Mais alors, puisque nous sommes retournés en l'an de grâce 1962 par la magie de la machine à remonter le temps, par la stratégie suicidaire des chefs militaires, n'est-ce pas là l'opportunité historique, pour l'armée algérienne de refermer définitivement la parenthèse sur les 50 années écoulées et de refaire le chemin, cette fois-ci dans le bon sens ? N'est-ce pas là, l'occasion de reprendre les clés de la maison à la camarilla qu'elle a appelée «pouvoir civil », chasser les mafieux de la maison et organiser, enfin, une transition vers la démocratie, ce que nous appellerons une pause démocratique au terme de laquelle sera rétablie la primauté du choix populaire, c'est-à-dire rendre enfin les clés au vrai propriétaire : le peuple algérien ?
Nous aurons donc fait la boucle.
1962. L'indépendance est usurpée par un clan dit «clan d'Oujda» ou «groupe de Tlemcen», à la tête duquel on trouve l'Etat-major général dirigé par Boumediene qui s'empare du pouvoir en installant un président «de paille», Ahmed Ben Bella. Parmi les têtes marquantes de ce groupe putschiste, Abdelaziz Bouteflika alors âgé de 25 ans. C'est le début du règne d'un système policier et militaire qui durera jusqu'aux événements d'octobre 1988.
1989. Le système hérité de l'indépendance vacille. Le parti unique cède la place au pluralisme. S'ensuivit une période de transition démocratique viciée par l'islamisme et le terrorisme. Chadli Bendjedid, qui avait succédé à Boumediene, démissionne. Les militaires,font appel à Boudiaf qui mourra assassiné.
1994. Les militaires décident de solliciter Abdelaziz Bouteflika. Ce dernier refuse du fait que les conditions d'un pouvoir absolu n'étaient pas encore réunies dans cette Algérie animée par une forte société civile. L'armée exerce alors le pouvoir directement parle biais du général Liamine Zéroual qui sera élu président par un vote massif en 1995.
1998. Virage brutal : l’Armée déclare ne plus vouloir être au centre du système politique et va accélérer le départ du commandementmilitaire, pousser le général Zéroual à la démission et fabriquer de toutes pièces le fameux "transfert du pouvoir aux civils".
1999. Transfert du pouvoir aux civils. Le civil ? Abdelaziz Bouteflika, ancien capitaine forgé aux pronunciamientos, à la fois leproduit et l’artisan des principaux coups d’État qui ont installé le pouvoir militaire aux dépens de la légitimité des urnes. Il estélu président de la république à la suite d'une mascarade électorale.
2010-2013. Le pouvoir civil de Bouteflika est secoué par d'immenses scandales financiers. Les hommes proches de Bouteflika sont citéspar la justice, en fuite ou mise à l'écart. On s'aperçoit que le transfert de souveraineté à un «pouvoir civil» s'est transformé en transfert de pouvoir aux groupes mafieux, barons de l'informel et pègre pétrolière, et qu'il a généré un «pouvoir irresponsable» quifait planer les pires menaces sur le pays. Bouteflika restera dans l’histoire comme le président sous le règne duquel ont été commisles plus grands pillages de fonds publics. Durant les trois mandats du «pouvoir civil» de Bouteflika, il a été détourné l’argent duprésent et celui du futur. Personne n’a une idée exacte de l’ampleur du larcin. La justice italienne enquête. Le DRS, services de renseignements algérien, décide d'une grande investigation dans les contrats internationaux conclus par l'administration Bouteflika.
Retour à 1962. Nous avons bouclé la boucle à nos dépens : en intronisant Bouteflika, l'armée avait remis les clés de la maison auclan des putscistes de 1962 au lieu de les remettre au vrai propriétaire, le peuple algérien, qu'elle a dépossédé d'une expériencedémocratique à l'indépendance.
Mais alors, puisque nous sommes retournés en l'an de grâce 1962 par la magie de la machine à remonter le temps, par la stratégie suicidaire des chefs militaires, n'est-ce pas là l'opportunité historique, pour l'armée algérienne de refermer définitivement laparenthèse sur les 50 années écoulées et de refaire le chemin, cette fois-ci dans le bon sens ? N'est-ce pas là, l'occasion de reprendre les clés de la maison à la camarilla qu'elle a appelée «pouvoir civil», chasser les mafieux de la maison et organiser, enfin, une transition vers la démocratie, ce que nous appellerons une pause démocratique au terme de laquelle sera rétablie la primauté du choix populaire, c'est-à-dire rendre enfin les clés au vrai propriétaire : le peuple algérien ?
Il faut nettoyer la maison avant toute élection électorale. La camarilla l'a complètement réaménagé selon les nécessités du pouvoir à vie.Dans les conditions actuelles de délabrement de l'État, d'hégémonie du camp de la corruption, solide et organisé, et qui n'entend passe laisser faire, dans le contexte présent marqué par l'indifférence totale de la population, des élections présidentielles sesolderaient par le renouvellement d'un autre bail de cinq ans pour les prédateurs. C'est ce que nous avons appelé « l'illusionBenbitour », qui n'est pas une formule pour contester ou diminuer du mérite de ce patriote précieux pour l'Algérie, mais une façon de mettre en garde contre cette euphorie, souvent irrésistible, qui nous porte à croire à la victoire de la vertu sur le vice,de la morale sur le clanisme, de la science sur l'improvisation, du savoir sur l'ignorance, voire du patriotisme sur le népotisme... Qui ne souhaiterait, pour ses enfants, qu'un Benbitour ou un autre fils digne de cette terre, soit à la tête de ce pays blessé, vidé de son sang ? Elle-même le demande, elle qui est fatiguée d'être commandée par des barbouzes proxénètes. Mais suffit-il de le vouloir pour dépasser notre vieille impuissance de 50 ans ? Dans ce système cadenassé, où l'élite est volontairement coupée de son peuple, ou la télévision est interdite aux gens qui ont quelque chose à dire, dans ce factice puritanisme aux odeurs d'argent et de tromperie ou les milliardaires de l'informel se sont accaparés du parti du FLN, où le scrutin se révèle à cause de poings et de dinars, les hommes comme Benbitour n'ont pas encore leur place. Allons-nous rééditer les chimères de décembre 1991 et avril 2004, quand nous croyions pouvoir vaincre, sans l'aide de personne, le diable intégriste et le Lucifer en Smalto ? Bien sûr, on nous fait croire… Nous savions depuis Balzac que l'hypocrisie et, chez une nation, le dernier degré du vice. Nous observons aujourd'hui, qu’ajoutée à l’ignorance et à la fatuité des prévôts, elle devient, chez nous, un mode de gouvernance.« Gouverner c'est faire croire», a dit Machiavel. Alors, on nous fait croire... « Bouteflika ne compte pas se représenter pour unquatrième mandat … » Et d'autres fadaises du même cru. C’est cela, le but de la politique, pour Machiavel, ce n'est pas la morale mais la réussite : obtenir et conserver le pouvoir ! Le prince n'a pas à être juste. Il suffit qu'il le paraisse. La politique est un art de la dissimulation au nom de l'efficacité. Et l’efficacité, ici, c’est s’assurer de sa propre succession pour 2014 !
Non, l'alternative démocratique ne viendra pas des gens qui croient pouvoir se battre contre les loups avec des bons sentiments. L'alternative démocratique viendra avec la dissolution de l'État hérité de l'indépendance et son remplacement par l'État qui aurait du être installé à l'indépendance ! C'est le devoir de l'armée. Il découle du bon sens. On ne rentre pas dans la caserne en laissant le pays aux mains d'une camarilla que personne n'a élue et qui se conduit pire que le colon ou que le précédent dictateur. Du reste, du Caire à Tunis, les manifestants n'hésitent plus à lancer des appels désespérés face au joug d'un "pouvoir civil irresponsable". Il est jusqu'aux chômeurs d'Ouargla de lancer une requête en direction de l'armée pour les protéger contre les " louvoiements de l'administration". Bref, l'armée algérienne est mise, brutalement, devant des obligations primordiales. D'éminentes personnalités de la société civile algérienne donnent même une forme à cette "intervention" de l'armée. Farouk Ksentini, par exemple, président de la commission nationale consultative pour la protection et la promotion des droits de l'Homme, suggère de proclamer l'ANP "gardienne" de la Constitution, selon le modèle turc, et suggère même une "amélioration" de l'article 70 de la Constitution qui énonce que le président de la République est le garant de la Constitution. Notre ami Miloud Brahimi, qu’on ne saurait soupçonner d’inculture politique, appuie la proposition spontanée de Ksentini : « La seule protection de la Constitution, c'est l'ANP qui peut la donner à la façon dont elle agit en Turquie » Le premier préconisant l'institution d'une structure indépendante qu'"elle seule pourra appeler l'armée à intervenir en cas de danger sur la démocratie". Mais nous y sommes ! Le pouvoir "civil" de Bouteflika s'est mué en pouvoir personnel mais fumigène, qui met tout le pays en sursis ! " Nous y sommes ! On ne rentre pas à la caserne en laissant les voleurs dans la maison". C'est ce qu'a voulu dire le perspicace Ali Yahia Abdenour en appelant l’armée à ses responsabilités historiques : destituer Bouteflika et rétablir ce qu’elle a démoli en 1962 : un Etat démocratique, qui soit débarrassé de Bouteflika, de la police politique, de la kleptocratie…Qu’elle intervienne une bonne fois pour toutes ! Après quoi, elle pourra rentrer dans les casernes. Définitivement. Des esprits brillants ont cru fûté de lui rire au nez. «C’est insensé !, répondit un autre avocat, ce serait agir contre la légalité !» Du coup, on découvrit que « putsch » pouvait signifier « faire sortir le voleur qui occupe la maison » et, à contrario, que la « légalité » c’était protéger le voleur qui était dans la maison.Depuis, dans Alger où les avocats disent la politique et les politiques le droit, nous sommes égarés, ne sachant toujours pas si l’Etat de droit consistait à protéger la maison des voleurs ou protéger les voleurs qui sont dans la maison.De quelle légalité parlons nous ? La légalité du putsch de 1962 dont se réclame toujours Bouteflika, celle-là qui a abouti à l’Etat hégémonique, aux privations de liberté ? La légalité de 2009 qui a institué le pouvoir à vie ? Sous le précieux prétexte qu’il nous faut éviter un autre putsch, nous devrions donc vivre éternellement sous le régime de l’ancien putsch ? A les entendre, la destitution de Ben Ali et de Moubarak (menées avec l’appui de l’armée, rappelons-le) serait donc condamnable, puisque ces deux dictateurs furent des «présidents» «élus» d’une «république» souveraine ! A 90 ans, le vieil avocat rétorque à la face de ses antagonistes : «C’est parce qu’on est légaliste qu’on revendique le retour à une vraie légalité !»
Mais les chefs de l'Armée et le DRS y sont-ils prêts ? Et le veulent-ils vraiment ? Trop tôt pour le dire. On ne sait pas si les agents du DRS s'inquiètent de l'étendue de la corruption et de la prédation parce qu'elle condamne le pays au pire ou parce que l'ampleur de la corruption est devenue le principal obstacle à tout redressement possible et qu'il fait courir un risque fatal sur le fragile équilibre du système tout entier, y compris sur le DRS en tant qu'appareil et en tant que fragment de l'ancien système. Le DRS enquête-t-il sur la corruption de l'administration Bouteflika dans le but de fermer la parenthèse Bouteflika qui a compromis l’avenir ou dans le but de « renégocier » un nouveau bail pour la camarilla ?
M.B.
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