Le DRS enquête-t-il sur la corruption de l'administration Bouteflika dans le but de fermer la parenthèse Bouteflika qui a compromis l’avenir des futures générations ou dans la perspective de "renégocier" avantageusement un nouveau bail pour l’actuel président et son équipe?
En théorie, la question ne devrait pas se poser : ajouter cinq autres années à une équipe qui a dilapidé l’argent du présent et celui du futur, relèverait de la démence. En 14 ans, Bouteflika aura épuisé les réserves pétrolières sans doter la maison Algérie d’une économie diversifiée pouvant prendre la relève du pétrole et du gaz naturel. Déjà, nous apprennent les Douanes algériennes, l’heure approche où nous n’aurons plus d’argent pour acheter notre subsistance à l’étranger : au premier trimestre 2013, les exportations de pétrole et de gaz ne couvraient nos importations qu’à hauteur de 160% contre 190% au premier trimestre 2012.
Autrement dit, s’il fallait, en 2012, dépenser environ la moitié des recettes pétrolières pour payer nos fournitures à l'étranger, il en faut, en 2013, dépenser presque les deux-tiers ! Dans cette Algérie qui ne produit rien pour sa population, l'approvisionnement à l'extérieur coûte de plus en plus d'argent, (au premier trimestre 2013, l’Algérie a importé pour 12,7 milliards de dollars contre 10,66 milliards de dollars pour la même période en 2012). En 14 ans, Bouteflika n'a pas augmenté d'un iota nos exportations hors hydrocarbures : durant le premier trimestre 2013, les produits bruts et les biens d’équipements industriels n’ont représenté que 0,16% et 0,03% de la structure globale des exportations algériennes. Le drame, et que cette politique aveugle, a été mis en œuvre au profit de la mafia de l’import et de la pègre pétrolière internationale (voir nos précédentes parties)
Le quatrième mandat de Bouteflika ne relève donc plus du débat politique mais d'une question de vie ou de mort d'une nation. Il s'agit, impérieusement, de désigner un chef capable d’un miracle : sauver, sans grands moyens, un pays condamné à mort, où il ne reste plus grand-chose pour les générations à venir, où les hydrocarbures ont été si outrageusement pompées qu’il ne devrait plus rien rester dans le sous-sol d’ici dix ans, date à laquelle nous serions 50 millions d’Algériens, tous, théoriquement, voués à la misère et au chômage. Le prochain président aura moins d’argent à dépenser. Les exportations de l’Algérie commencent d’ailleurs à décliner puisqu’elles ont atteint 20,30 milliards de dollars durant le premier trimestre 2013, contre 20,72 mds usd durant la même période de l’année écoulée, soit une baisse de 2,04%, selon les chiffres des Douanes algériennes). En même temps, l’Algérie n’a pu dégager, au cours du premier trimestre 2013, qu’un excèdent commercial de 7,63 milliards de dollars contre 10,06 milliards de dollars pour le premier trimestre 2012, soit baisse de plus de 24%.
Bouteflika aura été le dernier chef d’Etat algérien à avoir bénéficié d’une manne financière providentielle. Il en a fait l’usage le plus catastrophique. Comment penser lui permettre un quatrième mandat ?
Ceci pour la logique.
Mais le DRS, en tant que fragment d’un système qui s’écroule, fait-il forcément la même lecture ? Le DRS a-t-il une existence possible en dehors de ce système ? Peut-il vraiment précipiter la fin du contexte qui l’a vu naître et se projeter dans un système démocratique qui lui est étranger ? Ce qui, aujourd'hui, alarme et irrite les chefs de l'armée et le DRS, est-ce tant l’irresponsabilité du pouvoir de Bouteflika que le fait que cette irresponsabilité ne soit pas assise sur des bases consolidées, c'est-à-dire sur un régime réellement fort ? Les éléments les plus lucides au sein du DRS comprennent que le pouvoir de Bouteflika ne dispose plus d’aucun moyen de redresser la situation ni de perpétuer l’ancien système ni même de pouvoir survivre à une réaction populaire, Bouteflika ayant tué l’État algérien hérité de Zéroual sans réussir à le remplacer par un autre Etat hégémonique de type boumediéniste ou même "bouteflikien". Après trois mandats de Bouteflika, le DRS vient de saisir que le démantèlement de l’Etat sous Bouteflika l’a aussi considérablement affaibli en tant qu'institution sécuritaire qui est composée d'individus concrets, voire de groupes, et dont les intérêts ne coïncident déjà plus avec les intérêts de l'administration Bouteflika pour la raison essentielle que ce dernier dirige un État incohérent faiblement relié à une société marginalisée. En tant que fragment de l’ancien système, le DRS regrette sans doute le temps où le FLN, parti unique, imposait sa discipline et son encadrement à la société, assurant une certaine coordination à tous les rouages du système bureaucratique et des appareils économiques, sociaux et culturels.
Cette architecture, Bouteflika l’a brisée en voulant exercer un impossible pouvoir personnel. "Bouteflika a voulu occuper tous les postes, du président jusqu’au maire de village, avait constaté en son temps, Chérif Belkacem : Le problème qui est majeur pour moi, c’est que, depuis l’Indépendance, nous ne sommes pas en face d’un pouvoir personnel ou d’une dictature, éclairée ou non, mais d’un pouvoir débridé : on nomme quelqu’un et le voilà qui érige son propre tempérament en mode de gouvernement. C’est cela le mal de l’Algérie. Le pouvoir de Bouteflika n’est donc pas un vrai pouvoir personnel. C’est un pouvoir exalté, fumigène… Il n’y a même plus ce contrat moral qui liait tout le monde sous Boumediène, du président au sous-préfet et qui tenait lieu de régime." Quand l'ex-colonel du DRS Chafik Mesbah déplore que l'Algérie ne possède plus de diplomatie, il exprime l'avis courroucé de la hiérarchie militaire qui ne se retrouve plus dans un système autrefois cohérent, où elle disposait de relais au sein de l’État, notamment d’une diplomatie forte, et qui n’est plus aujourd’hui, qu’une politique de relations extérieures sans envergure, dépendante des caprices autocratiques d’un seul homme. Bouteflika a vampirisé la diplomatie algérienne, la plaçant, d’autorité, sous sa seule coupe, l’orientant selon ses humeurs, avec toutes les conséquences sur l’action de l’Algérie à l’étranger. Les revers subis dans la région du Sahel, par l’État algérien (et par le DRS !) sont essentiellement dus au désengagement de Bouteflika de l’Afrique subsaharienne qui reste l’unique profondeur stratégique réelle de l’Algérie. Le chef de l’État n’a pas effectué une seule visite officielle bilatérale en Afrique depuis 1999, n’étant obnubilé que par la France, où il s’est rendu 11 fois ! Bouteflika n’a même pas reçu à Alger plus de cinq chefs d’État africains en 14 ans de pouvoir, précise Abdelaziz Rahabi, ancien ministre. "Avant lui, Chadli Bendjeddid avait compris qu’un pays si immense soit-il ne pouvait prétendre à une place sur la scène internationale que s’il portait une profondeur respectable. C'est pourquoi on avait institué près de 200 commissions mixtes de coopération économique, scientifique et technique, attribué près de 8 000 bourses d’études, effectué 37 visites officielles bilatérales et reçu à Alger 47 chefs d’État africains. C’est comme ça que l’Algérie était devenue respectable et respectée, considérée en Afrique, mais aussi dans le monde, et c'est ainsi que Chadli Bendjedid avait pu réaliser la seule visite d’État aux USA, à ce jour, d’un chef d’État algérien. Aujourd’hui, l’Algérie de Bouteflika s’est faite ignorer par les Etats africains et mépriser par les grands de ce monde."
Alors on ne sait plus si c’est l’irresponsabilité de Bouteflika qui fâche le DRS ou le fait que cette irresponsabilité ne soit pas assise sur des bases consolidées, c'est-à-dire sur un régime réellement fort, comme c’était le cas il y a 20 ans. On peut supposer que ceux parmi les plus avisés des responsables militaires et les plus clairvoyants parmi les décideurs dans les services de renseignement sont arrivés à la conclusion que l’exercice du pouvoir personnel semblable à celui que cherche à imposer Bouteflika, n’est plus une solution à la décadence et au déclin d’un système. Bouteflika n’a pas les moyens de son autoritarisme. Tout le drame est sans doute là, pour les chefs militaires et les nouveaux dirigeants du DRS qui ont saisi que l’Algérie de Bouteflika est un État faible non parce que ses dirigeants manquent de volonté politique, mais parce que cet État est coupé de la société et que ses possibilités de mobilisation de soutiens politiques sont limitées. Au cours des 14 années qui se sont écoulées sous son régime, Bouteflika et le DRS ont mis en scène des rituels démocratiques sans se montrer réellement désireux de consulter les forces respectueuses des lois de la société civile, comme si nous vivions encore au temps du parti unique. Aujourd’hui, le système FLN a vieilli, il décline, l’Algérie a changé, le monde a changé et la façon de perpétuer l’ancien système épouse, forcément, d’autres formes que par le passé. Tant que cela a été possible, le DRS a toujours perpétué l’ancien système par des moyens plus ou moins inavouables. L’objectif a toujours été de tenir à distance les tenir à distance les adversaires du système unique et de neutraliser les stratégies rénovatrices. L’islamisme et le terrorisme ont contribué, par la suite, à "rapprocher" le loup et l’agneau, "unis" face aux mêmes ennemis. Mais aujourd’hui, avec la suprématie des opinions publiques en Occident, avec l’obligation de respecter des droits humains et des normes de gouvernance sans lesquels il n’y a pas de certificat de légitimité, il n’est plus possible de perpétuer l’ancien système avec les mêmes anciennes méthodes. Il faut tenir compte des aspirations nouvelles d’une société qui s’autonomise. Cela, Bouteflika, ne semble pas l’avoir compris, qui s’obstine à prétendre régner selon les règles du bon vieux temps, absorbé par l’exercice du pouvoir absolu, qui n’a aucune conscience du chaos qui se prépare, insouciant de la formidable "accélération de l’histoire qui promet de balayer toutes les dictatures" et dont Ali Yahia Abdenour dit qu’il serait "prêt à sacrifier la patrie pour lui-même".
Alors, se débarrasser de Bouteflika ? Pas sûr. D’abord parce que ce dernier reste, malgré tout, pour un DRS issu du système ancien, un membre de la "fratrie naturelle", un militaire civil d’apparence, un civil à l’âme militaire, l’enfant d’une relation intime qui en fait toujours un "filleul de l’Armée". Pour tout cela, une partie de l’establishment militaire est tenté de considérer que Bouteflika reste préférable aux têtes inconnues et "non maîtrisables". Ensuite, parce que l’initiative politique mais sans doute plus qu’elle était, entre les seules mains du DRS. Le Front de libération nationale (FLN), parti au pouvoir, celui qui adoube le futur chef de l’État, est otage des milliardaires de l’import et de l’économie informelle alliée à la pègre pétrolière internationale. Leur influence est plus redoutable qu’on ne le croit. Ils disposent de l’argent, des réseaux et de troupes de baltaglias prêtes à tout. Ils ont surtout des pans entiers de l’État qu’ils ont corrompus et qu’ils peuvent manœuvrer à loisir. Ces morceaux de souveraineté, ajoutés à la kleptocratie (gouvernement de voleurs) forment le système Bouteflika soudé autour de la prédation, bloc uni par la forfaiture et qui possède les trois conditions nécessaires pour remporter une élection sous un système perverti : l’immoralité, l’argent et l’obligation de vaincre.
Aujourd’hui, tout semble indiquer qu’il y a statu quo entre les deux camps. Le camp qui porte la candidature de Bouteflika est suffisamment fort pour éviter que le FLN le temps entre les mains des "redresseurs" (contestataires) mais pas assez pour imposer son candidat, Amar Saadani, ancien président de l’Assemblée nationale, ancien président du comité national de soutien au candidat Bouteflika et, surtout, un kleptocrate soupçonné de graves détournements de fonds publics.
Du coup, on imagine fort bien le DRS enquêtant sur la corruption de l'administration Bouteflika dans celui de "renégocier" un nouveau bail pour la camarilla, mais aux conditions du DRS. Lesquelles ? Réformer, lâcher du lest. Démocratiser. La seule manière de préserver les fragments de l’ancien système. C'est pourquoi on annonce pour l’automne 2013, une réforme de la constitution allant dans le sens d'une plus grande ouverture démocratique. Le général Nezzar a formulé l’an dernier, lors des consultations de la commission Bensalah, ce qui semble être le nouveau cahier des charges démocratique de l’armée algérienne. Pour lui, la prochaine constitution doit garantir la pérennité du caractère républicain et démocratique de l’État, l’organisation de l’alternance au pouvoir, l’inviolabilité et la protection des droits de l’opposition et de la minorité parlementaire dans un climat de paix civile, le respect de la liberté d’expression et des libertés publiques, le droit de manifester pacifiquement… Cela avait suffi pour soulever l’enthousiasme de Miloud Brahimi et Farouk Ksentini, deux avocats avisés et qui suggèrent de confier la protection de la constitution à l’armée, selon le modèle turc. Soit. Mais alors, cela l’oblige, cette armée, à mettre fin à toutes ses comédies. La comédie de l’armée "neutre". La comédie de l’armée "dépolitisée". L’Armée ne peut prétendre rentrer dans les casernes sans avoir rétabli ce qu’elle a démoli en 1962 : le rêve d’un Etat démocratique, qui soit débarrassé de Bouteflika, de la police politique, de la kleptocratie… On ne protège pas une maison sans l’avoir restituée à ses propriétaires sauf à vouloir non pas protéger la maison des voleurs mais protéger les voleurs qui sont dans la maison.
C’est à ce prix que notre armée peut prétendre à la similitude avec l’armée turque.Certes, Mustafa Kemal était un général et, comme en Algérie, ce sont les militaires qui gagnèrent la guerre d'indépendance. Mais en Turquie, ils fondèrent le nouvel Etat-Nation ! En Turquie, l’armée est depuis la fin de l'Empire ottoman, un facteur de modernisation et cette vocation modernisatrice n’a pu se confirmer qu’après la fondation du nouvel Etat, de la République par Mustafa Kemal. Aujourd’hui l’armée turque protège un socle démocratique pérenne bâti sur trois principes le laïcisme, le républicanisme et le nationalisme, considérés par l'armée comme le fondement du kémalisme.
L’armée algérienne a voulu être dépolitisée en 1999, sans avoir "reconstruit" ce qu’elle avait démoli : l’ambition démocratique du peuple algérien. Tant qu’elle ne le fera pas, elle sera toujours appelée à sortir de la caserne pour remettre de l’ordre. C’est ce qu’a compris l’armée turque dont le coup d'Etat du 27 mai 1960 fut en fait la première intervention majeure dans la vie politique depuis la fondation de la République. Ne paniquons pas : l'interruption de la vie démocratique fut de très courte durée car l'objectif de ce coup d'Etat était d'établir un système plus libéral et plus démocratique que le précédent. Le premier souci des militaires qui prirent alors le pouvoir fut d'inciter des professeurs de droit constitutionnel à préparer une nouvelle constitution démocratique.
Et que nos généraux n’oublient pas : on voulait, dès le XIXe siècle que l’armée ottomane devienne une armée dépolitisée et elle parvint à l'être pendant une cinquantaine d'années. En 1876, pourtant, c'est grâce à l'appui d'une fraction de l'armée que le Sultan conservateur qui brimait les intellectuels put être destitué pour être remplacé par une monarchie constitutionnelle. Ce fut ainsi que le rôle de l’armée allait devenir primordial dans la préparation de la révolution Jeunes Turcs en 1908 qui ouvrit une seconde période de monarchie constitutionnelle.
Comment s’appelait le sultan déchu ? Le sultan Abdelaziz.
Ça ne s’invente pas comme dirait Miloud Brahimi.
Mohamed Benchicou
FIN
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