L’annonce par le roi du Maroc Mohamed VI d’une réforme globale de la constitution qui octroiera plus de pouvoirs au parlement et au Premier ministre a donné un terrible coup de vieux à la levée de l’état d’urgence en Algérie. C’est subitement – après la révolution démocratique en Tunisie et en Egypte et l’insurrection libyenne contre la dictature de Kadhafi – le pouvoir politique algérien qui paraît le plus menacé de dissonance dans un Maghreb en marche vers les libertés. L’ouverture politique en Algérie est terminée. Ou elle n’a pas commencé. Le président Bouteflika a fait savoir aux Algériens à travers son hôte Jean-Pierre Raffarin qu’il comptait «annoncer des mesures d’ampleur» lors du Conseil des ministres du mardi 22 février. Elles n’ont pas concerné le volet démocratique des revendications exprimées à la suite des émeutes du début de l’année.
La levée de l’état d’urgence et l’ouverture de l’audiovisuel aux partis de l’opposition légale devaient être un premier pas. «C’est sans doute le dernier. En tout cas pour le moment. Bouteflika réfléchit en termes de rapports de force. Il a toujours estimé que Chadli Benjedid avait fait une erreur d’accorder autant à la rue après les événements d’Octobre 88. Il ne veut pas céder plus que nécessaire. Et l’échec de la CNCD le conforte dans son conservatisme», estime un ancien cadre du MALG (Ministère dans le GPRA) qui connaît bien le président algérien.
Un point de vue nuancé est exprimé dans l’entourage de Bouteflika : «Le président sait qu’il doit conduire une ouverture politique. Il veut qu’elle soit graduelle. Il ne veut surtout pas donner l’impression de céder à des pressions de l’opposition. C’est pour cette raison qu’il a différé la reconnaissance des partis politiques en instance. Il va sans doute retoucher le calendrier électoral. Mais il ne l’annoncera pas tout de suite», explique un ancien ministre de son premier mandat.
Une subtile divergence sur le rythme et les limites du changement subsisterait toutefois avec l’autre partenaire du pouvoir politique algérien, l’armée, représentée par son bras politique, le DRS. Le président Bouteflika souhaiterait ne partir qu’en 2014, à l’échéance de son troisième mandat, mais en laissant derrière lui une possibilité constitutionnelle sérieuse d’alternance démocratique, une sorte de cadeau piégé qu’il laisserait à ses «partenaires» du ministère de la Défense. Les militaires, eux, seraient pour des réformes politiques moins profondes mais plus rapides; avec élection d’une assemblée populaire représentative et réduction des pouvoirs du président dès avant fin 2011. Une manière de garder la main sur la décision tout en sortant d’urgence de l’enclos politique verrouillé de l’ère Bouteflika.
Un agenda débordé tous les matins
L’agenda politique est volatile. Les gardes communaux ont fait tomber de fait l’interdiction de marcher à Alger. La révision de la constitution marocaine annoncée par le roi Mohamed VI est survenue dans le débat sur le changement en Algérie. Le «vieux» Destour tunisien est dissous. Les casernes de la sécurité militaire égyptienne sont occupées par le peuple. La Tunisie et L’Egypte vont recevoir Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat américaine, pour entamer un partenariat dans la transition démocratique sur le modèle des pays de l’Europe de l’est après la chute du mur de Berlin.
En Libye, la contre-offensive de Kadhafi ne fait que retarder l’échéance d’une défaite de son régime, finalement plus sanglante et plus destructrice, car s’acheminant vers une «aide» militaire occidentale directe. La démocratie y aura peut-être une couleur mixte tunisienne et irakienne, mais l’ordre autocratique en sera banni. Le changement homéopathique auquel pense le pouvoir algérien est débordé tous les matins depuis le début du mois de janvier. Dans un tel contexte, le statu quo sur le volet politique isole Alger.
Le modèle parlementaire, une revendication montante
Les officiels algériens par la voie de Daho Ould Kablia sur France 24, et Mourad Medelci dans la presse internationale n’ont pas fait mystère de leur inquiétude devant le processus démocratique dans les pays voisins. Alger préférait clairement Ben Ali, Moubarak et Kadhafi à l’ordre nouveau des révolutions démocratiques arabes. La réaction d’anticipation de Mohamed VI face à la montée de la revendication pour le changement au Maroc l’oblige à revoir sa copie en Algérie.
Le président Bouteflika a objectivement intérêt à ce que la révision constitutionnelle marocaine soit un coup d’épée dans l’eau. Qu’elle ne retire pas au palais son rôle tutélaire sur la vie institutionnelle au Maroc. Mais la réalité est qu’il ne peut pas se permettre d’en attendre l’issue, dans quelques mois, pour en tirer bénéfice et jouer, une fois de plus, la montre. C’est sans doute pour cela que son sherpa politique, Abdelaziz Belkhadem, évoque à nouveau une possible révision de la constitution en précisant que le président Bouteflika souhaitait la réaliser de manière globale en 2008 mais a dû se contenter d’une révision limitée. L’ancien chef du gouvernement oublie de dire que le but de la révision de 2008 était, outre de faire sauter la limitation des mandats, de renforcer encore plus le pouvoir présidentiel.
Partout dans le monde arabe monte aujourd’hui la revendication d’une architecture constitutionnelle basée sur la prédominance du pouvoir parlementaire. L’ère des Rais qui deviennent des dictateurs paraît bien terminée. Celle des rois omnipotents est à son crépuscule. L’Algérie de Abdelaziz Bouteflika ne se projette dans aucune de ces cases. C’est tout le sens de l’isolement autocratique qui se dessine.
EL KADI IHSANE |
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