Le Monde | 30.05.2013 à 13h56 • Mis à jour le 30.05.2013 à 14h42
Par Mansouria Mokhefi (Responsable du programme Moyen-Orient Maghreb à l'Institut des relations internationales)
La communication confuse orchestrée par les partisans de Bouteflika sur son hospitalisation à Paris et le mystère maintenu sur la réalité de son état de santé ne peuvent plus empêcher la presse nationale et les partis de l'opposition de dénoncer les pratiques du secret et de la non-transparence qui caractérisent l'Algérie.
En raison de l'évidente incapacité du président à exercer ses fonctions, de nombreux partis exigent l'application de l'article 88 de la Constitution pour accélérer la transition.
Plus que l'empathie humaine d'un peuple pour son président malade, la population algérienne éprouve l'étrange sensation d'être maintenue dans l'ignorance et à distance d'une affaire capitale pour la nation.
DÉMENTIR LES RUMEURS
En se contentant de démentir les rumeurs selon lesquelles Abdelaziz Bouteflika serait plus malade qu'on ne le dit, peut-être dans un coma profond, voire décédé, le pouvoir, sans apporter la moindre preuve que le président va aussi bien que l'affirment les déclarations officielles, a montré son incapacité à gérer une situation dans laquelle l'avenir du pays est en question et a fait preuve d'un mépris à l'encontre de la population.
Mépris qui, au moment où le pays est en pleine déshérence, accentue le climat de banqueroute morale et la grave crise de confiance des Algériens à l'égard d'un pouvoir discrédité.
En attendant la fin d'un régime qui n'a plus aucune légitimité démocratique et qui a laissé la corruption gangrener toutes les instances du pays, les Algériens sont indignés par les inégalités sur lesquelles ce pouvoir s'est bâti.
Et ils sont nombreux à être descendus dans la rue pour dénoncer, d'une part, les dramatiques carences de leur système médical, qui ne peut garantir de bons soins à des centaines de milliers de malades ni assurer un traitement adéquat à des milliers de personnes atteintes du cancer, et, d'autre part, les scandaleux privilèges de leurs dirigeants, qui peuvent bénéficier du meilleur traitement médical qu'ils vont chercher en France.
LA FIN DU POUVOIR SE DESSINE
En effet, si le président Houari Boumediene (1932-1978), dont la maladie avait elle aussi été entourée du plus grand secret et d'une grossière communication, avait préféré se faire soigner à Moscou en 1978, c'est à Paris que la plupart des dignitaires du régime reçoivent les soins que le système de santé algérien est encore loin de pouvoir fournir, malgré les compétences reconnues du corps médical.
Alors que la fin du pouvoir de Bouteflika se dessine et que l'Algérie est sur le point de clore tout un chapitre de son histoire, celui du maintien aux commandes de la génération issue de l'indépendance et d'un système aujourd'hui à bout de souffle, la persistance de l'agitation – grèves, manifestations, révolte dans le Sud – révélatrice du profond malaise social et de la faillite économique du pays le plus riche du Maghreb fait que celui-ci n'est plus à l'abri d'une plus grande instabilité.
Le mécontentement est général devant l'ampleur de la misère et du chômage dans un pays dont les richesses issues de la manne pétrolière restent invisibles pour la plus grande partie de la population.
La colère est vive devant les inégalités sociales et le désespoir profond chez une jeunesse privée d'avenir. Enfin, les désillusions sont grandes à l'égard d'un pouvoir qui avait les moyens d'assurer croissance et développement, cohésion sociale et sécurité et qui a échoué sur tous ces plans.
Pour beaucoup, la fin du règne d'Abdelaziz Bouteflika marque la fin d'une époque. Cela pourrait mettre un terme à la mainmise sur les richesses et les institutions du pays par les mêmes clans politiques et militaro-sécuritaires qui dirigent l'Algérie depuis les années 1960.
Cela permettrait aussi l'arrivée au pouvoir des nouvelles générations qui tiendront compte de la diversité culturelle du pays, se concentreront sur l'édification d'une économie capable de survivre à l'après-pétrole et bâtiront la nécessaire Union du Maghreb. Peut-être dans le cadre d'une nouvelle République.
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