Le statu quo tout d'abord. Le commandement militaire et les services de renseignement pourraient procéder à un coup de force et destituer l'actuel chef de l'Etat en intronisant un nouveau à sa place. L'ère des coups d'Etat étant révolue, il est peu probable que les chefs militaires, à la tête du corps de bataille ou de l'appareil de renseignement et de sécurité, se placent en situation de rébellion vis-à-vis du pouvoir légal.
Les détenteurs des vrais leviers de pouvoir pourraient, aussi, maintenir, virtuellement, en fonction Abdelaziz Bouteflika jusqu'à 2014, terme de son mandat actuel. Le temps de s'accorder sur un candidat de compromis en vue d'une succession négociée. Ce serait compter sans le climat social délétère qui règne dans le pays ni le profond état d'exaspération qui prévaut contre les scandales actuels de grande corruption. Le statu quo n'est plus tenable aujourd'hui.
La succession violente ? L'éclatement de profondes divisions politiques – jusque-là étouffées – accompagné de puissantes manifestations pourrait servir de catalyseur à un puissant et brusque soulèvement populaire. La police ne pouvant y faire face, c'est l'armée qui serait requise. Improbable que les chefs militaires actuels acceptent de tirer sur la foule. Ce serait l'avènement d'une conjoncture nouvelle où le sort du pays dépendra des rapports qui se noueront entre l'armée – qui aura refusé de réprimer – et la population – qui se sera soulevée.
Quid de la succession pacifique ? Une élection ouverte et pluraliste où les candidats déclarés se livreraient à une compétition loyale est-elle possible ? Il est difficile d'imaginer que, dans sa configuration actuelle, l'Etat algérien puisse organiser, dans un délai de soixante jours, un scrutin incontestable. L'administration publique algérienne est plus rodée à organiser des élections truquées que des scrutins transparents.
PROCESSUS DE TRANSITION DÉMOCRATIQUE
Reste la possibilité d'une élection consensuelle, avec une personnalité emblématique capable de faire l'unanimité. Jouissant de la sympathie populaire, il disposerait de l'adhésion des divers courants politiques et de l'appui des institutions nationales en général, l'armée et les services de renseignement en particulier. Naturellement, son élection ne poserait guère problème. Sa mission consisterait à animer une équipe chargée d'un vrai processus de transition démocratique. Il devrait passer le relais dans un délai maximal de deux ans, le temps que les partis politiques se reconstituent, que le mouvement syndical et associatif reprenne souffle et que des leaders de dimension nationale s'imposent. Ceux qui connaissent le président Liamine Zeroual, au pouvoir de 1994 à 1999, savent combien il est horrifié par les honneurs officiels. Il n'aura de cesse d'organiser, le plus rapidement possible et dans des conditions incontestables, l'élection présidentielle pluraliste qui lui permettra de passer le relais afin de rejoindre, paisiblement, son terroir, au plus profond des Aurès.
Face à ces scénarios, quelle pourrait être la position des principaux partenaires de l'Algérie, en premier lieu desquels les Etats-Unis et la France ? Les Etats-Unis ont l'avantage de ne pas cultiver les ambiguïtés. Leur préoccupation consiste à éviter que l'Algérie ne bascule précipitamment vers un état de déstabilisation irréversible.
Pour l'heure, ils entretiennent un partenariat quasiment stratégique avec les services de renseignement et accessoirement avec l'armée. Ils s'évertuent à vouloir établir un pont entre leurs partenaires connus d'aujourd'hui et ceux qu'ils escomptent pour demain, les leaders d'un courant islamiste fort et uni. Moins sensible à cette feuille de route stratégique, la France reste prisonnière de l'esprit "Françafrique" qui privilégie les rapports avec les régimes en place – peu importe s'il s'agit de dictatures – au détriment de l'écoute des aspirations légitimes des peuples africains et maghrébins.
L'évolution du monde fait que, désormais, facteurs internes et externes sont enchevêtrés au coeur des situations nationales. Il ne faut pas imaginer, pourtant, que les Algériens attendent des puissances étrangères qu'elles accomplissent, en leur lieu et place, la révolution démocratique dont leur pays a besoin. Il serait de bon aloi, tout de même, que la patrie des droits de l'homme appuie les droits de l'homme là où ils sont bafoués !
Pour le reste, prenons date avec l'histoire. Grâce à la conjonction d'énergies attendue entre chefs militaires pétris de convictions patriotiques et jeunesse palpitante d'ardeur et de vivacité, bien des miracles peuvent survenir. Aujourd'hui souffrante et affaissée, demain, l'Algérie se relèvera et sera debout !
Docteur d'Etat en sciences politiques et diplômé du Royal College of Defence Studies de Londres, il a publié en 2009, aux éditions Le Soir d'Algérie, "Problématique Algérie".
Le Monde | 30.05.2013
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