L’inconvénient est que la chose exige du doigté dans la duplicité, de la virtuosité dans l’hypocrisie et, surtout, de la mémoire, ce dont, manifestement, notre procureur général semble dépourvu. Le preux magistrats jure avoir été tiré de son ignorance par un article dans un journal "faisant état de l'implication de personnalités algériennes dans des faits à caractère pénal et plus précisément de corruption lors de l'exercice de leurs fonctions au sein des institutions de l'Etat". On croirait volontiers à la légende du respectable père de famille se couchant le soir en magistrat aux ordres pour se réveiller le matin en magistrats libre si ce n’était ce fâcheux précédent qui fiche tout par terre : la dernière fois qu’un journal algérien a révélé «l'implication de personnalités algériennes dans des faits à caractère pénal et plus précisément de corruption», il a été lui-même condamné à des sanctions pénales par vos juges sur plainte de ces mêmes personnalités dont vous découvrez aujourd’hui qu’elles sont impliquées dans des affaires de corruption. J’étais alors en prison et on m’avait conduit devant vos juges pour répondre de «diffamation» à l’encontre de Chekib Khelil… celui-là dont le procureur d’Alger découvre les frasque aujourd’hui, dix ans plus tard ! Je fus condamné à trois mois de prison ferme ainsi que deux journalistes du Matin ! Trois mois de prison pour avoir révélé les agissements d’un certain Hemche, aujourd’hui recherché par vos soins, M. le procureur. Entre le pays et les délinquants, vos juges ont choisi les délinquants. Aujourd'hui, il est bien tard pour tout, pour les simagrées comme pour la corruption. Cela fait dix ans, mais il est au moins l'heure d'une question inévitable : qui a jugé non seulement recevable mais légitime la plainte du ministre Chakib Khelil au point d'envoyer en prison des journalistes pour avoir rapporté des faits que vous venez de vérifier dix ans plus tard ? Je vous passe les détails sur l’arrogance de ce ministre si infatué de sa personne et qui s’est permis de renvoyer une audience pour avoir, dixit, "le plaisir d’assister lui-même au procès et voir à quoi ressemble ce Benchicou qu’on ramène de prison"
Bien sûr, cela fait dix ans…C’est vieux, dix ans, et vous êtes surpris par le temps qui passe. Vous viviez alors le temps du mensonge et vous ne saviez pas que dans ce grand pays qui nous a donné et nous donne encore nos plus hautes leçons, mûrissaient des hommes et des femmes qui refusaient les mystifications à la mode et qui travaillaient, les dents serrées, à construire leur vérité contre les forces de destruction. Vous aviez mal jugé l'instant : il était celui où le rapport entre la peur et la répression s'inversait. L'instant où des milliers d'hommes acceptaient le risque de la douleur et de la mort mais en jurant qu'on ne les prostituera plus. Quand je lis la lettre de Hocine Malti au général Toufik, je retrouve un peu de ce serment-là. Voilà un homme du pétrole qui a vécu dans l'idée généreuse que les gisements serviraient à terrasser la misère de l'Algérien et qui, devant le pillage, refuse de se résigner à l’idée que le pétrole serve à l'achat de biens à l'étranger, à des soins à Genève, à des soirées arrosées et à tous ces marivaudages qu'autorise l'argent acquis facilement.. «Dans chacun des deux clans, vos affidés respectifs, mettant à profit la garantie d’impunité que vous leur assurez, se sont remplis les poches, ont garni au maximum leurs comptes en banque dans les paradis fiscaux –mais pas uniquement –, acquis des résidences somptueuses, dans les quartiers parisiens les plus chics notamment, des haciendas en Amérique latine, des palais à Abu Dhabi ou Dubaï, offert à leurs progénitures des voitures de luxe du dernier modèle qu’elles ont exhibées avec indécence dans les rues d’Alger pendant que d’autres ramassaient dans les décharges publiques de quoi se nourrir et nourrir leurs enfants.» Malti démontre que, sans doute, le temps du désarroi est lui même terminé, que les mensonges sont démythifiés et que le pillage comme la hogra qui s'appuyaient sur le mensonge, ne s'appuient plus, désormais, que sur elles -mêmes.
Mohamed Benchicou
Article suivant : 2. Le FLN, d'Abane Ramdane aux milliardaires de la tchipa
* Le titre de la série est emprunté, pour partie, à M. Malti.

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