mardi 8 mars 2016

Sécurité - Algérie - Akram Kharief : "Le terrorisme en Tunisie est pris très au sérieux par son voisin algérien"

INTERVIEW. Alors que la Tunisie subit à nouveau une attaque djihadiste, où en est l'Algérie face au défi sécuritaire ? Le spécialiste Akram Kharief répond.

Au-delà du défi économique et social qu'elle doit relever du fait de la crise qui se profile avec le
maintien à un bas niveau du prix du baril du pétrole, l'Algérie doit plus que jamais assurer sur le plan sécuritaire. Au plan interne bien sûr, mais aussi sur son flanc est. Elle doit en effet empêcher la Libye de devenir un « Libyenistan », selon l'expression du Premier ministre Abdelmalek Sellal, mais elle doit également être vigilante et surveiller le voisin tunisien que les djihadistes viennent encore de frapper à Ben Guerdanne. Les éclairages complémentaires d'Akram Kharief, spécialiste des questions de sécurité et animateur du très renseigné site Secretdifa3.net.

Le Point Afrique : à quels défis sécuritaires actuels l'Algérie doit-elle faire face ?

Akram Kharief : Le pays est confronté à deux défis. Le premier est de continuer à résorber le terrorisme interne. Actuellement le nombre de terroristes présents en Algérie est estimé entre 700 et 1 200 hommes. Ils sont pour l'essentiel concentrés dans le nord du pays et sont surtout présents dans la région de Kabylie. On trouve aussi quelques autres foyers résiduels dans l'est du pays. Les terroristes sont moins présents dans le sud du pays en raison du déploiement massif de l'armée. Ainsi
l'organisation djihadiste Aqmi a pratiquement disparu de cette zone, mis à part les quelques relais logistiques dont elle dispose encore. De fait, la crise malienne a créé une espèce d'appel d'air qui a aspiré tous les djihadistes présents alors dans le Sud algérien ; ces derniers semblent avoir estimé qu'il était plus sûr pour eux de se déployer au Mali, au Niger, en Libye plutôt que dans le Sud algérien.

Mais le principal défi interne est d'empêcher l'installation dans le pays de cellules de l'Organisation de l'État islamique (OEI). Deux cellules affiliées à l'OEI ont pu être identifiées : la première avait été à l'origine de la décapitation du Français Hervé Gourdel en septembre 2014. Cette cellule (les « Soldats du califat », un groupe djihadiste algérien né d'une scission d'Aqmi et qui avait fait allégeance à l'OEI, ndlr) a été pratiquement annihilée. Demeure encore une autre cellule qui agit dans l'Est algérien et qui demeure très difficile à localiser tant elle est bien implantée dans une région très isolée.

Et au plan international ?


Évidemment, la crise libyenne à la frontière orientale du pays inquiète. Alger redoute l'incursion d'hommes armés venus de Libye. La principale obsession de l'État est de protéger les installations gazières qui se trouvent à la frontière algéro-libyenne. L'État veut à tout prix éviter le scénario d'une attaque sur le modèle de celle survenue à In Amenas en janvier 2013 (une prise d'otages massive menée par un groupe armé islamiste dissident d'Aqmi, ndlr). Voilà pourquoi l'armée algérienne est fortement déployée autour de ces installations.

Mais selon Alger, le véritable maillon faible sécuritaire de la région est la Tunisie. L'Algérie veut absolument éviter que son voisin ne bascule dans une logique de guerre civile et de terrorisme comme peuvent la connaître en ce moment la Syrie ou l'Irak. Il serait alors à craindre que d'importantes villes algériennes à la frontière soient à la portée d'attaques de terroristes venus de Tunisie, et l'État algérien veut absolument éviter ce scénario. Voilà pourquoi il existe une intense coopération entre les autorités sécuritaires et de renseignements des deux pays. De plus, régulièrement, des incursions de l'armée algérienne ont lieu en Tunisie sur demande des autorités tunisiennes. Encore une fois, le terrorisme en Tunisie est pris très au sérieux par son voisin algérien, peut-être plus que ce qui se passe en Libye.

Pourtant en ce moment, la Libye est au centre de toutes les attentions. Une nouvelle intervention occidentale est évoquée pour empêcher l'OEI de gagner en influence et d'étendre son territoire. Le journal Le Monde a indiqué que des forces françaises agissaient aussi dans le pays, ce que vous aviez révélé dès cet été… Est-ce que l'Algérie prend ou pourra prendre part à ces manœuvres militaires ?

Il semble que l'Algérie coopère déjà avec les États-Unis sur ce dossier libyen. Cela est même avéré puisque le dernier bombardement de la Libye par l'aviation américaine s'est fait en coordination avec Alger qui en avait été averti en amont (Le 19 février dernier, les États-Unis ont mené un raid aérien contre un camp de l'OEI, près de la ville de Sabratha, à 70 kilomètres de Tripoli, ndlr). Par ailleurs, une intense coopération entre l'Algérie et la France a lieu déjà dans le Sahel : logistiquement, l'Algérie approvisionne en carburant les hélicoptères et les véhicules français de l'opération Barkhane. En tenant compte de cela, il n'est pas exclu que sur le terrain libyen, cette coopération se poursuive aussi à l'avenir. Mais pour le moment, la présence française en Libye est encore timide.

Vous disiez que l'État algérien craint que des combattants de l'OEI passent la frontière. De quelle origine sont ces combattants ? Sont-ils nord-africains, viennent-ils de Syrie ou d'Irak ?

Outre les Libyens, la plupart sont Marocains ou Tunisiens. L'Algérie a démantelé, il y a un mois de cela, un important réseau de djihadistes marocains qui transitaient par son territoire vers la Libye. Ce réseau passait par l'aéroport l'Alger. Les futurs combattants marocains arrivaient à Alger puisqu'ils n'avaient pas besoin de visa pour entrer dans le pays et rejoignaient ensuite par la route la Libye. Les autorités algériennes ont arrêté alors 300 ressortissants marocains et les ont renvoyés au Maroc. Les vols entre Alger et Tripoli ont été dans la foulée totalement suspendus et la frontière entre les deux pays a été fermée.

Est-ce qu'il est à craindre une jonction entre l'OEI et les foyers de terrorisme résiduels au nord et dans l'est de l'Algérie ?
Pour le moment, il n'y a pas de jonction entre eux. L'OEI est concentrée surtout dans la région centrale de la Libye. Il n'y a pas de danger immédiat de l'OEI sur la frontière libyo-algérienne. Mais le rapprochement entre des civils algériens et des groupes libyens est parfois évoquée, et c'est une hypothèse que surveille justement l'État algérien.

Justement, est-ce que l'OEI offre une attractivité quelconque pour la jeunesse algérienne ?


Les études montrent que les combattants étrangers dans les rangs de l'OEI sont majoritairement saoudiens, jordaniens, mais également de nombreux Tunisiens, Libyens et Marocains. Mais très peu d'Algériens. Il y a au bas mot dix fois moins d'Algériens que de Marocains dans cette organisation terroriste.

Comment l'expliquer ?

Cela s'explique par l'épuisement du modèle djihadiste au sein de la population algérienne. Cette population a acquis une maturité politique née de la décennie sanglante. L'Algérie a expérimenté durant cette période le terrorisme djihadiste et la guerre civile. Le peuple ne croit plus en l'option djihadiste pour parvenir à des fins politiques. La capacité d'endoctrinement ou d'emprise des mouvements islamistes sur la population algérienne est très amoindrie.

Comment analysez-vous la visite récente du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, à Alger ?

Cette visite a été une occasion pour la Russie de réaffirmer le statut d'allié de l'Algérie, laquelle demeure le seul pays en Afrique du Nord et dans le monde arabe à s'opposer au renversement du régime de Bachar el-Assad. Cette visite est également liée à l'agenda libyen. Moscou cherche à jouer un rôle en Libye et ne veut pas perdre définitivement sa place dans l'avenir de la région. Il ne faut pas oublier que la Libye a longtemps été un partenaire de choix de la Russie, notamment dans l'achat d'armes. Une Libye encore une fois envahie par les forces de l'Otan représente pour la Russie une perspective inquiétante. Sergueï Lavrov est donc à la recherche d'alliés sur ce dossier libyen, que ce soit sur le plan diplomatique ou militaire.

Est-ce que le démantèlement du service de renseignements, le DRS, a changé quelque chose dans la lutte contre le terrorisme ?


Je n'ai pas l'impression que cela ait changé quelque chose. C'était une question de politique interne qui n'a pas eu d'incidence sur la lutte contre le terrorisme. En revanche, il est à noter un éditorial récent très révélateur de l'organe officiel de l'armée algérienne qui indiquait clairement que la réforme du DRS aurait permis, selon lui, d'assurer à l'armée, je cite de mémoire, de nombreuses victoires contre le terrorisme et aurait permis de raffermir le contrôle sur les frontières. L'armée algérienne s'est donc ouvertement félicitée de ce démantèlement.

Propos recueillis par Hassina Mechaï
http://afrique.lepoint.fr/

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