lundi 15 février 2016

Yacef Saâdi : «Ma réponse aux calomniateurs sur la mort héroïque de mes compagnons» (X et fin)


Cela m'amène à dire que chacun a donné ce qu'il a pu... Ainsi, pourquoi irais-je, dans l'aisance de la
liberté, jusqu'à accuser pour la vouer aux gémonies une sœur qui, en un moment de faiblesse, ou parce que brisée psychologiquement, a prié dans une lettre rédigée par ses soins une autre héroïne, Hassiba Ben Bouali, pour ne pas la nommer, de se rendre avec le petit Omar aux parachutistes, tout en la priant également d'essayer de convaincre Ali la Pointe de faire pareillement en lui garantissant sa sécurité ? Cette lettre a bel et bien existé – j'en ai déjà parlé. Mais pourquoi irais-je, aujourd'hui à l'heure de la sauvegarde de notre unité, me faire ce roturier qui critique à foison une sœur qui, malgré sa bonne volonté, a eu ces instants de faiblesse. Seule l'Histoire, la vraie – je l'ai dit la concernant –, celle qui sera écrite demain par des mains propres de personnes intègres et objectives, pourra la juger et la situer là où elle doit être située. Pourquoi irais-je jusqu'à extrapoler pour tirer une autre conclusion aussi facile que difficile, touchant à la dignité de notre sœur Fatiha Bouhired, chez qui nous étions hébergés Zohra Drif et moi, et
, qui selon des informations qui l'accablent, a été affublée d'une certaine peur au cours de cet épisode, douloureux pour tous, une peur qui a eu ses conséquences sur l'organisation ? Et c'est ainsi que ce que je ne supporte pas pour les autres, je ne peux le supporter également pour moi. Je ne supporte plus, en effet, ces calomnies sans fondements et ces accusateurs qui se font les porte-voix d'une campagne machiavéliquement menée et dirigée en réalité contre le pays et ses militants. Alors, me concernant, je dois dire, sans rougir et sans avoir la prétention de convaincre, que tout ce qui a été raconté à mon sujet n'est que pure affabulation. Et là, je dois m'arrêter un instant, pour exprimer à mes détracteurs – ils existent et c'est normal –, ceux qui se sont permis de déblatérer contre moi, autour de cette mort horrible, mais héroïque, de mes compagnons, rue des Abderrames, ou de mon arrestation, rue Caton, que toutes leurs critiques ou leurs caricatures n'ont pas de sens. Je ne me suis pas mis à table et je n'ai «donné personne», je dis bien personne, pour utiliser le langage de «l'interrogatoire». Les officiers supérieurs français qui m'ont arrêté ne pouvaient rien tirer de moi, tant ils savaient tout de nous, malheureusement, par le biais de leurs officiers de renseignement qui «savaient travailler», et surtout au contact d'informateurs de la trempe de Guendriche et consorts. Et, là, je m'arrête pour dire certaines vérités. Franchement, il faudrait être naïf pour penser que pendant notre révolution, nous jouions seuls sur le terrain des opérations. Nos ennemis, n'avaient-ils pas des moyens sophistiqués, même en ces temps-là, pour nous surveiller et ensuite fondre sur nous comme des vautours ? Ne savons-nous pas que leurs services d'écoute étaient également performants et nous suivaient pas à pas dans nos déplacements ? Enfin, je ne vais pas faire le recensement de tous les moyens qu'ils possédaient, mais nous devons nous convaincre que la guerre ne se faisait pas uniquement avec les armes à feu. Nonobstant ces quelques affirmations sur les services de sécurité de nos adversaires, je ne dirai pas plus concernant les accusations dont j'ai fait l'objet et auxquelles je n'ai jamais répondu, jusqu'à ce jour, parce que les archives existent, beaucoup plus chez les Français, hélas !, que chez nous. De ces documents, on saura si Yacef Saâdi s'est mis à table ou pas, s'il a eu des moments d'égarement ou s'il a persisté à être le militant constant, déterminé, irréprochable. Enfin, j'ose dire, pour clore ce chapitre, si l'on se base pour écrire l'histoire de l'historique ZAA et de la «Bataille d'Alger», en nous appuyant sur les bavardages et les présomptions, nous entrerons dans un circuit infernal où l'égocentrisme, le mensonge et la diffamation feront de nous des responsables ne mesurant aucunement le danger dans lequel notre révolution sera jetée en pâture. Ensuite, mon esprit me demande : pourquoi perpétuer ce climat d'incertitude vis-à-vis des uns et des autres ? Pourquoi entretenir ces ambiguïtés et jeter l'anathème sur des gens certainement plus propres que ceux qui les condamnent ? Ne suffit-il pas de s'enorgueillir quand on sait que des centaines, voire des milliers de jeunes fidayine se sont mobilisés, au cours de cette «Bataille» qui leur a été imposée, pour laver la capitale des souillures engendrées par la soldatesque coloniale, au moment où ceux qu'on devait critiquer, abhorrer ou proscrire, pour avoir quitté le bateau, se trouvaient dans quelques résidences en Tunisie, Maroc, au Caire ou Genève ? Que nous reste-t-il à vivre, je vous le demande ? Ne sommes-nous pas conscients de la situation qui nous éloigne les uns des autres, pour nous dire en face ce qui ne va pas, pour laver, s'il existe, notre linge en famille, et célébrer cette lutte que nous avons menée ensemble, côte à côte, et que d'aucuns nous envient, parce qu'avec peu de moyens, nous avons ébranlé l'ennemi qui nous combattait avec son matériel lourd, ses armes sophistiquées, ses troupes qui se comptaient en centaines de milliers et ses redoutables services de renseignement ? C'est alors que je m'insurge, encore une fois, pour m'exprimer à haute voix et affirmer à la face de certains nihilistes patentés, vivant dans la négation des valeurs militantes et patriotiques, que le bilan de l'historique Zone autonome et notre engagement dans la «Bataille d'Alger» sont un exemple de ces luttes obstinément menées par notre peuple, depuis la nuit des temps, en faisant appel à son abnégation et à son esprit d'unité et de sacrifice contre les envahisseurs à travers l'Histoire. Pour conclure, je dis à qui veut m'entendre, que malgré tout ce qui a pu se raconter dans des conciliabules interlopes ou à partir d'accusations qui ne méritent pas notre estime, par des personnes en manque d'intelligence ou de conscience, notre lutte dans Alger et ses environs a été, en plus de son efficience, un message aux peuples du monde entier pour leur dire que des jeunes, qui ont été souillés et malmenés par le colonialisme, ont été à l'avant-garde de toutes les initiatives et à la pointe du combat pour les constantes qui ont rythmé notre histoire, dont le goût de l'indépendance, de l'unité et la soif de justice sociale. Notre lutte dans Alger a été une sérieuse réplique contre cette colonisation oppressante et absolue du régime français. Nous l'avons menée avec des combattants aguerris et engagés pour libérer notre pays, sauvegarder son unité, protéger son identité.
Yacef Saâdi
Fin

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