Une marée de cadavres sur un rivage dévasté, des crématoriums surchargés, des équipes de secours à court de sac mortuaires. Trois jours après le séisme et le tsunami qui ont ravagé les côtes nord-est du pays, le Japon désolé faisait face à une crise humanitaire et économique grandissante, sans pouvoir écarter le spectre d'une catastrophe nucléaire.
Le chef de la police de la préfecture, Naoto Takeuchi, avait déjà estimé ce week-end que plus de 10 000 personnes pourraient avoir péri dans la seule province, qui compte 2,3 millions d'habitants. Un bilan officiel livré mardi midi par les autorités japonaises faisait état de 2414 morts, dont 1254 dans la seule préfecture de Miyagi, et de 3118 personnes disparues.
La «pire crise» qu'ait connue le Japon depuis la Deuxième Guerre mondiale, comme l'a dit dimanche le premier ministre Naoto Kan, suscite aussi des craintes pour l'économie. La Banque centrale japonaise a ainsi injecté la somme record de 184 milliards $ US sur les marchés financiers alors que la Bourse chutait, anticipant de lourdes pertes pour des grands noms de l'industrie nippone, comme Toyota ou Honda. Puis mardi, l'institution bancaire nationale injectait un montant additionnel de 61,2 milliards $.
Loin de s'apaiser, la peur d'une catastrophe nucléaire a encore augmenté avec l'aggravation de la situation dans la centrale de Fukushima Dai-ichi, victime de défaillances en série des systèmes de refroidissement depuis le séisme: la menace s'est étendue lundi à un troisième réacteur, le numéro 2, que les employés tentaient désespérément de refroidir à l'eau de mer pour éviter la fonte des combustibles, synonyme d'accident nucléaire gravissime.
Sans succès, toutefois, puisqu'une explosion y est survenue vers 6h10, heure locale mardi matin (16h10, heure de Montréal lundi). Il s'agissait alors de la troisième déflagration en quatre jours à ébranler la centrale nucléaire de Fukushima Dai-Ichi.
Quelques heures plus tard, les autorités gouvernementales disaient craindre que cette nouvelle déflagration ait endommagé l'enceinte de confinement, ce qui pourrait entraîner des fuites radioactives. Shinji Kinjo, porte-parole de l'Agence de sécurité nucléaire du Japon, a d'ailleurs noté une hausse des niveaux de radioactivité devant l'entrée principale de la centrale à la suite de l'explosion de mardi.
Le niveau de l'eau a en effet baissé dans ce réacteur, au point de découvrir totalement à au moins deux reprises les barres de combustible à l'intérieur du coeur, ont reconnu les autorités locales. Dans la matinée, une explosion à l'hydrogène s'était produite sur le réacteur numéro 3 lors des efforts pour le refroidir, faisant 11 blessés et dégageant une importante colonne de fumée.
D'après le secrétaire général du gouvernement Yukio Edano, les combustibles ont vraisemblablement commencé à fondre à l'intérieur des trois réacteurs les plus touchés. «Même si nous ne pouvons pas le vérifier directement, c'est très probablement en train de se produire».
La compagnie d'électricité TEPCO n'a finalement pas procédé aux coupures de courant annoncées lundi alors que des millions de Japonais s'apprêtaient à passer une quatrième nuit sans eau, nourriture ou chauffage par des températures glaciales sur la côte nord-est, dévastée par le plus violent séisme qu'ait connu le pays et le puissant tsunami qui l'a accompagné.
Le gouvernement japonais a mobilisé 100 000 soldats pour participer à l'effort de secours. Et 120 000 couvertures, autant de bouteilles d'eau ainsi que 110 000 litres d'essence et de la nourriture ont été envoyés vers les zones dévastées. Mais il faudra plusieurs jours pour rétablir l'électricité. Selon la chaîne publique NHK, quelque 430 000 personnes étaient hébergées dans des installations d'urgence ou chez des proches.
Le bilan de la catastrophe, encore incertain, ne cesse de s'alourdir. Un millier de cadavres échoués sur le rivage ont été retrouvés lundi le long des côtes de la préfecture de Miyagi, selon la police. Mais d'après l'agence de presse Kyodo, ce sont 2000 corps qui se sont échoués sur deux endroits de la côte.
À Soma, ville la plus touchée de la préfecture voisine de Fukushima, l'unique crématorium était submergé.
Au Japon, la crémation, choisie par la majeure partie de la population, requiert comme les inhumations, l'autorisation des autorités. Mais le gouvernement a décidé lundi de lever cette obligation pour permettre d'accélérer les funérailles, a annoncé un responsable du ministère de la Santé, Yukio Okuda. «C'est une mesure d'urgence. Nous voulons aider les personnes touchées par le séisme autant que nous pouvons», a-t-il expliqué.
De vastes secteurs restaient privés d'eau courante et d'électricité, avec des files d'attente de quatre à cinq heures pour l'essence. Les rescapés trompaient la faim avec des nouilles instantanées et des boulettes de riz. Beaucoup devaient faire face à la perte d'êtres chers, à la démolition de leurs maisons et de leurs biens.
«Les gens doivent survivre avec peu de nourriture et d'eau», expliquait Hajime Sato, responsable de la préfecture d'Iwate, l'une des trois provinces les plus touchées. Les autorités ne reçoivent que 10 pour cent de la nourriture et des denrées dont elles ont besoin. Et les sacs mortuaires et cercueils commencent aussi à manquer au point que le gouvernement pourrait demander l'aide de pompes funèbres étrangères, a-t-il dit.
La côte pulvérisée a été secouée par plusieurs centaines de répliques depuis vendredi, dont la dernière, lundi, atteignant une magnitude de 6,2 et suscitant une nouvelle alerte au tsunami. À Soma, sous les hurlements des sirènes, les soldats ont abandonné les opérations de secours et hurlé aux habitants du bord de mer de se réfugier sur les hauteurs. Cette fois, c'était une fausse alerte.
Et, pour la première fois depuis vendredi, des secouristes sont arrivées à Soma pour rechercher des corps. Les ambulances se tenaient à proximité et des sacs mortuaires étaient alignés dans une zone dégagée pendant que les pompiers tentaient de dégager à coups de pioches ou tronçonneuse l'incroyable amas de gravats, de bois, de métal, de toitures arrachées, de véhicules, lignes électriques ou de meubles.
Les hélicoptères survolaient la zone, mesurant l'ampleur des destructions, à perte de vue. Des bateaux ont été propulsés sur des routes à un kilomètres du rivage. D'après les autorités, un tiers de cette ville de 38 000 habitants a été inondé et des milliers de personnes étaient portées disparues.
Le controversé gouverneur de Tokyo, Shintaro Ishihara, expliquait à la presse que ce désastre était une «punition divine» pour l'égoïsme des Japonais.
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