samedi 12 novembre 2011

Berlusconi, c'est fini


Les neuf vies de Silvio Berlusconi

Silvio Berlusconi quitte la chambre basse du Parlement à Rome, le 12 novembre 2011. REUTERS/Tony Gentile. La démission annoncée du Président du conseil italien signe la fin de son règne politique. L'aperçu de son ascension, déclin, ascension, déclin… montre pourtant qu'il ne faut pas vendre la peau du Cavaliere avant de l'avoir désarçonné.

 la présidence de la République italienne a annoncé que la démission de Silvio Berlusconi serait officiellement présentée dans la soirée.
***
C’est difficile à croire, mais le règne de Président du Conseil de Silvio Berlusconi semble être arrivé à son terme. Le nabab des médias, 75 ans—aux prises avec une économie stagnante, une dette qui enfle et un soutien politique en pleine érosion— a obtenu le vote de son budgetmardi dernier mais n’a pas réussi à se gagner le soutien de la majorité à la chambre basse du Parlement italien.
Et maintenant, de nombreux médias annoncent que Berlusconi, après sa rencontre avec le président italien Giorgio Napolitano, a accepté de démissionner et de permettre des élections anticipées à condition que le parlement vote un plan d’austérité qui devrait être adopté ce mois-ci.
Si cette nouvelle est particulièrement saisissante, c’est que le dirigeant italien a la réputation d’être l’un des survivants politiques les plus rusés au monde. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il a réchappé à plus de 50 votes de confiance depuis sa troisième prise de pouvoir en 2008, et a réussi à rebondir de façon pour le moins inattendue après toutes sortes de scandales sexuels et de drames judiciaires.
Assez curieusement, ce ne sont pas les accusations de corruption ou les scandales sexuels mais l’économie qui a fait tomber ce businessman milliardaire qui a fondé son parti politique autour des principes de l’économie de marché. Voici un aperçu de l’ascension, du déclin, de l’ascension, du déclin… enfin vous avez saisi l’idée générale… de Berlusconi.

1994: la naissance de l’ère Berlusconi

Berlusconi est élu député et nommé Premier ministre en mars 1994, quelques mois seulement après avoir décidé d’entrer en politique et de former son propre parti, Forza Italia. Mais le gouvernement de coalition qu’il réussit à bricoler —qui comprend les partis conservateurs Alleanza Nazionale et Lega Nord— implose à peine sept mois plus tard, quand le chef de la Ligue du Nord Umberto Bossi (celui-là même qui a appelé à la démission de Berlusconi cette semaine) abandonne le Premier ministre au moment où celui-ci est mis en examen pour avoir corrompu les autorités fiscales italiennes.
«Ce n’est pas que les investisseurs aient une dent contre Berlusconi personnellement—c’est juste que l’on considère que sa coalition de trois partis est revenue sur sa parole et que tant qu’il sera Premier ministre, les investisseurs n’auront pas confiance en l’Italie», explique un analyste du marché italien à AFX News avant la démission du dirigeant italien.
BNP Paribas publie une analyse intitulée «La fin de l’ère Berlusconi?» Mais certains signes indiquent qu’il ne faut pas enterrer trop vite la carrière politique du Cavaliere. Un sondage publié fin décembre révèle que Berlusconi reste la personnalité préférée des Italiens pour diriger le prochain gouvernement.

1996: une étoile filante en pleine désintégration

Aux élections législatives d’avril, la coalition de centre-droit de Berlusconi perd au profit d’une alliance du centre-gauche menée par Romano Prodi, tandis que les médias s’interrogent sur l’endurance du magnat des médias et de son parti, Forza Italia. L’Agence France Presse appelle Berlusconi «l’étoile filante de la politique italienne des années 1990» et les analystes concluent que la politique en Italie a fait une embardée décisive à gauche.
Si Berlusconi «s’était glissé dans le siège du Premier ministre» en 1994 en «éblouissant les électeurs avec ses costumes luisants et son incessant baratin», explique l’australien The Age, il a depuis été «souillé par des accusations de corruption et des arriérés d’amertume que même son club de foot champion, l’AC Milan, ne peut dissiper.»
En juillet 1998, un tribunal de Milan l’accuse de financement illégal de parti politique et le condamne à plus de deux années de prison. Berlusconi sera ensuite disculpé en appel après l’expiration du délai de prescription.

2001-2004: le phénix renaît de ses cendres

Berlusconi redevient Premier ministre quand sa coalition de centre-droit remporte les élections —mais il se retrouve confronté à un chapelet d’affaires de corruption impliquant détournements de fonds, fraude fiscale, falsification de comptabilité et tentative de corruption de juges.
Ses problèmes déchaînent les critiques des médias, des manifestations rageuses et même des appels à la démission de la part de l’ancien président italien Francesco Cossiga si Berlusconi était reconnu coupable. Et pourtant, le Cavaliere parvient à esquiver cette pluie d’ennuis judiciaires à coup d’acquittements, d’appels, d’erreurs dans les délais de prescription et autres entorses gouvernementales à la loi. Il aura fini par présider le gouvernement italien à la plus grande longévité depuis la Seconde Guerre mondiale.
C’est là que le mythe du politicien-phénix de Berlusconi commence à prendre forme. Le New York Times s’émerveille en 2002 que Berlusconi «semble pratiquement étanche à tout dégât politique.» Mais les appels à la démission se poursuivent. En 2004, quand le ministre de l’Économie italien démissionne, un dirigeant de l’opposition proclame la «fin de l’ère Berlusconi». Berlusconi finira par essuyer une défaite politique, mais son mandat est loin d’être terminé.

2005: revers et retours

La coalition au pouvoir s’effondre en avril après avoir essuyé une défaite cuisante lors des scrutins régionaux tandis que l’économie piétine. Les analystes assimilent les résultats à un référendum sur le Premier ministre en difficulté et même les alliés de la coalition de Berlusconi s’en prennent à lui. «Cette chute de popularité du Premier ministre italien Silvio Berlusconi annonce une tempête qu’il serait suicidaire de sous-estimer» peut-on lire dans Il Sole 24 Ore, repris par la BBC. «Berlusconi doit dégoter un stratagème pour se réimposer s’il ne veut pas y passer».
Et c’est très exactement ce qui se produit. Berlusconi démissionne, pour mieux remanier son administration, réorganiser le programme de sa coalition et former un nouveau gouvernement à peine quelques jours plus tard. Il annonce à l'agence de presse italienne ANSA qu’il envisagerait de renoncer à son poste de Premier ministre s’il parvenait à réunir sa coalition de centre-droit en un seul parti stable. «Mon ambition n’est pas d’être irremplaçable» explique-t-il (avance rapide jusqu’en 2011, où l’on entend un Berlusconi en difficulté affirmer que «personne d’autre n’est capable» de diriger l’Italie).

2006-2008: KO, mais debout?

Berlusconi perd de peu une nouvelle élection contre Romano Prodi dont il conteste en vain les résultats devant les tribunaux. Mais les analystes ont trop d’expérience de l’histoire de Berlusconi pour écrire sa nécrologie politique. «Est-ce la fin de l’ère Berlusconi?», s’interroge le New York Times.
Étant donné que Berlusconi voudra protéger son empire commercial, éviter les problèmes judiciaires, préparer son retour et nourrir son ego, conclut l’article, la réponse est «presque certainement non.»
Le journaliste a vu juste. Don Teflon [parce que tout glisse sur lui… ndt] lance une nouvelle coalition de centre-droit en 2007 et retourne au pouvoir une troisième fois en 2008 après qu’un vote de confiance raté a obligé le gouvernement de Prodi à démissionner (le corps législatif ne tarde pas à voter une loi accordant à Berlusconi l’immunité tant qu’il reste au pouvoir).

2009: le scandale et la crise

Année noire pour Berlusconi. Son épouse, Veronica Lario, annonce qu’elle va demander le divorce et affirme que le Premier ministre italien «fraye avec des mineures» après qu’il a assisté à la fête d’anniversaire donnée pour les 18 ans du mannequin de lingerie Noemi Letizia.
Témoignages et photos viennent confirmer d’autres déclarations selon lesquelles Berlusconi invite des jeunes filles et des prostituées à ses fêtes tapageuses et les dédommage avec de l’argent, des cadeaux et même des postes au gouvernement.
Deux affaires de corruption sont rouvertes contre Berlusconi quand la Cour constitutionnelle italienne annule son immunité, ce qui pousse le Premier ministre à se plaindre qu’il est la personne la plus persécutée«de toute l’histoire du monde». Pour ajouter, littéralement, la blessure à l’injure, Berlusconi est frappé en plein visage lors d’un rassemblement à Milan par un homme armé d’une statuette représentant la cathédrale de la ville, et doit affronter à Rome d’immenses rassemblements de manifestants réclamant sa démission.
Alors que 2009 s’achève, The Economist observe que Berlusconi est assiégé de toutes parts et atteint «un point de crise». Mais, conclut le magazine, «il lui reste un atout dans la manche».

2010-2011: les années bunga bunga

Les orgies «bunga bunga» et les relations de Berlusconi avec une très jeune danseuse de discothèque marocaine appelée Karima el-Mahroug font l’objet d’une enquête. Il est jugé pour avoir eu des relations sexuelles tarifées avec une mineure, pour abus de pouvoir, et, d’autre part, pour fraude fiscale.
En outre, Berlusconi commence à devoir faire face à un marathon de votes de confiance sur les mesures d’austérité conçues pour éviter que l’Italie ne soit à son tour victime de la crise de la dette européenne.
Tous ces problèmes poussent son ancien allié Gianfranco Fini à rompre avec lui et à demander sa démission, et d’autres éminents personnages de sa coalition à lui emboîter le pas. Duncan Kennedy, de la BBC, conjecture fin 2010 que le divorce d’avec Veronica Lario a pu marquer le début de la fin pour Berlusconi —le point auquel «les historiens concluront que la pourriture s’est installée».
Uri Friedman
Traduit par Bérengère Viennot

Aucun commentaire: