jeudi 12 mai 2016

Dilma Rousseff suspendue de la présidence du Brésil

Un vote historique a mis fin jeudi à 13 ans de pouvoir de la gauche au Brésil, avec la suspension par le Sénat de la présidente Dilma Rousseff au profit de son vice-président Michel Temer, plongeant le géant d'Amérique du sud dans l'inconnu.

Le nouveau président en exercice, âgé de 75 ans, a annoncé qu'il allait dès jeudi «investir les
ministres» de son gouvernement, axé sur le redressement économique.
Il s'adressera à la nation dans la journée depuis la présidence, accompagné de son futur ministre des Finances Henrique Mereilles, selon le site d'information UOL.
«La chance de Temer», titrait le quotidien O Estado de Sao Paulo. «Maintenant c'est Lulia!», s'amusait le journal populaire Carioca O Dia en jouant sur l'état civil complet du vice-président Michel Miguel Elias Temer Lulia et le diminutif du prédécesseur de Mme Rousseff, Lula (2003-2010).

En pleine tourmente, le géant émergent d'Amérique latine tourne la page de 13 ans de gouvernements du Parti des travailleurs (PT), ouverte en 2003 par Luiz Inacio Lula da Silva, qui a présidé au boom socio-économique brésilien des années 2000.


Les sénateurs ont voté à une large majorité de 55 voix (sur 81) l'ouverture formelle d'un procès en destitution de l'impopulaire dirigeante de gauche, accusée de maquillage des comptes publics, au terme d'une session historique entamée mercredi matin.

Mme Rousseff, 68 ans, est donc automatiquement écartée de la présidence pendant un délai maximum de 180 jours, dans l'attente du jugement final des sénateurs où un vote des deux tiers (54 sur 81), seuil déjà dépassé jeudi, sera requis pour prononcer la destitution.

Celui-ci pourrait intervenir en septembre après les jeux Olympiques de Rio de Janeiro (5-21 août), mais avant les élections municipales d'octobre.

C'est le président du Tribunal suprême (STF), Ricardo Lewandowski, qui présidera les débats. Il doit se rendre au Sénat jeudi dès 16h00 pour prendre ses fonctions.

«Remède amer, mais nécessaire»

L'opposition de droite accuse la présidente d'avoir dissimulé l'ampleur des déficits publics pour se faire réélire en 2014 ainsi qu'en 2015, via des tours de passe-passe budgétaires. Elle lui reproche aussi d'avoir décrété des dizaines de milliards de dollars de dépenses sans l'aval du Parlement.

Ancienne guérillera torturée sous la dictature (1964-85), Mme Rousseff allègue que tous ses prédécesseurs ont eu recours à cette pratique sans n'avoir jamais été inquiétés.

Elle se dit victime du «traître» Michel Temer, qui a précipité sa chute en poussant fin mars sa formation, le grand parti centriste du PMDB, à claquer la porte de sa majorité.

La sénatrice Gleisi Hoffmann (PT), ancienne chef de cabinet de Dilma Rousseff, a dénoncé une sanction «disproportionnée»: «C'est comme si on voulait sanctionner par la peine de mort une infraction au Code de la route».

«La destitution est un remède amer, mais nécessaire», a jugé le sénateur José Serra (PSDB, centre-droit) qui pourrait être nommé ministre des Affaires étrangères.

Pour Aecio Neves, un des leaders de l'opposition et candidat malheureux au second tour de la présidentielle en 2014, le vote des deux tiers déjà atteints représente «un signal positif pour le nouveau gouvernement, qui prend ses fonctions avec la perspective qu'il ne sera pas seulement un gouvernement temporaire, mais qu'il devra conclure le mandat de la présidente».

Le Tribunal suprême a par ailleurs autorisé ce jeudi l'ouverture d'une enquête pour corruption à l'encontre de M. Neves.

Mme Rousseff s'exprimera vers 10h00 locales avant de quitter le palais du Planalto, a indiqué à l'AFP le PT, qui a convoqué élus et militants devant le siège de la présidence, sous le mot d'ordre «Nous n'acceptons pas un gouvernement illégitime».

Temer aussi impopulaire

Mme Rousseff devrait rejoindre ensuite sa résidence officielle de l'Alvorada, où elle continuera de vivre avec sa mère pendant la durée du procès. Elle conservera son salaire et ses gardes du corps.

Son remplaçant, homme d'appareil sans charisme, est tout aussi impopulaire qu'elle. Une majorité de Brésiliens souhaitent le départ de M. Temer et des élections anticipées, non prévues par la Constitution.

Il va hériter du cocktail explosif qui a conduit droit dans le mur Mme Rousseff: la pire récession depuis les années 1930 et l'énorme scandale de corruption Petrobras, aux développements judiciaires imprévisibles, qui éclabousse son propre parti au plus haut niveau.

Il pourra compter dans un premier temps sur le soutien des milieux d'affaires qui espèrent un choc de confiance, et sur celui, prudent, des partis de droite ayant oeuvré à la destitution de Mme Rousseff.

M. Temer prépare un paquet de mesures libérales qui pourraient en outre jeter les syndicats dans la rue: ajustement budgétaire sévère, réforme du système déficitaire des retraites et de la législation du travail.

«Il va hériter en grande partie de l'insatisfaction des Brésiliens contre la politique traditionnelle qu'il incarne», souligne Thiago Bottino, analyste à la Fondation Getulio Vargas.

Les 10 dates clés de la crise politique brésilienne
4 mars

L'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010), fondateur du Parti des travailleurs (PT, gauche) au pouvoir et mentor politique de la présidente Dilma Rousseff, est brièvement interpellé et interrogé par la police dans le cadre de l'enquête sur le scandale de corruption Petrobras.

13 mars

Trois millions de Brésiliens défilent dans tout le pays aux cris de «Dilma dehors!» lors de manifestations d'ampleur historique soutenues par l'opposition de droite.

16 mars

Lula est nommé chef de cabinet (quasi premier ministre) de Dilma Rousseff. Le soir même, le juge Sergio Moro divulgue l'enregistrement d'une conversation téléphonique entre la présidente et Lula suggérant que la nomination de ce dernier a bien pour objectif de le protéger d'une possible mise en détention. Sa nomination sera paralysée le jour même par la justice.

29 mars

Le PMDB (centre), poussé par son dirigeant, le vice-président de la République Michel Temer, claque la porte de la coalition de Dilma Rousseff.

17 avril

Les députés approuvent la procédure de destitution de Mme Rousseff à une écrasante majorité de 367 voix contre 137, et son renvoi au Sénat, lors d'une séance très houleuse.

3 mai

Le procureur demande au Tribunal suprême fédéral (STF) l'autorisation d'enquêter, dans le cadre du scandale Petrobras, sur Lula, trois ministres proches de Dilma Rousseff et 27 autres personnes, dont des personnalités du parti PMDB du vice-président Temer.

L'ouverture d'une enquête contre Dilma Rousseff pour obstruction à la justice est également demandée par le procureur.

5 mai

Le Tribunal suprême suspend le controversé président du Congrès des députés Eduardo Cunha (PMDB), stratège de la procédure de destitution de Dilma Rousseff, pour entrave aux enquêtes pour corruption le visant dans le scandale Petrobras. Une première dans l'histoire du Brésil.

M. Cunha est remplacé par le vice-président de la chambre Waldir Maranhao (PP, droite).

9 mai

Coup de théâtre: M. Maranhao, lui-même soupçonné de corruption, annule à la surprise générale le vote des députés ayant approuvé la procédure d'impeachment de la présidente.

Le président du Sénat Renan Calheiros (PMDB) ignore cette décision «intempestive» et décide d'aller de l'avant.

Tard dans la nuit, M. Maranhao, sous pression, annule sa propre annulation de la procédure d'impeachment, sans fournir d'explications.

10 mai

L'avocat de Mme Rousseff saisit le Tribunal suprême pour lui demander d'annuler la procédure de destitution à la veille du vote couperet des sénateurs.

«Le dernier jour de mon mandat est le 31 décembre 2018», déclare Mme Rousseff, qui promet de «lutter par tous les moyens légaux et de combat» contre ce qu'elle qualifie de «coup d'État» institutionnel.

12 mai

Dilma Rousseff est suspendue de ses fonctions par le Sénat, qui va la soumettre à un procès en destitution pour maquillages des comptes publics.

Un total de 55 sénateurs sur 81 ont voté la mise en accusation de l'impopulaire dirigeante de gauche, remplacée par son vice-président Michel Temer, en attendant le jugement final des sénateurs d'ici 6 mois.

Le même jour, le Tribunal suprême autorise l'enquête pour corruption contre le leader de l'opposition Aecio Neves.
JAVIER TOVAR, DAMIAN WROCLAVSKY
Agence France-Presse
Brasilia

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