lematindz a publié une série d’articles sur les risques que fait peser sur le pays, le quatrième mandat que cherche à arracher l’actuel président défaillant Abdelaziz Bouteflika.
Qui a dit que le cinéma est mort avec Bouamari ? Ici, et c’est même notre chance et notre privilège, ici on jouit en toutes saisons de notre propre cinéma perpétuel, celui-là qui nous tient lieu, depuis 1999, de diplomatie et de stratégie en direction du monde. En 2013, le succès qui s’annonce c’est "Révision de la Constitution", un chef d’œuvre dit-on, inspiré de Hara-kiri, la mort d’un Samouraï, et dans lequel notre gouverneur bien-aimé joue à être Hanshiro, le samouraï déchu qui caresse l’idée d'accomplir le suicide rituel.
"Il n’y a aucun tabou", a prévenu le lieutenant Sellal, comme pour confirmer que le régime va réellement s’ouvrir le ventre en direct ; autrement dit, se dissoudre au profit d’un autre, démocratique et transparent dès cette année 2013. Une scène du film montre même l’empereur dans un émouvant mea culpa à Sétif où il a lâché cette formule qui fera date : "Tab Djnana !". On ignore de quoi parlait l’empereur mais l’évènement a fait dire et écrire toutes sortes de sottises aux chroniqueurs de la cour, encouragés, il est vrai, par une mystérieuse gorge profonde d’un obscur conseiller du palais impérial qui laissa traîner la confidence selon laquelle l’empereur renoncerait à poursuivre son règne du fait que "la situation n’est pas rassurante". C’est qu’ils sont encore quelques-uns à croire fermement aux fictions produites par la cour impériale. L'une des forces de notre cinéma réside, en effet, dans la virtuosité scénaristique. Rappelons-nous, à propos du chômage, en 1999, avec quel talent notre président nouvellement élu, se répandait ainsi sur les ondes étrangères : "Nous sommes en train de prendre des mesures de politiques interne et externe pour redonner toutes ses chances à l’Algérie, à son peuple et, du même coup, redonner l’espoir aux sans-emploi d’aspirer légitimement à un travail, aux sans domicile fixe de réaliser leur rêve de posséder enfin un toit...". Quatorze ans plus tard, une manifestation des chômeurs d’Ouargla, de pauvres bougres qui ne connaissent rien au cinéma, vint nous ramener à votre triste condition : le chômage a triplé de volume depuis cette généreuse déclaration. C’est ça, l’ennui avec le cinéma, il arrive toujours le moment où l’écran redevient blanc et où la lumière nous expulse vers la dure réalité. C’est comme cette information cueillie sur le site Tout sur l’Algérie et selon laquelle l’armée algérienne, par le biais des services de sécurité (DRS), va enquêter sur les marchés passés par l’administration du "civil" Bouteflika, celui-là à qui furent confiés les clés de la maison en 1999 parce que réputé plus probe et plus compétent que les militaires.
Nos officiers devaient rentrer en 1998 définitivement à la caserne à la tête d’une armée de combattants professionnels aguerris dans la traque du terroriste ; les voilà qui reviennent, en 2013, par la fenêtre, à la tête d’une armée de comptables rodés dans la traque du pot-de-vin. Tant pis pour le panache ! Il s’agit rien moins que de passer au crible les innombrables contrats conclus par Sonatrach durant ces 14 dernières années où la maison était occupée, afin d’évaluer le montant des surfacturations qui auraient servi, aux sociétés étrangères, à verser les faramineux pots-de-vin aux intermédiaires. Et comme si les livres de Sonatrach ne suffisaient pas, on apprend que l’armée de comptables a aussi pour mission d’éplucher les marchés passés par Sonelgaz ainsi que tous les gros contrats publics signés lors des derniers trois mandats, notamment ceux conclus pour la réalisation de l’autoroute Est Ouest, des logements, les chemins de fer, les barrages et les transferts d’eau…
Performance sans précédent
Pourquoi donner les clés de la maison au voleur pour ensuite passer ses soirées dans le plaisir inégalable de recenser ce qu’il a volé dans la journée ? C’est à cette façon de se compliquer la tâche que l’on reconnaît les grands décideurs.
Et puis, à quoi bon enquêter sur la corruption, puisqu’en vertu du cinéma national, elle est abolie depuis 14 ans, depuis que le gouverneur eût annoncé être venu effacer la corruption"avec l’eau de javel" et averti de leur fin proche "les bandits devenus gouvernants et les gouvernants devenus bandits" (El Watan du 31 octobre 2009) ? L’envolée lyrique de juin 1999 restera d’ailleurs dans les annales cinématographiques du pays : "L’Algérie est une terre marécageuse et polluée. Elle a besoin d’être nettoyée d’abord, ensuite travaillée par des hommes intègres (…) Chez nous, les bandits sont devenus des gouvernants et les gouvernants des bandits (…) Je suis venu effacer tout cela avec l’eau de Javel ...". Quatorze années plus tard, l’affaire Chekib Khelil, venant après l’affaire Bouricha, l’affaire Khalifa, l’affaire Saïdani et tant d’autres, vient nous rappeler qu’il a utilisé le mauvais produit. C’est malin ! Mais revenons au film Hara-kiri, la mort d’un samouraï, dédié à la révision de la constitution algérienne, pour préciser qu’en réalité, l’empereur, qui ne tient aucunement à connaître le sort de Hanshiro, s’est plutôt laissé séduire par le "hara-kiri pantomime" du samouraï simulateur Motome, un imposteur venu dans l'espoir d'être embauché. Réviser la constitution, c’est juste pour rire, pour le fun, pour faire démocrate, parce qu’il le faut, voyez-vous, faire démocrate aujourd’hui que le respect des droits de l’homme, du peuple et tutti quanti sont devenus source de légitimité. Il ne faut quand même pas oublier que notre empereur a changé la constitution pour la remettre à l'heure de l'autocratie ; il ne va quand même pas, cinq ans plus tard, être l'homme qui va la restituer à la démocratie ! Il est, d'ailleurs, après cet acte, l'auteur d'une performance sans précédent dans l'histoire : ce fut sous le règne d'un général de l’armée algérienne que la Constitution fut modifiée pour abolir le pouvoir à vie et limiter le nombre de mandats présidentiels à deux mandats (art.74) ; ce fut sous le règne d'un"pouvoir civil" que la constitution fut modifiée pour rétablir pouvoir à vie !
Messie et Messi !
Il faut dire, à la décharge de l'empereur, qu’il ne reconnaissait plus, en 1999, le pays qu’il avait laissé en 1979. La constitution, élaborée en 1976, avait changé en 1989 puis en 1996 et prescrit désormais l’alternance au pouvoir ; le FLN n’était plus seul "représentant du peuple", d’autres partis autonomes ayant été autorisés à activer ; il existe, désormais, une presse libre et des syndicats libres ; la société, mobilisée contre le terrorisme, affiche une certaine vitalité… Sur Europe 1, il annonça la couleur : "J’ai laissé le pouvoir de Franco, je retrouve celui de la reine d’Angleterre. Il me faut récupérer d’abord mes attributions constitutionnelles qui ont été dispersées à partir de 1989, il faut que je reprenne mon rôle présidentiel" (Europe 1 le 7 septembre 1999). Traduisez : effacer octobre 1988, se réapproprier les leviers de commande, restaurer l’État autocratique dans lequel il a mûri. Donc étouffer celui qu’il a trouvé.
Rappelons pour ceux qui croient encore au Père Noël et au cinéma, que l’empereur n'était pas venu pour gouverner mais pour prendre une revanche sur l'histoire. C’est, du moins, ce qu’il a dit sur Europe 1 devant Jean-Pierre Elkabach. : "J’aurais pu prétendre au pouvoir à la mort de Boumediène, mais la réalité est qu’il y a eu un coup d’État à blanc et l’armée à imposé un candidat." Il parlait de la succession dans le cadre de la famille fondatrice du pouvoir illégitime, celle qui a fait le putsch de 1962 qui a privé le peuple algérien de l’expérience démocratique. "Boumediène m’a désigné comme son successeur par une lettre-testament qu’il a laissée avant sa mort. Cette lettre se trouvait à un moment donné aux mains d’Abdelmadjid Allahoum. Qu’est devenue cette lettre ? Je voudrais bien le savoir, car je l’ai vue cette lettre !"
Quand il posa, avec détermination, en octobre 1999, cette question à Khaled Nezzar, le général en est resté stupéfait, si tant est qu’il reste des choses qui l’étonnent encore dans ce pays lui qui, ne l’oublions pas, reste l’un des maîtres d’œuvre du cinéma national qui avait, en 1999, servi à maquiller la forfaiture : ils voulaient juste leur homme à la tête de l’Algérie ; ils l’ont camouflé dans un costume de civil providentiel. Il ne suffisait pas de fourguer un stéréotype assassin, un truisme empoisonné, un poncif traître : le mirage du "civil". "Nous connaissions les pages pas très nettes de son passé, mais nous n’avions pas le choix et nous restions attentifs", écrit Nezzar dans Bouteflika, un homme un bilan (Edition Apic, 2003). "Il sait dribbler", aurait dit le général Médiène au docteur Youcef Khatib, candidat à la présidentielle de 1999.
Il ne leur suffisait pas d'un Messie ; il leur fera lui aussi un Messi !
M. B.
À suivre
Prochain article : la roulette russe
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