mercredi 9 mars 2016

État-unis-Présidentielles/ La réunion anti-Donald Trump très secrète d'Elon Musk, Larry Page et Tim Cook

Des milliardaires, des PDG d’entreprises technologiques et le gratin de l’establishment républicain ont rejoint le week-end du 5 mars un luxueux hôtel sur une île privée au large des côtes de Géorgie, pour participer au forum annuel de l’American Enterprise Institute, d’après des sources proches de ce mystérieux rassemblement.
Principal sujet de cette causerie fermée à la presse? Comment barrer la route au favori républicain Donald Trump. Tim Cook, le PDG d’Apple, Larry Page co-fondateur de Google, Sean Parker, fondateur de Napster qui a investi dans Facebook, et Elon Musk, patron de Tesla Motors et de SpaceX, ont tous pris part aux débats. De même que Mitch McConnell, sénateur du Kentucky et chef de file de la majorité républicaine au Sénat, le gourou politique Karl Rove, Paul Ryan, président républicain de la Chambre des représentants, les sénateurs républicains Tom Cotton (Arkansas), Cory Gardner (Colorado), Tim Scott (Caroline du Sud), Rob Portman (Ohio) et Ben Sasse (Nebraska), qui a récemment fait les gros titres en affirmant qu’il ne "pouvait pas soutenir Donald Trump".


D’après certaines sources, en plus de Paul Ryan, la Chambre des représentants était également incarnée par Fred Upton (Michigan), président de la commission de l’énergie et du commerce, le représentant du Texas Kevin Brady et le californien Kevin McCarthy, un temps pressenti pour prendre la présidence de la Chambre, ainsi que d’autres figures de premier plan comme la représentante de l’état de Washington Cathy McMorris Rodgers, le président de la commission du budget Tom Price (Géorgie), celui de la commission des services financiers Jeb Hensarling (Texas) et Diane Black, représentante du Tennessee. Philip Anschutz, milliardaire et fidèle donateur du parti républicain, dont la société détient des parts du Sea Island, était également présent, ainsi que le représentant démocrate du Maryland John Delaney. Arthur Sulzberger, propriétaire du New York Times, était là lui aussi, a confirmé une porte-parole du quotidien.

De nombreux espoirs sur sa défaite finale

"Un spectre hantait le forum – le spectre de Donald Trump", a écrit Bill Kristol, célèbre éditorialiste conservateur, dans un compte-rendu de la conférence envoyé par email, reprenant les premiers mots du Manifeste du Parti communiste. "Son émergence a suscité une grande peine, beaucoup de discussions, dont certaines clairvoyantes et réfléchies, sur les raisons d’un tel succès, ainsi que de nombreuses manifestations d’espoir sur sa défaite finale".

"L’objectif, pour paraphraser à nouveau Karl Marx, n’est pas tant de comprendre Trump que de lui barrer la route", écrit Bill Kristol. "De manière générale, il y a autour de tout ça un petit peu trop de lamentations, de froncements de sourcils et de fatalisme, et pas assez de détermination à épargner au parti la nomination ou au pays l’élection d’une personne qui, tout simplement, ne devrait pas devenir président."

Un des temps forts de la réunion fut la présentation par Karl Rove des résultats du groupe de travail ayant échangé sur Trump. Le plus gros point faible du magnat de l’immobilier, d’après Karl Rove, est que les électeurs ont du mal à voir sa dimension "présidentielle" et à l’imaginer comme quelqu’un que leurs enfants pourraient admirer. Ils le perçoivent aussi comme un personnage erratique, qui ne devrait pas laisser traîner ses (petits) doigts à proximité du bouton nucléaire.

"Comment en est-on arrivé là?"

Des sources bien informées sur cette réunion – qui ont demandé à rester anonymes car le forum est confidentiel – ont rapporté que les échanges autour du cas Trump ont en grande partie porté sur "la manière dont c’est arrivé, plutôt que sur la manière dont on va lui barrer la route", selon les mots d’un participant.

Trump, qui a déjà engrangé un tiers des délégués dont il a besoin pour s’assurer la nomination républicaine, passera la semaine prochaine deux tests majeurs lors des primaires en Floride et dans l’Ohio. S’il emporte ces deux états, il n’aura plus besoin de gagner que la moitié des délégués restants pour obtenir la nomination.

Il n’a cependant pas été le seul sujet de cette conférence à la portée très large. Le sénateur Tom Cotton et le PDG d’Apple Tim Cook se sont ainsi affrontés autour du cryptage des téléphones portables, nous a indiqué une source ayant assisté à l’échange. "Cotton a été assez virulent à l’égard de Cook", rapporte cette source, et "tout le monde a été un peu gêné par l’hostilité que Cotton manifestait". (Apple est actuellement au beau milieu d’une bataille avec le ministère de la justice et le FBI à propos d’un iPhone crypté qui appartenait à un des auteurs de l’attentat de San Bernardino.)

Une réunion ultra-secrète

Cela fait des années que l’American Enterprise Institute organise son forum sur cette île. L’événement est tellement entouré de secret que l’agence de presse Bloomberg s’est plainte en 2015 que personne n’irait même rapporter s’il avait neigé ou pas. Les données de la Federal Aviation Administration, accessibles sur le site FlightAware.com, montrent qu’une nuée de jets privés est arrivée puis est repartie de deux petits aéroports proches de Sea Island le week-end dernier. 54 avions ont décollé dimanche de l’aéroport de Saint Simons Island, en Géorgie, -- environ quatre fois plus que le nombre de départs de ce même aéroport le dimanche précédent.

Nombre de ces avions sont immatriculés par des entreprises de location d’avions comme NetJets et Flexjet ou par des sociétés de services aériens privés comme Jetsetter. Dimanche, au moins deux appareils se sont envolés directement vers San Jose en Californie, qui héberge de nombreux géants des nouvelles technologies.

Un ballet de jets privés

Un autre avion, arrivé mercredi en provenance d’Eaton dans le Colorado, où il est retourné dimanche, a été immatriculé par Monfort Aviation LLC, une fiducie exonérée d’impôts. Les données de la Federal Aviation Administration ne permettent pas de déterminer qui contrôle Monfort Aviation, mais cette structure porte le même nom que Dick et Charlie Monfort, héritiers d’une grande fortune de la viande du Colorado, aujourd’hui propriétaires de l’équipe de baseball des Colorado Rockies. L’appareil, un Raytheon Hawker 800XP, peut emporter 15 passagers. Philip Anschutz, le milliardaire dont l’entreprise détient en partie Sea Island, est lui aussi originaire du Colorado.

Un autre avion privé, un Canadair Challenger, a traversé le pays dimanche, décollant de Saint Simons pour atterrir à Van Nuys dans le sud de la Californie. L’aéroport de Van Nuys est tellement associé aux millionnaires et milliardaires que leurs querelles autour des opérations sur le tarmac débordent parfois dans les médias. Un autre appareil, un triréacteur Dassault Falcon 900, est arrivé à Saint Simons jeudi en provenance de Westchester County, dans l’état de New York, et y est retourné dimanche. Il a été immatriculé par Northwood Investors LLC, dirigée par John Kukral, dont la biographie officielle mentionne qu’il a participé à des projets immobiliers dont la valeur totale dépasse les 40 milliards de dollars.

"C’est un événement privé et confidentiel, nous ne communiquons donc pas sur la teneur des débats ou les participants", affirme Judy Stecker, porte-parole de l’American Enterprise Institute. Elle dépeint le forum comme "un rassemblement informel de penseurs de premier plan, provenant de toutes les sphères idéologiques pour débattre des problèmes que les Etats-Unis et le monde libre doivent affronter dans le domaine économique, sur le plan sécuritaire ou en matière de couverture sociale".

Isolé du monde

Imaginé par l’ancien président Gerald Ford, le forum attire des leaders politiques et économiques du monde entier. Le resort de Sea Island – qui se targue d’héberger 3 parcours de golf et un centre de spa et de fitness qui, avec ses 6000 mètres carrés, remplirait les deux tiers d’un hypermarché – est connu pour être isolé du monde. Il est cerné par les marais et les grands aéroports les plus proches sont situés à bonne distance. Lorsque le président George W. Bush a accueilli le sommet du G8 en 2004 sur cette île, le centre de presse monté pour l’événement était installé à 130 kilomètres de là à Savannah, en Géorgie.

Les groupes Anschutz Corp., Starwood Capital Group Global, Avenue Capital Group et Oaktree Capital Management ont racheté le resort – qui couvre la totalité de l’île -- en 2010 pour 212,4 million de dollars, alors qu’il était en faillite. "Ce n’est pas tout à fait l’endroit où on va à la rencontre l’Amérique moyenne" avait écrit le New York Times en 2004 à propos de Sea Island. "Mais c’est un bon endroit pour se couper du reste du monde, être témoin d’étalage architectural et vagabonder sur des plages qui ne sont que très peu, voire pas du tout accessibles au public".


 |  Par Ryan Grim, Nick Baumann et Matt Fuller

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