Moustapha Abdeljalil |
Lundi soir, la chaîne Al-Jazira rapportait ainsi que le dirigeant libyen aurait proposé aux insurgés de réunir le Congrès général du peuple, qui fait office de parlement, pour qu'il puisse se retirer avec des garanties. Une annonce immédiatement démentie au sein du gouvernement libyen. De son côté, l'opposition, confirmant que des intermédiaires de Tripoli s'étaient proposés pour entamer des négociations entre les deux camps, a rejeté toute négociation et fait savoir qu'elle donnait 72 heures à Kadhafi pour se rendre.Le colonel Mouammar Kadhafi chercherait-il une porte de sortie ? Alors que la contre-offensive menée par les forces loyales au dirigeant libyen contre les positions tenues par l'opposition s'est intensifiée, mardi 8 mars, l'annonce de l'ouverture de négociations entre le dirigeant libyen et l'opposition a suscité des réactions et démentis en chaîne.
PARTIRA, PARTIRA PAS ?
L'hypothèse d'un reddition négociée du colonel Kadhafi est "crédible", estime Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève. "Kadhafi est très sensible à son avenir. Ce n'est pas forcément l'homme qui va mourir l'arme à la main. C'est un réaliste, un pragmatique", estime-t-il. La contre-offensive gouvernementale serait, selon lui, un moyen de "peser sur ces négociations, en montrant qu'il a toujours une capacité de nuisance". Car la marge de manœuvre du dirigeant libyen serait désormais"considérablement réduite" du fait qu'il ne contrôle plus tout le territoire ; des défections au sein du corps diplomatique ; des sanctions sévères et des menaces de poursuites internationales.
"Kadhafi a perdu la bataille de la communication. Le Conseil national libyen [CNL] a été reconnu à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. Rester au pouvoir n'est plus pour lui une option. Cette réalité est connue à la fois en Libye et à l'international. Tout n'est qu'une question de timing, du choix du moment et du lieu où il va partir", renchérit Molly Tarhuni, experte britannique en politique libyenne.
Ce scénario ne fait pas l'unanimité au sein de la communauté des experts. "Le colonel Kadhafi n'a jamais négocié que dans des rapports de force extrêmement défavorables pour lui. Or, le rapport de force actuel ne lui est pas défavorable", explique Moncef Djaziri, politologue à l'université de Lausanne. Il a chargé Djadallah Azzouz Talhi, un notable originaire de Benghazi et ancien représentant aux Nations unies, de négocier avec l'opposition "pour trouver une sortie de crise politique. Il pourrait accepter une transformation du régime, permettant d'intégrer l'opposition sans être lui-même mis en cause. Cela lui permettrait de se retirer en sauvant l'essentiel : sa vie, sa famille, leurs intérêts."
Une analyse que valide en partie Luis Martinez, politologue au Centre d'études et de recherche internationales (CERI), qui voit dans ses négociations un choix tactique de Mouammar Kadhafi. "Cette proposition de Kadhafi ne vise pas à trouver un mode de sortie de crise mais à montrer à l'intérieur comme à l'extérieur de la Libye que les insurgés, en refusant toute négociation, sont des irréductibles qui ne lui laissent d'autre solution que la survie".
Le politologue souligne à cet égard le virage pris la semaine dernière dans la stratégie de communication du régime, avec un certain succès. "Il a très bien compris l'intérêt de se faire passer pour une victime et non plus comme l'agresseur, en se montrant conciliant sur les négociations". Sur le fond, le "guide" ne serait pas opposé à une partition de la Libye. "La Libye est bien faite pour cela car les champs pétroliers sont répartis entre les deux zones et pourrait garantir des revenus à chacun".
LA MARGE DE MANŒUVRE DE L'OPPOSITION
Une partition de la Libye serait le scénario-catastrophe pour les insurgés, poursuit Luis Martinez, "car la Libye serait ainsi coupée en deux par leur faute. Eux veulent une Libye unie et pour cela, ils doivent conquérir Tripoli". Mais sur le plan militaire,"les insurgés sont dans une position difficile au niveau des équipements, de la force. Ils ont des difficultés à avancer et à maintenir leur position", analyse Moncef Djaziri, faisant référence aux points décisifs marqués par les forces loyalistes lors des derniers combats. Et le temps ne devrait pas jouer en leur faveur, du fait notamment d'un risque de "démoralisation des troupes" et des conditions climatiques. "C'est pourquoi la rebellion veut aller vite sur le terrain", explique-t-il.
Dans la bataille pour la communication, le colonel Kadhafi aurait désormais compris l'intérêt de mesurer son usage de la force. Ainsi, dans la contre-offensive qu'il mène, le colonel Kadhafi "fait bien comprendre qu'il vise uniquement ses adversaires et non la population. Mais, si les lignes rouges sont dépassées par les insurgés, il pourrait s'en prendre aux ressources de la population que sont les raffineries et les terminaux pétroliers", note Luis Martinez. Selon lui, "ce message a été entendu cinq sur cinq par le CNL, qui ne parle plus de marcher sur Tripoli pour le moment, mais a adopté une approche beaucoup plus défensive".
Le dirigeant libyen pourrait par ailleurs jouer sur les divisions de l'opposition. Comme l'explique Moncef Djaziri, le Conseil national libyen est divisé sur le plan militaire, entre "ceux qui veulent aller de l'avant et prendre Tripoli et ceux qui, plus prudents, issus de l'armée, tempèrent". Il l'est tout autant sur le plan politique entre les plus intransigeants et les partisans de la négociation, qui composent la majorité du Conseil. Le politologue n'exclut ainsi pas que ces derniers aient pu solliciter des négociations sans que cela soit dit ouvertement.
UNE COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE HÉSITANTE
Les insurgés ont à combattre un régime qui a pour lui les richesses, le pétrole et les armes. "Kadhafi a toujours pensé que l'Occident était hypocrite. Il porte ainsi peu d'attention à nos propos, à nos condamnations. Il n'a que mépris à ce niveau-là", commente Luis Martinez. Toutefois, le poids de la communauté internationale pourrait se faire sentir à plus long terme, estime Moncef Djaziri. "La politique des sanctions, du 'containment' a, par le passé, donné des résultats sur le régime. Le fait d'avoir cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête peut faire qu'à moyen terme, il décide de négocier", estime le politologue. Par ailleurs, ajoute Luis Martinez, le dirigeant libyen pourrait être acculé à partir si la communauté internationale participe directement ou indirectement aux combats aux côtés de l'opposition.
Pour Hasni Abidi, "le pari de l'Occident est de pousser certains membres de l'entourage de Kadhafi à renverser le colonel. Les enfants du colonel sont jeunes, ils ont goûté au luxe de la vie en Occident et ne sont pas prêts à mourir à ses côtés". Le politologue estime qu'"il n'est pas exclu qu'il y ait un coup d'Etat familial. Ses fils ont des intérêts énormes à préserver surtout si les négociations leur permettent d'éviter des poursuites internationales". Un coup d'Etat interne serait d'ailleurs "l'hypothèse idéale pour l'Occident. Les Américains sont prêts à lui ménager une porte de sortie."
Mais, le temps pourrait jouer en défaveur de l'opposition et pousser la communauté internationale à revoir sa position. "Son appréciation semble évoluer selon le rapport de force sur le terrain. Les erreurs qui pourraient être commises par Kadhafi sur le plan militaire pourraient se retourner contre lui. En revanche, si sur le terrain, les insurgés semblent s'essoufler, que le CNL semble ne pas avoir de positions fermes et claires, la communauté internationale peut tempérer son soutien", analyse Moncef Djaziri. A cet égard, il note que le Pentagone semble déjà hésitant quant à l'opportunité de mener une intervention militaire ou d'instaurer une zone d'exclusion aérienne, et que les positions de la Chine et la Russie ont évolué vers le refus catégorique.
"Les hésitations occidentales à la zone d'exclusion aérienne ou quant à un soutien militaire à l'opposition jouent en faveur de Kadhafi pour que le Conseil accepte une solution négociée", poursuit M. Djaziri. Une analyse partagée par Luis Martinez, qui estime que "si fin mars, le régime ne tombe pas et que le CNL se désunit sur la solution à trouver, les insurgés vont comprendre que leur ressource, la communauté internationale, est limitée et qu'ils vont devoir compter sur eux-mêmes. Cela passera par d'importants sacrifices humains ou par l'imposition de négociations par certains membres au sein de l'opposition".
Hélène Sallon LEMONDE.FR | 09.03.11 |
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