mardi 29 août 2017

L’armée algérienne : une muette qui ne veut rien entendre


Par Nour-Eddine Boukrouh

'..Vous avez tiré sur le peuple le jour de l’indépendance puis après, lors du coup d’Etat de 1965, en
octobre 1988, en 2002… C’en est assez !...Messieurs les anciens déserteurs de l’armée française dont l’Algérie indépendante a fait des généraux, ne désertez pas ce pays qui vous a donné plus que vous ne lui avez apporté. Ayez le courage de vous montrer, de vous exprimer, de vous sacrifier au besoin pour que l’ANP



En 1991, j’ai été le premier Algérien à faire l’objet d’un dépôt de plainte par le ministère de la Défense nationale pour « atteinte à corps constitué ». C’était au lendemain d’une déclaration faite lors d’un débat public à Blida en réponse à la question d’un concitoyen sur le salaire des généraux : « Les généraux n’ont pas de salaires, ils se servent ».

Je reconnais aujourd’hui ne pas avoir pesé mes mots, mais j’avais assumé mes déclarations devant le président du tribunal de Birmandreis où l’affaire devait être jugée. Il m’avait reçu courtoisement et, m’ayant demandé sur quels éléments probants j’allais asseoir ma défense, je lui avais rétorqué que j’envisageais de « lancer un appel à témoin… ».

C’est la même réponse que j’ai fait en juin 1998 aux officiers de police judiciaire qui m’ont interrogé pendant deux jours au commissariat central d’Alger sur instruction du Parquet saisi par le général Betchine, conseiller spécial du Président.

Finalement, c’est la « grande muette » qui s’est chargée de ramener les témoins. Il ne s’agissait pas moins que d’un groupe de généraux en fonction qui ont publié quelques semaines après le dépôt de plainte contre moi le fameux « rapport » où ils accusaient un ancien chef d’état-major et quelques officiers supérieurs de s’être gloutonnement « servi » dans la trésorerie de l’Armée (« affaire Belloucif »). Réalité ? Règlement de comptes ? Je n’ai aucun moyen de le savoir
.
Le MDN avait commis pour le représenter dans le procès qu’il m’intentait un avocat émérite. Ayant pensé de mon côté à un avocat célèbre qui passe à ce jour pour plus démocrate que Périclès lui-même (l’homme d’Etat grec qui a inventé la démocratie), quel ne fut mon étonnement de l’entendre me dire dans le secret de mon bureau : « Je ne peux pas, si Noureddine, samahni »… J’ai finalement constitué un avocat inconnu du public qui s’est très honorablement acquitté de sa tâche.

Curieusement, le MDN retira sa plainte à la veille du procès et confirma son retrait en tant que partie plaignante en audience publique, mais le tribunal a quand même jugé l’affaire et prononcé le verdict : la relaxe.

Dans « l’affaire Betchine » par contre, et par une prouesse d’illogisme rare, une rumeur orientée qui persiste à ce jour m’a étrangement fait passer du statut de victime à celui d’instigateur de sa chute et de celle de Zéroual…

C’était juste pour introduire mon propos d’aujourd’hui qui pourrait me valoir un nouveau dépôt de plainte de la part du MDN car je me propose de dire certaines vérités à l’Armée ou, pour être plus explicite, aux militaires qui ont tendance à confondre leurs personnes et leurs intérêts particuliers avec la « digne héritière de l’ALN ».

Il importe en effet de préciser que lorsqu’on évoque cette institution chère au cœur des Algériens et leur propriété commune, institution que j’ai servie avec fierté et honneur pendant vingt-sept mois au titre du service national, c’est son haut-commandement qu’on vise et non l’ensemble des forces terrestres, aériennes et maritimes avec leurs effectifs, leur encadrement, leurs équipements et les services de sécurité qui en dépendent.

« Les choses qui vont sans dire vont mieux en les disant » recommande un vieux proverbe français, en particulier quand elles risquent d’être retournées contre soi dans un réquisitoire.

Alors ? L’Armée algérienne est-elle, comme dans les vrais pays démocratiques, une « grande muette », ou serait-elle « sourde comme un pot » malgré le tintamarre des sonneries d’alarme qui montent de tous les milieux depuis le renvoi de Tebboune et l’arbitrage rendu en faveur des piliers du « pacte socio-économique » qui va de plus en plus ressembler à un pacte satanique.

On ne peut pas dire qu’elle soit muette car elle s’exprime régulièrement par écrit à travers les éditoriaux de sa revue officielle, « el-Djeïch », et oralement par la bouche de son chef d’état-major à une occasion ou une autre. Les deux parlent d’une même voix, pour dire la même chose, surtout quand il s’agit de rappeler, comme vient de le faire le général Gaïd Salah à Constantine, qu’elle est une « armée républicaine ».

Faut-il encore que nous nous entendions sur le sens de cette expression, général, car « hna yekhtalfou-l-oulama ».

De quoi parle-t-on ? De la République ? Le mot signifie en latin « chose du peuple », et il y a de par le monde de vieilles, d’honorables et d'authentiques républiques, comme il y a des républiques dictatoriales, des républiques dynastiques, des républiques bananières, des républiques mafieuses (celles de Battista, de Bokassa et des « Papadoc » pour ne piocher que dans le passé), des républiques sans Etat (Libye), des Etats sans république (Daesh), des pays sans Etat ni république, des Etats-voyous...

Où classer l’Algérie des corniauds d’ « al-Alia » et du pacte satanique? Quel mérite a-t-on de se dire « républicain » quand on ne peut se proclamer armée « royale » ou « impériale » ?

Dans la réalité, l’Armée algérienne est devenue sous la chefferie du général Gaïd Salah l’armée du Président, lequel président et ministre de la Défense nationale a changé la Constitution plusieurs fois durant ses quatre mandats pour en faire un habit sur-mesure, un justaucorps qui lui colle à la peau comme l’habit porté par certains artistes ou sportifs.

Il nous a enfermés dans sa « pensée » politique fantasque et intempestive comme on ferme une partie de dominos dans un café maure au terme de ruses de Sioux clôturées par un coup asséné à la table à la briser en morceaux.

Oui, Bouteflika a bel et bien fermé la partie sur les quarante millions de dominos que nous sommes dans le vaste douar qu’est devenue l’Algérie sous son règne.

Nous sommes dans une impasse, lui ne pouvant plus gouverner selon les paramètres admis, et nous ne pouvant rien faire pour préserver notre pays de la crise économique qui nous guette et de la prédation des vautours qui tournoient au-dessus de nos têtes.

Quel sens peuvent revêtir des déclarations d’allégeance à la République quand cette allégeance ne va pas au « peuple souverain » mais à un homme invisible, inaudible et notoirement dépourvu de ses moyens physiques et intellectuels ? Quand le haut-commandement de l’Armée, à la suite d’un enchaînement de décisions et de restructurations, est devenu le bras armé et ponctuellement menaçant d’un régime moribond, d’un pays sans gouvernance et d’un Etat qui n’est plus Gérant ou Garant, mais tout simplement Errant...

Dans ces conditions, on est obligé de conclure que l’Armée algérienne présente les caractéristiques parfaites d’une muette qui ne veut rien entendre ou d’une sourde qui parle pour ne rien dire, le choix revenant au même. C’est qu’il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre la voix du bon sens et de la vérité criante, ni plus aveugle que celui qui ne veut pas voir la réalité en plein jour ou tourne la tête ailleurs pour feindre de ne pas voir ce qu’il se trame à côté de lui.

Jusqu’à l’an dernier, plusieurs militaires de haut rang à la retraite intervenaient utilement dans le débat public pour donner leur point de vue sur les problèmes du pays et apporter des éclairages sur le passé et le présent. Or l’an dernier une loi a été prise qui les a réduits au silence sous peine d’être poursuivis et sanctionnés.

Depuis, ils ont déserté la scène publique pour préserver leur confort moral et leurs intérêts matériels alors qu’ils sont responsables de l’impasse à laquelle ils ont mené l’Algérie depuis au moins 1988 avant de l’abandonner à son triste sort actuel.

Je parie que cette loi les a soulagés au fond, qu’elle a libéré leur conscience de toute responsabilité envers la nation qu’ils prétendent avoir contribué à libérer et servi mais que, en fin de compte et après des décennies de manigances et de sang sur lesquelles ils ont bâti leur carrière et leur fortune, ils ont mis entre les mains d’ignorants et de pillards.

C’est vous les lâches, Messieurs les ex-ceci ou cela, et non les citoyens dont vous avez fait des « mselmin mkattfin » tout en espérant d’eux aujourd’hui qu’ils se révoltent pour vous venger d’être tombés sur plus Djoha que vous. Quand ils se sont soulevés en octobre 1988 ou en Kabylie en 2002, ils ont été abattus comme des bêtes sauvages sorties de la forêt.

Où est votre honneur militaire, votre courage de soldat, votre dévouement à la patrie, votre conscience nationale, paroles mensongères dont vous vous êtes gargarisés depuis l’indépendance alors que le pays est sur le point d’être balayé par un ouragan de force cinq sur cinq qui le ramènera à la misère d’avant l’indépendance, aux bachaghas, gaïds et autres « chambits » qui se feront un malin plaisir de lui faire suer le burnous.

Des gens comme moi avaient le droit moral de reprocher à leur peuple de ne pas tendre à être parmi les meilleurs car je n’ai cessé de l’y exhorter depuis les années soixante-dix dans mes écrits. Si j’avais été à votre place, je n’aurais pas écrit mais fait. Mais je n’étais qu’un adolescent qui rêvait de l’y pousser avec des mots et des idées, tandis que vous faisiez tout pour le maintenir à l’état de « ghâchi ».

Ce peuple est présentement sacrifié au delirium tremens d’un homme que vous avez ramené et imposé, puis demandé à quelques hommes de bonne volonté comme moi de « l’aider à reconstruire le pays ». Il l' a détruit, au moins moralement.

Messieurs les anciens déserteurs de l’armée française dont l’Algérie indépendante a fait des généraux, ne désertez pas ce pays qui vous a donné plus que vous ne lui avez apporté. Ayez le courage de vous montrer, de vous exprimer, de vous sacrifier au besoin pour que l’ANP à laquelle vous avez appartenu, que vous avez façonnée, cesse d’être un instrument de répression du peuple sur ordre d’un tyran ou d’un clan, et demain peut-être de la mafia directement.

Vous avez tiré sur le peuple le jour de l’indépendance puis après, lors du coup d’Etat de 1965, en octobre 1988, en 2002… C’en est assez !

Cette armée a perdu des milliers de « djounouds » dans la lutte contre le terrorisme et tué des dizaines de milliers d’Algériens passés au terrorisme. Jusqu’à quand l’armée algérienne fera-t-elle la guerre aux Algériens innocents ou « égarés », alors que même cet « égarement » est le fruit de vos choix, de votre aveuglement, de votre incompétence…

Ce n’est pas ce qu’a fait l’ALN dont vous vous revendiquez, elle a combattu un occupant et l’a bouté dehors.

Le chef d’état-major de l’ANP affirmait récemment avec une autosatisfaction qui m’a rappelé Saddam Hussein que notre Armée comptait parmi les plus puissantes au monde. Là ausssi « yekhtalfou-l-oulama », général !

Car le savoir universel enseigne et l’expérience des dernières guerres montre qu’une armée qui n’est pas adossée à une économie et des technologies indépendantes et performantes, qui ne produit pas les matériels requis par la guerre moderne mais les achète, qui ne possède pas une industrie capable de produire de l’armement conventionnel et stratégique à l’instar de la Chine, la Russie, l’Inde ou la Corée du Nord, sans parler de l’Occident et du Japon, est une armée juste bonne à réprimer le petit peuple pour qu’il plie devant le despotisme d’un tyranneau de douar ou d’une smala, à s’opposer à un terrorisme local, ou à soutenir un conflit avec un voisin de moindre force.

Voilà un quart-de-siècle que l’ANP combat jour et nuit le terrorisme sur l’ensemble du territoire national sans l’avoir éradiqué.

Une armée puissante est l’émanation d’un peuple libre, intelligent, inventif, productif, fier de ses institutions démocratiques, et non un appareil militaire prompt à tirer sur son peuple quand celui-ci veut devenir libre, intelligent, inventif, productif, démocrate et capable de créer une industrie militaire destinée à le protéger réellement.

Le désordre constitutionnalisé et le despotisme institutionnalisé actuels se cachent derrière la « légalité » et le « républicanisme de l’Armée » pour empêcher le peuple d’exercer sa souveraineté et de conquérir sa citoyenneté. Voilà dans quels termes se pose le problème de l’Algérie depuis le 5 juillet 1962.

Les choses qui vont sans dire allant mieux en les disant, je réitère que je n’appelle pas l’Armée à un coup d’Etat mais affirme en toute responsabilité que le pourrissement de la situation qui nous est faite sape de plus en plus le moral de la nation, érode l’autorité de l’Etat, pousse aux troubles sociaux et que, devant de tels dangers, il n’y a pas que le coup d’Etat comme moyen d’action. Il y a la persuasion à moindre coût, dont les vertus du « dialogue » si cher au discours officiel et à notre diplomatie.
Le pays attend que des voix fortes s’élèvent « min djibalina wa min soudourina » pour appeler à la sagesse et à la conscience patriotique les responsables en poste, réclamer la justice pour cette nation qui souffre depuis des millénaires, et lancer un message d’espérance en un avenir commun possible et réalisable car à la portée du génie de notre peuple.

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