Il n’a pas réussi…
Mais Bouteflika a brisé l'État hérité de Chadli, Boudiaf et Zéroual sans lui substituer l’État absolutiste laissé par Boumediène qu’il n’a jamais pu restaurer. Bouteflika croyait pouvoir ressusciter un État autoritaire, l'état de Boumediene, tout en négligeant la gouvernance, tout en méprisant les libertés et des autonomies que s'était octroyé la société et qui tournait le dos au pouvoir. Chérif Belkacem, vieux compagnon de l’actuel chef de l’Etat, avait prévenu : «Bouteflika ne pouvait se contenter du poste de président de la République. Il a voulu s’emparer de tous les postes, celui de ministre comme celui de député ou celui de maire. C’est pour cela qu’il n’y a plus aujourd’hui d’autorité nulle part, celle de l’État, celle du maire ou celle du ministre… Le pouvoir de Bouteflika n’est donc pas un vrai pouvoir personnel. C’est un pouvoir exalté, fumigène… Il n’y a même plus ce contrat moral qui liait tout le monde sous Boumediène, du président au sous-préfet et qui tenait lieu de régime. Il faudra résoudre ce problème d’autorité après le départ de Bouteflika» (in Bouteflika une imposture algérienne, M. Benchicou, 2004).
C’est un fait. Au cours des 14 dernières années, nous avons eu sous les yeux un État incohérent faiblement relié à une société faible. Cet état de choses n’est ni un dispositif démocratique ni un dispositif autoritaire. Pour dire les choses simplement, dans une démocratie, les gouvernants sont soumis aux gouvernés. À l’inverse, dans un régime autoritaire, les gouvernés sont soumis aux gouvernants. Dans la Russie d’Eltsine et dans l’Algérie de Bouteflika, la société et l’État se sont mutuellement tourné le dos, personne ne gouvernait et personne n’était gouverné. Cela reste vrai aujourd’hui. Quelques-uns se livrent au pillage, la plupart des autres restent sur la touche. La corruption des élites irresponsables s’est perpétuée d’année en année jusqu’à aboutir à ce scandale Chekib Khelil.
Il est vrai que ce n’est pas la résistance obstinée des forces démocratiques qui a empêché un véritable retour à l’autoritarisme dans l’Algérie de Bouteflika. Ces forces sont restées mal organisées, ne sont pas véritablement enracinées dans la société et sont fondamentalement inefficaces. C’est pour une tout autre raison qu’il a été difficile de créer un régime véritablement autoritaire en Algérie. Le principal obstacle au rétablissement d’un contrôle centralisé et tout-puissant a été la disproportion entre l’énormité des problèmes auxquels est confronté le pays et la faiblesse des outils et des ressources dont dispose le régime, après la déstructuration de l’État algérien après 1999 : crise massive de l’équipement, état catastrophique du système de santé, dégradation apparemment impossible à enrayer de l’infrastructure des transports, du système d’enseignement et des autres grands services publics, sans oublier les luttes fractionnelles auxquelles se livre l’élite politique et l’impossibilité d’imposer une discipline ou des objectifs communs à des bureaucrates atomisés et corrompus qui vivent de dessous-de-table et recourent à l’intimidation physique et à la violence pour capter et redistribuer à eux-mêmes et à leurs plus proches associés les richesses publiques et privées. Avec Bouteflika, nous sommes certes retournés en 1962, mais sans les vestiges de l’État colonial, même pas ceux de l’État Boumediene, même par ceux de l’État Zéroual. Nous sommes retournés aux 1962 mais avec un Bouteflika qui n’avait plus 25 ans mais 76, avec un pétrole qui ne représentait plus 52% des exportations mais 97%, avec un peuple qui ne croit plus en l’homme providentiel. Bouteflika n’a pas réussi à créer autour de sa gouvernance une sympathie populaire capable de l’installer au cœur d’un système fort, d’un état inébranlable.
L’Algérie de Bouteflika comme la Russie est un État faible non parce que ses dirigeants manquent de volonté politique, mais parce que ses possibilités de mobilisation de soutiens politiques sont limitées.
Comme Tchoubaïs…
En l’absence d’une idéologie susceptible de rassembler des partisans, les possibilités autoritaires du régime de Bouteflika ont donc toujours été limitées. C’est pourquoi Bouteflika est parti chercher ses soutiens auprès des barons de l’informel et de la pègre pétrolière. Chaque État qui désire diriger doit, en effet, avoir ce que Machiavel appelait des « amis » ou des soutiens politiques. Cela implique que tout État doit aussi, dans une certaine mesure, avoir ses favoris. Le choix consiste toujours à gouverner avec un groupe de partisans ou avec un autre. La Russie d’Eltsine et l’Algérie de Bouteflika ont fait le même choix. De quel côté Anatoli Tchoubaïs, l'homme fort sous Eltsine, s’est-il tourné en 1996 quand il a essayé de trouver des soutiens financiers pour Eltsine, qui voulait conserver la présidence face à la contestation de ce qui restait du Parti communiste ? Il ne s’est pas tourné vers des groupes bien organisés dont les intérêts auraient coïncidé avec le bien-être du pays, parce que de tels groupes n’existaient pas en Russie. Il a conclu un accord («prêts contre actions»)avec les réseaux prédateurs-redistributeurs qui mettaient le pays en coupe réglée. C’est le même chemin qu’a emprunté le président algérien. Bouteflika n’a pas opté pour l’Algérie qui travaille, même pas pour les patrons investisseurs avec qui le courant ne passe pas. Des gens qui pensent. Qui lisent. Et réfléchissent. Des gens qui ont des projets. Et qui peuvent, un jour, vous disputer le pouvoir. Au chap. 22, et avec la plus grande froideur, Machiavel parle des «cerveaux » et nous affirme qu’ils sont de trois types : «l’un comprend par lui-même, l’autre discerne ce qu’autrui comprend, le troisième ne comprend ni par lui même ni par autrui». Bouteflika préfère ces derniers, ce qui ne comprennent ni par eux-mêmes ni par autrui. Il déteste ceux qui comprennent par eux-mêmes. C’est un peu pour ça que les patrons investisseurs seront disqualifiés au profit des barons de l'informel.
Ce sont ces forces de moins en moins occultes qui constituent la base forte de Bouteflika et qui militent jusqu'au dernier souffle pour sa reconduction. Elles impriment leur mode de gouvernement, imposent des choix économiques extravertis (économie d'importation au détriment de l'investissement national, économie informelle au détriment de la production nationale…) Elles favorisent l'économie douteuse, l'accumulation des capitaux non déclarés, la spéculation, l'absence de transparence, la corruption, du népotisme économique… Elles ont aujourd'hui acquis la possibilité de promulguer des lois et d’en bloquer d'autres.
Ce serait cette mafia, et elle seule, qui profiterait d’un quatrième mandat, comme nous le verrons dans la prochaine partie. Les présidentielles seraient alors les funérailles de l’Algérie.
Ce serait cette mafia, et elle seule, qui profiterait d’un quatrième mandat, comme nous le verrons dans la prochaine partie. Les présidentielles seraient alors les funérailles de l’Algérie.
M.B.
A suivre
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