La coalition pourrait frapper tant les usines que les dépôts de l’armée ou les aérodromes, afin de priver le régime syrien de toute capacité à produire, entreposer et utiliser ses stocks d'armes chimiques.
Il semble de plus en plus probable que les Etats-Unis vont entreprendre une action militaire d’une sorte ou d’une autre contre le régime du dictateur syrien Bachar el-Assad.
[CARTE INTERACTIVE]
Le 26 août, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a plus que clairement laissé entendre que le régime syrien du dictateur Bachar el-Assad avait utilisé des armes chimiques pour tuer des centaines de civils, un acte dont l’administration Obama a fait savoir qu’elle ne le tolèrerait pas. Les mots de Kerry ont été prononcés quelques jours après que les Etats-Unis ont annoncé qu’ils déployaient quatre navires lance-missiles au large des côtes syriennes.
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Que faire contre Assad?
L’objectif de ces attaques demeure mystérieux. Mais l’une des pistes suggérées consisterait à empêcher le gouvernement Assad d’utiliser des armes chimiques. Si tel est le cas, la marine américaine pourrait bien frapper tant les usines de produits chimiques que les dépôts de l’armée en passant par les aérodromes, afin de priver le régime syrien de toute capacité à produire, entreposer et utiliser ses stocks de sarin, de gaz moutarde et de gaz VX (un neurotoxique encore plus puissant que le sarin).
La carte ci-dessus fait état de la localisations suspectée des sites d’armes chimiques gouvernementaux listés par la Nuclear Threat Initiative et de celle des bases aériennes syriennes. Des lieux où l’on suspecte la fabrication ou le stockage d’armes chimiques ainsi que les bases aériennes accueillant les hélicoptères et les avions à réaction susceptibles d’être utilisés pour effectuer ces attaques contre les rebelles ou les civils.
Y figure également le palais d’Assad à Damas ainsi que le quartier-général des services de renseignement de l’armée syrienne, le quartier-général des forces armées syriennes, le commandement des forces spéciales et les casernements de la Garde républicaine (représentés par des drapeaux sur la carte). Voilà quelques-uns des sites clés de commandement et de contrôle qui pourraient être également pris pour cible par les missiles américains, mais qui risquent fort d’être évacués vers des destinations secrètes avant même le début des frappes américaines.
Anéantir les forces aériennes en priorité
En théorie, l’armée d’Assad peut lancer des attaques chimiques depuis le sol et depuis les airs. En pratique, les airs sont la meilleure option, selon un spécialiste de la défense. C’est vrai, Assad dispose de centaines —sinon de milliers— de canons et de lance-roquettes faciles à dissimuler et qui pourraient être utilisés pour tirer des fusées ou des obus chimiques.
Mais Chris Harmer, de l’Institute for the Study of War, considère qu’ils seront bien moins utiles que l’aviation pour plusieurs raisons. Pour commencer, les rebelles ont privé l’armée syrienne de grandes portions de territoires, empêchant presque Assad de déployer des pièces d’artillerie dans de nombreux endroits en Syrie. Surtout, ces armes ont une portée bien moins grande que les armes embarquées sur des avions.
«Si vous utilisez de l’artillerie ou des fusées pour lancer des armes chimiques, il faut impérativement déployer votre artillerie à proximité de l’endroit où vous souhaitez frapper», dit Harmer. Les troupes d’Assad«peuvent disposer de forces adéquates, fusées, lanceurs, obus d’artillerie pour les utiliser [les armes chimiques] à Damas» comme elles l’ont fait la semaine dernière. Toutefois, «si elles veulent en faire usage partout ailleurs, il faudra utiliser d’aviation».
«Je pense donc qu’au moment où nous sommes, la tactique la plus efficace pour empêcher tout usage d’armes chimiques consisterait à anéantir les forces aériennes syriennes», continue Harmer.
«Mon intuition est qu’Assad a dispersé suffisamment ses stocks d’armes chimiques pour qu’il n’existe pas une seule grosse et belle cible à frapper. Par conséquent, utiliser des missiles de croisière pour frapper ici ou là et tenter de trouver les stocks risque fort de devenir rapidement très coûteux.»
Un risque de dispersion des gaz
Tony Cordesman, un des plus anciens analystes du Center for Strategic and International Studies, ne considère pas, quant à lui, qu’une telle campagneaurait un sens. «Les armes chimiques à elles seules ne sont pas une raison pour faire usage de la force. Même les frappes de missiles les mieux ciblées du monde ne parviendront pas à détruite tout le stock syrien», écrit-il dans un récent rapport:
«Il n’existe pas la moindre chance de voir les Etats-Unis localiser ou détruire le stock d’armes syriennes sans une campagne de bombardements aériens massifs et l’envoi de troupes au sol. Même si le régime Assad n’a pas fait le nécessaire et n’a pas utilisé les mois qui viennent de s’écouler pour disperser la majeure partie de ses stocks, les missiles de croisière ne disposent tout simplement pas d’une telle puissance de destruction.»
Il y a également la question des dégâts possibles pour les civils. Certainscraignent qu’en frappant des dépôts ou des usines de fabrication d’armes chimiques, de très nombreux innocents soient tués ou blessés si ces produits chimiques venaient à être dispersés dans les airs par l’explosion des missiles.
On pense que le régime Assad possède du gaz sarin, du gaz moutarde et du gaz VX. Si le sarin peut, en certaines circonstances, se disperser rapidement et sans trop de dommages s’il est frappé par un missile, le gaz moutarden’est pas aussi facile à détruire et une frappe de missile pourrait provoquer sa diffusion dans l’atmosphère. (L’armée américaine prend un grand soin de détruire ses armes chimiques à grande distance de toute habitation pour éviter que la moindre petite fuite sur les installations ait des effets terribles.)
Même si le nombre de personnes tuées par la dispersion de toxines dans l’air suite à une frappe américaine était relativement faible —et le mot relatif est bien le mot important— comparé aux morts provoqués par les attaques chimiques d’Assad, on imagine la catastrophe que pourrait constituer, pour l’image des Etats-Unis, la mort de civils syriens par suite d’une attaque américaine visant à les protéger des armes chimiques…
Les frappes aériennes ne suffiront pas
Harmer affirme quant à lui qu’il ne s’inquiète pas particulièrement des dégâts chimiques collatéraux: les armes les plus dangereuses, comme le sarin, sont stockés de manière «binaire», c’est-à-dire que les composants chimiques sont séparés:
«Ces armes sont bien plus difficiles à utiliser que les gens ne l’imaginent; les endommager pourrait effectivement provoquer des fuites de produits chimiques dans l’atmosphère, mais cela n’a rien à voir avec des radiations nucléaires —les armes chimiques se dissipent relativement rapidement. Il pourrait y avoir des dégâts collatéraux [lors d’une frappe détruisant de telles armes] mais bien moins que si nous laissons le régime Assad utiliser des armes chimiques.»
Malgré cela, Harmer, que certains présentent comme l’homme qui aurait glissé dans l’oreille des responsables de Washington l’idée d’une campagne de tirs de missiles de croisière pour punir Assad d’avoir employé des armes chimiques, pense que ce ne serait pas une très bonne idée:
«Quelques frappes limitées sans un objectif plus large nous feront peut-être du bien, mais ne changeront pas le cours de la guerre.»
Comme nous l'avons déjà mentionné par le passé, pour détruire les capacités militaires d’Assad, il faudrait employer au moins un porte-avion américain et une quantité importante de chasseurs, de bombardiers et d’appareil de soutien en plus de destroyers. Il faudrait certainement frapper des cibles politiques, en plus des cibles purement militaires, comme Cordesman le suggère.
S’il ne fait pas de doute qu’Assad serait incapable de résister à un tel assaut, les Etats-Unis risquent de devoir jouer les juges de paix si (comme c’est probable) les rebelles s’entredéchirent pour s’emparer du pouvoir. Il semble donc de plus en plus probable que si les Américains attaquent Assad, ils se contenteront d’une campagne limitée visant à le punir pour avoir utilisé des armes chimiques. Du moins, pour l’instant.
John Reed
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